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L’adolescent, l’identité et la violence scolaire (1)

Jean-Jacques JORDI - Historien, Coordonnateur de Réseau d'Education prioritaire, Marseille

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Sciences de l'éducation, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°6 – Jeunesse, le devoir d’avenir (Octobre 2001)

Il n’est pas un jour sans que l’on entende ici ou là parler de violence scolaire. De la même manière, en règle générale, la communauté éducative qui regroupe enseignants, personnel de direction et d’administration, surveillants, aides-éducateurs, évoque régulièrement l’incivisme, l’irrespect de ces « jeunes », autant dans l’enceinte scolaire qu’à l’extérieur. On a souvent évoqué la violence en milieu scolaire – nous nous situons ici dans le cadre d’une population scolaire de collège – au travers de plusieurs éléments constitutifs de cette violence. Tout d’abord, l’idée que l’école en elle-même génère une violence qui est celle issue de la volonté affirmée de l’Etat d’intégrer-assimiler tous ceux qui passent par l’école comme l’on passerait dans un moule, moule républicain, laïc et gratuit. Cependant, contrairement à une idée reçue, la France n’a pas refoulé dans son école les « petites patries » (la Bretagne, la Corse, la Provence, l’Alsace, l’Auvergne…), mais a considéré l’ethnicité comme polyethnique et historicisée. L’école de la République a crée un fort sentiment d’appartenance à la France sans véritablement se couper des patries ou terroirs d’origine. De fait, l’école a été et reste puissamment intégratrice. Un enfant peut ne pas être français, mais l’élève, parce qu’il est élève de l’école française, au sein de la société française, est un élève français nous rappelle Abdelmalek Sayad2. Ensuite, on a avancé l’idée que la violence est liée à l’échec scolaire, lui-même fait social lié à des mécanismes sociaux d’exclusion qui existent dans la société. Une des premières victimes de ces exclusions sont historiquement les immigrés et par conséquent leurs enfants. L’école étant le reflet de la société, aucun changement n’était possible sans bouleversement de la société. C’était juste oublier qu’aucune société n’est immuable, que l’école a parfois un peu d’autonomie, et que, surtout, il n’y a pas de causes spécifiques à l’échec scolaire des jeunes issus de l’émigration. Comme le faisait remarquer un Inspecteur de l’Education nationale, la « pauvreté n’est pas gage de l’indignité ». Enfin, mais il ne peut s’agir là d’une revue de détail, on a avancé que la constitution de classes au collège, parce qu’elle est ethniquement inégalitaire – pour parler clair, des classes de « blancs », des classes de « noirs », des classes « d’arabes » – produirait des blessures et des douleurs, lesquelles, de manière inéluctable, déboucheraient sur une violence quasi dramatique3. Combien de fois ai-je entendu : « Ils (les enseignants) nous font pas travailler parce qu’on est arabe ». Et quand je leur disais : « et quand vous avez du travail, vous le faites ? » La réponse était invariable : « non, puisque ça sert à rien ! »

Forts de ces connaissances, avec ses possibilités, et sans que cela puisse être considéré comme une expérience, les communautés éducatives de deux collèges de Marseille avec lesquels je travaille, ont décidé que ceux qui étaient les mieux placés pour constituer les classes de 6ème étaient les instituteurs et professeurs des écoles. Le principal critère restait la constitution de classes hétérogènes. De fait, les sentiments réels d’injustice ou de victimisation qui pouvaient exister avec une affectation dans une classe segréguée s’en trouvaient sinon disparus, au moins affaiblis4. Ensuite, la violence constatée les années précédentes a imposée à la communauté éducative de mettre l’accent sur la nécessité d’affirmer l’existence de règles, l’existence d’un règlement de l’établissement, et l’existence d’une référence commune aux élèves comme à l’ensemble de la communauté éducative permettant l’émergence d’un sentiment d’appartenance à une même « polis ». Sans doute ici, les caractéristiques de Marseille et de sa culture locale favorisent l’adhésion à une forte identité collective, et particulièrement en milieu populaire et immigré5. En ce sens, pour les collégiens, l’identité locale prend nettement le pas tant sur l’identité d’origine que sur l’identité nationale. Enfin, l’inscription de chaque élève dans son histoire, dans un projet de vie soutenu par des actions spécifiques (culturelles et artistiques, scientifiques, sportives, actions de prévention des conduites à risque…) permet à l’élève de se situer et de comprendre pourquoi il se trouve ici et pas ailleurs…

Pour autant, des problèmes subsistent. Si l’on constate une amélioration du comportement dans les classes de 4ème et de 3ème, les classes de 6ème semblent avoir quelques difficultés qui génèrent de la violence, et que le rappel à la loi ne peut contenir. Sans doute, ne fait-on pas évoluer des a-priori sur tel ou tel collège en une ou deux années, et que si tel collège passe pour être le collège des « arabes et des Comoriens », donc un « mauvais » collège au regard des autres, il est à craindre que cette réputation lui survive encore, quand bien même ses résultats seraient en progression. Sans doute aussi, la mise en concurrence illégitime, faite les années précédentes, entre la « compétence » mythique  de l’institution-école et la « compétence-incompétence » des parents a t-elle engendré une violence sourde contre ceux – les enseignants – qui n’arrivaient pas à faire travailler les élèves suffisamment pour obtenir des résultats convenables. Il conviendrait en effet de voir comment l’institution scolaire, après avoir déligitimé le rôle et le pouvoir des parents, peut redonner du sens à l’autorité parentale… et non aux grandes soeurs ou aux grands frères. Il nous faut donc, en plus que ce que nous avons dit, chercher ailleurs dans un double enjeu : faire de l’établissement scolaire un espace d’apprentissages, de socialisation et de civilité au rapport de la loi, et l’enjeu de ne plus ségréguer les différences mais de vivre ensemble.

Notes de bas de page

1 Il s’agit dans ce texte de réflexions et d’opinions personnelles au regard d’une pratique de terrain nourrie de recherches sur l’histoire des migrations.

2 Directeur de recherche au CNRS (aujourd’hui disparu) Contribution inédite au rapport Jacques Berque.

3 Il reste toutefois le délicat problème de l’orientation après la classe de 3ème.

4 On pourrait avoir une réflexion semblable sur les pratiques « répressives » (punitions) différenciée aux élèves de certaines classes par rapport à d’autres. S’il n’existe plus de classe reléguée, le système de punition ne peut plus être différencié.

5 On verra sur ce point l’étude Migrants et sociétés urbaines en Europe, l’exemple de Marseille et de Francfort-sur-le-Main, GAPRETS, Université de Luminy, 1995-1997, et le document de synthèse paru dans Migrations Etudes, ADRI, Paris, Octobre 1999.

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