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Atmosphère en pyschiatrie

Thierry TRÉMINE - Psychiatre des hôpitaux, chef de service au centre hospitalier Robert Ballanger, Aulnay-sous-Bois, Secrétaire Général de la Société de l’Information Psychiatrique

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°3 – L’offre de soin entre politique et subjectivité (Décembre 2000)

Réfléchir sur les difficultés ou les résistances qu’entraînent l’apparition des mots «exclusion et précarité» dans l’univers psychique du psychiatre des hôpitaux relève d’abord de l’introspection, puis du souvenir des conversations, interventions, remarques ou abjurations entendues lors des congrès ou réunions diverses. Cette question renvoie à des sentiments diffus, parfois contradictoires.

On peut analyser par couches successives les motifs de récusation les plus souvent rencontrés, avec le désordre de la pensée de celui qui est engagé dans l’affaire.

La première remarque est banale, mais déjà contradictoire et significative: le psychiatre des hôpitaux veut bien s’occuper des souffrances psychiques que la précarité conditionne, mais non de la précarité elle même.

Si je dis qu’il y a contradiction, c’est parce que la souffrance psychologique, dès lors qu’elle se structure en pathologie cliniquement référencée demeure en France un organisateur efficace du reste de la prise en charge, y compris de la dite précarité: être soigné par une équipe médico-psychologique évite le plus souvent une forte paupérisation, ce qui ne sera pas le cas du symptôme organique aux urgences, de la maladie somatique constituée, de l’alcoolisme et de ses conséquences ou de la misère elle-même.

Le contrat de soins, qui comprend réhabilitation et (ré)insertion est soumis à l’existence d’une pathologie constituée, ou même …instituée, qui se réfère à un champ délimité des savoirs et des savoir-faire dont le dépassement est difficile.

La psychiatrie s’est toujours créée elle même ses nouvelles problématiques, à partir des modifications ou idéologies circulant dans l’ambiance, le socius. Pinel ou la psychiatrie communautaire relève de pratiques volontaires nées d’un procès où se rejoignent le refus d’une situation donnée et la perception de possibilités nouvelles.

L’asile, sous sa forme exécrable, est institué par un rapport de Parchappe au ministre de l’intérieur justifiant déjà la gestion économique des aliénés sous le registre de la chronicité*

Désormais, lorsque le politique ou l’administratif prennent l’initiative, il faut bien constater que l’affaire se corse et n’entraîne pas l’adhésion facile.

Les termes sont d’ailleurs relativement interchangeables, maintenant, ou confondus sous le vocable de «tutelle». Cet amalgame est sans doute abusif, projectif, mais il est surtout consécutif au constat fait par le praticien de sa propre précarité, de son indigence face à un ensemble décisionnel dont il n’est plus.

La pauvreté de certaines équipes, leur propre dénuement qui les laisse bien en deçà des normes minimales reconnues, obère de fait toute demande sociale supplémentaire venant de l’extérieur. Certaines régions sont historiquement dépourvues depuis de nombreuses années et cela correspond le plus souvent à des populations se trouvant dans de grandes difficultés sociales. A cela s’ajoutent de nouveaux secteurs démunis en temps soignant ; il y a dix ans, on y retrouvait des équipes stables, engagées dans leurs pratiques et capables d’initiatives. Cette situation d’incurie, dont la motivation fut essentiellement économique, devait se développer dans une ambiance générale où la médecine était mise sous curatelle aggravée, du fait de sa prodigalité ou de son intempérance invoquée. Le médecin, suspect de délit économique vis à vis des comptes de la nation, devait y perdre beaucoup de son statut social, mais devait aussi se replier sur des valeurs défensives, parfois corporatistes, au détriment de son engagement social.

D’un coup de croissance, les arguments se sont fait soudainement moins pressants : les comptes de la sécurité sociale sont équilibrés et l’OMS vient de placer la médecine française au tout premier rang mondial , quand à l’accessibilité aux soins et à la qualité de l’équipement. Il fallait donc résister à «l’horreur économique», sans doute…

On mesure alors différemment la valeur des arguments , si culpabilisants, et la crédibilité de ceux qui les avançaient, incapables de prévoir les effets désastreux de l’évolution des démographies médicales et infirmières. Qui évalue les évaluateurs ?

