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Si tout le monde n’est pas psychotique, quelle offre ?

Jacques SIMONNET - Psychiatre des Hôpitaux, Chargé de Mission «Psychiatrie et Exclusion» par la DDASS - Paris

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°3 – L’offre de soin entre politique et subjectivité (Décembre 2000)

La question de l’exclusion interroge la notion de demande ou de sa prétendue absence de la part de ceux qui sont en cette situation. Il y a quelque intérêt à retourner la question sur ce que leur offre le secteur de psychiatrie. On sait que des franges successives de populations ne relevant pas de la stabilité ou d’une insertion personnelle dans la communauté n’ont plus été reçues par le secteur et ont été confiées progressivement à d’autres organismes : toxicomanes, alcooliques, handicapés, déments. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une incapacité des psychiatres à traiter ces pathologies. Ces exclusions successives résultent de points aveugles qui n’ont pas leur source dans l’incompétence  . Il s’agit d’un phénomène institutionnel qu’il convient d’analyser. L’offre de soins qui s’est définie progressivement dans le développement des pratiques sectorielles s’est limitée malgré notre vocation d’accueillir l’ensemble des souffrances psychiques d’une population donnée. L’abandon des toxicomanes à d’autres instances est à ce sujet très éclairant. Leurs passages à l’acte, leurs attaques du cadre, l’inutilité quasi totale des placements sous contrainte entraînait une désorganisation de l’institution. La mise en place de centres spécialisés qui représentaient en soi une démission des charges de secteur a été acceptée avec une passivité consentante.

Longtemps fixés sur la question de la déchronicisation, de la fin de l’asile, on a inventé les structures intermédiaires pour éviter la désinstitutionnalisation. Ce mouvement a été renforcé par une accélération  d’origine gestionnaire et politique : il fallait aller vers l’hôpital général en diminuant le nombre de lits et cadrer notre pratique sur le modèle gestionnaire de la santé. Dès lors nos modèles de soins se sont progressivement calqués sur les modèles médicaux. Le développement d’une psychopharmacologie calée sur des modèles behaviouristes a amené de nouveaux éclatements et un nouvel appauvrissement des missions de secteur. On ne doit accepter à l’hôpital que les «malades mentaux avérés». Le reste ne peut relever d’un prix de journée et doit rester hors hôpital.

Ce reste est dévolu aux équipes d’extra-hospitaliers. Là doivent être reçus ceux pour qui le soin ne se limite pas à la maladie mentale avérée. Il existe là encore une pratique relationnelle où le sujet est abordé dans sa totalité et le mot psychothérapie garde encore sa force ; il ne faut pourtant pas se faire illusion : l’idéologie «unaire», c’est à dire réduisant l’individu à son fonctionnement et l’isolant par le recours au concept de maladie psychopharamacologique progresse sans que nous en soyons toujours bien conscients.

Or surgit brutalement le tourbillon suscité par l’apparition de la précarité et de l’exclusion au bord du cadre qu’avait définit le secteur. La réflexion sur une offre de soins en direction de ces personnes fait apparaître les profonds clivages qui se sont constitués à l’intérieur de ce qu’offrait la psychiatrie publique. On peut repérer trois sous-ensembles qui  en s’interpénétrant créent des points aveugles.

Le premier associe ce qui relève du placement sous contrainte  et de l’acuité psychiatrique. Là le soin médical prend toute sa force en dissimulant sa négation de la personne. Car la pratique pharmacopsychiatrique n’est plus en soi liée à celle-ci. L’offre est celle d’une guérison sur un mode médical, de désordres neuro-transmetteurs, dans un projet réglé sur un temps gérable. Elle est calquée sur notre nécessité de voir disparaître le désordre psychiatrique. De ce fait service libre et placement sous contrainte se retrouvent réunis dans le même type de projet. Seuls sont à l’hôpital les malades psychiatriques avérés et ceux qu’il est impératif de soigner.

Le second sous ensemble est celui des files actives du secteur. L’exigence de la sacro-sainte demande définit l’offre. Ne seront  gardés que ceux qui sont capables de prendre en main leur souffrance et de nous garder. Nous sont aussi imposés d’autres dont la gravité des troubles imposent des soins que nous ne voudrions cependant pas réaliser à tout prix. Bien des nuances existent entre ces deux extrêmes, mais on doit constater que nos cohortes tendent à s’uniformiser sur le type des schizophrènes stabilisés au prix d’un travail (infirmier et social) relationnel intense, une passivation par les médicaments. S’étonnera-t-on d’entendre dire que le secteur a pour vocation de s’occuper des psychotiques ?

Le dernier sous-ensemble de «mentaux» garnit tous les interstices restants. Là, souffrance et comportement dépassent le secours social, se retranchent du soin. Qu’avons nous à offrir à tout ce monde ? Si nous avons pu avoir l’illusion de détruire l’asile, d’humaniser les hôpitaux, il nous faut voir ce qui se passe dans la rue. Les exclus se voient trop et nous montrent du doigt. Ils paraissent dérangés, mais surtout dérangeants, suscitant pitié et répression avec un peu de honte à cacher. Folie de quoi, de qui, par qui ?

Les limites du raisonnable se sont déplacées et le secteur ne veut offrir que le raisonnable. Le système est ciblé sur l’efficacité et un rôle social déterminé. Que faire en cette galère ? Galère que perturbe l’exclu qui y débarque. Sa maladie est bizarre, sa clinique atypique. Il fout en l’air notre temps, envahit l’espace des autres, nous veut sous la main, jaloux de notre présence, furieux de notre présence et mésusant du temps réglementé qu’on leur offre. Ah ! bien CQFD, la psychiatrie de secteur (pas les psychiatres) ne peut s’occuper des exclus car elle n’a rien à offrir de convenable. L’impuissance du psychiatre est secrétée par un système auto-stable et que les exclus mettent en péril. Le premier écran est notre crainte d’un retour à l’asile. MAIS C’EST A L ASILE DANS LA RUE QUE NOUS SOMMES CONFRONTES QUAND NOUS SORTONS. S’asseoir à côté d’un exclu c’est déjà reconnaître cette institution. Que faire sinon galérer en sachant que réfléchir sur quoi offrir à l’exclu requiert d’accepter une remise en question personnelle et institutionnelle afin d’approcher cette souffrance. Ceux qui refusent notre offre, les « exclus « sont des «refusants» actifs qui ont beaucoup à nous apprendre. Ils doivent nous déranger dans notre offre et c’est avec eux et avec ceux qui les accompagnent que seront trouvées les voies d’approche de leur souffrance (psychique) et de leur place (citoyenne).

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