Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002) // Autrefois comme aujourd’hui, les trains qui passent…

Autrefois comme aujourd’hui, les trains qui passent…

Gérard MASSE - praticien hospitalier au Centre Hospitalier Sainte-Anne, Coordinateur de la MNASM

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002)

Chacun se souvient de la formule de Claude Bernard : « La médecine n’est ni un art ni une science, c’est un état comme l’agriculture« . Si l’on accepte et que l’on vit une telle condition d’artisan, épris du métier, il n’est décemment pas possible de faire le coup du « l’agriculture cela eut payé mais cela ne paye plus » alors que nous continuons à faire un très beau métier, ce qui mérite d’être dit, avant toute chose.

Au-delà de sa technicité, la médecine, et donc la psychiatrie, se présente comme une situation sociale dévolue par le groupe auquel elle appartient. Le savoir technique et la fonction sociale des psychiatres évoluent, de façon de plus en plus rapide au fil du temps.

En son temps, notre société s’est dotée de techniciens pour organiser la perte de liberté des aliénés. Elle a donc créé les aliénistes. Et puis ce fut, Edouard Toulouse très contesté par la profession, la politique de secteur, avec ce que cela implique « de souplesse, d’adaptation à la réalité sociale1« , le développement de la psychiatrie privée. Dès la fin des années 60 Henri Ey se félicitait que « le psychiatre ne s’occupe plus seulement du « grand aliéné » et pointait que cette extension comportait des « inconvénients théoriques et pratiques » parmi lesquels il précisait la nécessité « que les services publics de psychiatrie soient intégrés aux hôpitaux généraux2« . Au même moment, Georges Daumezon formulait la principale question car tout en dépend : « au nom de quoi la société se préoccupe de la santé mentale3 « ? Question qu’il ne cessait de poser depuis la Libération.

Actuellement, de partout, on entend qu’on nous demande d’intervenir au-delà du champ strict de la discipline, que nous avons été formés pour prendre en charge les pathologies  mentales « pures et dures », que nous ne pouvons faire face au vertige induit par des sollicitations multiples, que nous sommes appelés à tous propos au delà de notre champ d’intervention.

Fréquemment, la souffrance psychique relève plus d’une mauvaise santé mentale que de pathologies avérées qu’elle précède souvent comme le montrent les données épidémiologiques, les conférences régionales de santé, la conférence nationale de santé. Notre absence est trop souvent regrettée auprès de populations qui demeurent sans réponses : exclus, victimes d’addiction, séropositifs, etc…ce que nous appelons « les trains qui passent ».

Sommes-nous confrontés à une psychiatrie d’extension excessive ? Non, tout simplement à une psychiatrie qui se veut fidèle au secteur, voulant s’adapter aux demandes qui lui sont faites dans un contexte de proximité et avec disponibilité, d’une psychiatrie qui se déplace et n’attend pas qu’on vienne vers elle, qui sait que la clinique ne se résume pas aux chapitres de nos manuels et apparaît, constamment, évolutive.

Certes, ces dernières années, les équipes de psychiatrie de secteur sont de plus en plus impliquées dans des réseaux constitués autour de certaines pathologies (VIH, cancer, périnatalité etc …) ce qui correspond assez bien au concept de psychiatrie de liaison (qui ne s’applique pas seulement aux disciplines somatiques). La souplesse est alors de règle dans un mouvement spontané à côté des institutions lourdes, permettant un passage d’informations, une mise en commun momentanée de moyens, une réponse modulable pour être efficace et adaptée. La coordination n’est pas alors nécessairement centralisée par un médecin, elle peut changer d’une situation à l’autre en fonction des besoins et des habitudes de travail. Il s’agit d’un abord collectif pour maîtriser la complexité des pathologies les moins accessibles et l’on comprend pourquoi les premiers réseaux se sont constitués en réponse aux besoins de personnes elles-mêmes regroupées en réseaux : toxicomanes, alcooliques, sidéens, etc …Il n’en demeure pas moins que les thèmes prioritaires d’application au champ médico-social et social des réseaux au sein desquels la psychiatrie doit prendre la place qui lui revient sont :

– les réseaux gérontologiques coordonnés favorisant le maintien au domicile,

– les réseaux alternatifs ou complémentaires à la prise en charge à temps complet ou partiel des handicapés,

–  l’accès aux soins des plus démunis,

– les réseaux de soins concernant certaines pathologies à forte composante sociale (conduites addictives, sidéens).

Au-delà du « concept de liaison » applicable non uniquement aux complémentarités nécessaires avec les soins somatiques, la santé mentale s’est élargie à de multiples interactions entre les personnes et leur environnement qu’il s’agisse des jeunes, des migrants, du milieu du travail, des politiques de prévention ou de l’impact de la pauvreté. Il nous faut travailler avec d’autres, notamment parce que nous ne pouvons apporter qu’une partie, certes indispensable voire essentielle, des solutions possibles.

Comment ne pas s’en féliciter non pas du fait « de nouvelles parts de marché » mais parce que nous pouvons être mieux et plus utiles.

Evidemment, il n’est pas question de dire qu’il faut répondre à toutes les demandes : la possibilité du oui suppose celle du non, un non argumenté réfléchi, éthique. Mais à l’inverse, on ne peut faire comme si la psychiatrie était une discipline an-historique, centrée sur une psychose détachée de toute pesanteur sociétale. Pourquoi avoir refusé les toxicomanies lorsqu’elles constituent le vêtement d’arlequin de nombre de processus psychotiques chez les jeunes ? On devrait faire retour sur ce qui a conduit la psychiatrie publique à réfuter la pertinence de sa pratique sur certaines formes de délinquance, sur l’addictologie alcoolique, plus récemment sur les nouvelles formes de psychopathologies de la modernité avancée.

Hier comme aujourd’hui, refuser de prendre les trains qui passent au nom d’une pureté professionnelle intrinsèque, cela se discute.


Notes de bas de page


1 E. TRILLAT. Où va la psychiatrie de service public ? L’Information Psychiatrique. 1984, 60, n° spécial, 1159-1168.

2 H. EY – L’abolition des principales dispositions de la loi. L’exception de 1838 sur l’effet et la condition de progrès de l’assistance psychiatrique. Annales Médico-Psychologiques 1967, 2, 608-614.

3 G. DAUMEZON. La psychiatrie face aux données modernes de la psychiatrie d’adulte. Rapport introductif à la troisième réunion d’étude de la XIIIème Assemblée Fédérale des Croix Marines.

Publications similaires

Aspects cliniques sur le consentement à la sexualité à l’hôpital psychiatrique

droit - sexualité - consentement

Alain MERCUEL - Année de publication : 2016

Edito, Ambiguïté de l’accompagnement, précarité de la transmission

psychiatrie publique - précarité - hôpital - hôpital - hôpital - TRAVAIL SOCIAL - accompagnement - psychiatrie publique - temporalité

Jean FURTOS - Année de publication : 2012

Le recours à l’hospitalisation doit rester rare dans le parcours de l’adolescent

récit - pédopsychiatrie - adolescence - hospitalisation