Aux XIXèmes journées de la Société de l’Information Psychiatrique, qui se sont tenues récemment à Vannes, une enquête nationale à montré qu’un quart des psychiatres des hôpitaux auraient bien voulu quitter le service public; le motif le plus souvent invoqué était moins le statut, la carence en moyens que la bureaucratisation de leur métier. En écho à cela, une table ronde internationale faisait largement état, dans les pays développés, d’une situation de mondialisation bureaucratique, sous couvert de bonnes pratiques économiques. Au Danemark, les patients ne rencontrent plus des soignants, mais des protocoles; aux Etats Unis, le «managed care» décide le choix des thérapeutiques etc.. Tout cela s’accompagne naturellement d’une redéfinition des rapports soignants-soignés et d’une «judiciarisation» du risque thérapeutique.

Dans ce contexte, il existe dans notre corps de métier un sentiment flou, dépressif, parfois persécutif, ou chaque demande sociale nouvelle est suspecte. Pourquoi ? parce que les praticiens ont le sentiment d’avoir perdu l’initiative des projets institutionnels, d’être sur la résistance, la méfiance. Alors qu’ils étaient directement en prise avec le socius, ils ne le sont plus et doivent passer par des administrations plus ou moins anonymes, et surtout totalement intouchables. Les ARH et leurs DAR fonctionnent comme la commission de Bruxelles: pour le meilleur des mondes possible. Le choix des priorités par un autre devient un appareil à influencer les pratiques où chacun est mis en demeure d’exceller dans ce qu’il n’a pas choisi, notamment dans ce qui déroge à «l’human engineering», vis à vis duquel il a le sentiment que la société libérale avancée botte en touche. Ramasseur de balles, vous dis je….

Qui exige que ma conscience s’afflige de la misère de l’autre, alors même que ce mot prend des allures «politically soft» qui les technicisent en leur ôtant leur affectivité qui me touche ? me mobilise ? m’émeut ? une agence ? une mission ?

Qui m’enseigne encore que rien de l’humain ne m’est étranger ? Où sont mes pairs, avec lesquels je dois discuter de mes choix ? Qui partagent mes expériences ?

La médecine du contrat libéral, constamment redéfini lors de chaque rencontre avec le patient, enterre la vocation, avec des serments d’intronisation au métier brocardés car inutiles ou hypocrites* Quant à ceux qui sont en dehors de tout contrat de ce genre, et qui n’ont que leur force de misère à offrir… On verra plus tard.

Tout s’use, cependant.

Même le vocabulaire petit-bourgeois. «Le prestataire-de-soins- sollicité-par-l’usager-de la santé-mentale» commence à irriter , comme un gargarisme trop souvent répété.

Voilà quelques sentiments personnels sur l’ambiance générale. S’y ajoutent des particularités propres à la psychiatrie française. Celle-ci s’est en effet largement construite autour du «pattern» particulier des psychoses chroniques, lié à la psychanalyse et plus largement à l’historicité et à la narrativité du sujet parlant. Les champs du Savoir et des Savoir-faire étaient relativement superposables à celui des institutions . L’éclatement éclectique des savoirs est de moins en moins en rapport avec la diversité des interventions sociales. Les discours, le sujet, les doctrines se morcellent ; il y a comme un sentiment de dilution du sel du métier, un éparpillement sans fin, une perte d’identité ; comme si on exigeait d’un curé de ne faire que du catéchisme. Eloigné des psychoses, le praticien devient un psychiatre «in partibus», dans les pays occupés par les infidèles.

On comprendra alors la fin de ma réflexion: la difficulté réside dans la propre précarité psychique et politique du psychiatre des hôpitaux. Il nous faut récupérer notre pouvoir décisionnel et même notre vocabulaire: je veux bien m’occuper de l’humaine misère et prodiguer mes soins à l’indigent; d’ailleurs, j’en ai fait serment, naguère. Je n’ai que faire des figures en négatif de l’énarchie; la précarité vient de «obtenu par prière»; l’exclusion renvoie en négatif à «l’inclusion» du coléoptère dans un milieu polymérisé. Tant que leur propre précarité, leur passivité, leur perte d’initiative mettront les équipes sur la résistance, rien de bien nouveau sera possible.

Bibliographie

LANTERI –LAURA (G.)  La chronicité en psychiatrie, Paris, les empêcheurs de penser en rond, 1997.

GOUREVITCH (M.) Complexe d’Hippocrate et serment d’Œdipe, l’information psychiatrique, à paraître.

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