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La demande de l’adolescent

M. GILLOOTS - Pédopsychiatre CH St Jean de Dieu

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES MEDICALES, Pédopsychiatrie, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°2 – Métamorphoses de la demande et engagement dans le soin (Septembre 2000)

Quand la précarité sociale redouble la précarité psychique….

Quelle est la demande des adolescents ? Plus qu’un inventaire clinique cette question renvoie à l’énigme de la construction du sujet. Car l’adolescence est « l’aventure de la subjectivation » (R. Cahn), la traversée du doute sur les liens à autrui et l’identité.
La précarité psychique est bien une expérience essentielle et commune à tous les adolescents. Cependant, lorsque l’adolescent vit dans un contexte de précarité sociale, cette dernière risque de le priver des appuis nécessaires, de rendre ses tentatives d’affirmation subjectives plus périlleuses. La dilution des liens avec la famille élargie, l’absence de réseau de solidarité, la transmission d’une représentation d’une société hostile et d’une identité d’exclusion isolent et avivent la souffrance narcissique. Ceci peut également orienter vers des solutions alternatives antisociales, notamment dans la délinquance.
Le rapport du Haut Comité de la Santé Publique sur « La souffrance psychique des adolescents et des jeunes adultes »  souligne qu’à côté de la réussite individuelle c’est d’abord la confiance en soi et l’appartenance à un groupe social qui sont en jeu à cet âge de la vie, vulnérabilité qui est illustrée par la prédominance des troubles « psychosociaux ». Les conduites suicidaires, la violence agie ou subie, les troubles du comportement alimentaire, la consommation d’alcool, de cannabis sont ainsi des modes d’expression privilégiés de la souffrance psychique.
« Demander » peut donc sembler bien au delà des capacités de l’adolescent. Pourtant ils demandent rendez-vous dans des lieux de consultation : parfois dans l’urgence, souvent de façon proche. Ils téléphonent pour le déplacer ou l’annuler, marquant leur investissement de l’aspect formel de la rencontre. Le contenu de l’entretien, souvent réduit à des réponses laconiques, illustre le vécu d’étrangeté à soi de l’adolescence, qu’il convient de considérer dans la dynamique du processus d’appropriation subjective.

Tony 14 ans est amené par son père à la consultation du CMP des Minguettes. L’adolescent se présente spectateur indifférent de la rencontre, elle même portée par une chaîne d’intervenants comprenant notamment le juge pour enfants, l’assistante sociale chargée de la mesure d’aide éducative, le conseiller d’orientation du collège. Il consent néanmoins à revenir et au cours des séances hebdomadaires, pendant deux ans, nous évoquons la banalité du quotidien d’un adolescent en grave échec scolaire, isolé, corrigé de façon excessive par son père et abandonné par une mère incapable de lui montrer la moindre attention. Du passé je n’apprendrai rien de plus que ce qui m’a été dit par le père lors de la première consultation : le placement à l’âge de six mois en raison des troubles mentaux de la mère et de la précarité de la situation socioprofessionnelle du père, les changements de nourrice, les demi frères que Tony croise parfois, et enfin la décision du juge de restituer Tony à son père il y a deux ans. Peu de choses aussi à propos des difficultés financières – le RMI du père et la maigre pension de la grand-mère italienne ne permettent pas à Tony de porter « de la marque » et d’acheter des jeux informatiques mais cela ne fait pas l’objet d’une revendication ou d’une plainte. Nous parlons de ce que Tony fait, de ce qu’il pense au sujet des rares événements dont il me fait part. Derrière l’inertie et le partage du mortel ennui apparaissent des possibilités d’actions et de choix : refuser d’attendre en vain sa mère aux rendez vous organisés par l’assistante sociale, s’inscrire à un club de hip hop, prendre le risque d’une altercation violente avec son père, participer à un projet d’orientation. Et formuler son souhait d’arrêter une thérapie qui n’a pris son sens que dans l’après coup de l’élaboration de cette décision.

Plus qu’une nosographie psychiatrique ou une exploration des traumatismes infantiles, la clinique requiert une évaluation des possibilités du sujet à répondre à l’exigence de travail psychique de l’adolescence et des recours à sa disposition : dans son entourage et dans sa capacité à agir.
La demande est ainsi avant tout une interrogation « formelle » sur l’interlocution et la possibilité de soutenir le pouvoir structurant du doute. Ceci n’est possible que si l’adulte résiste à la séduction de l’adolescence perpétuelle, modèle porté par les valeurs de mutation permanente de notre société, comme le souligne le rapport cité. L’énigme de la rencontre avec l’adolescent n’appelle pas de résolution mais une attention, l’anticipation du plaisir du travail de penser.

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