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Chronique sur 35 ans de sectorisation psychiatrique

Jean-François BAUDURET - a participé à la rédaction des textes législatifs sur la Psychiatrie entre 1983 et 1994, en tant que Chef du Bureau Psychiatrie à la DGS de 1983 à 1989, Sous-Directeur de la Direction des Soins à la Direction des Hôpitaux de 1989 à 1994. Il est actuellement Conseiller technique à la DGAS.

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES MEDICALES, Psychiatrie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002)

I – Un concept novateur resté inappliqué pendant 12 ans

Une idée géniale repose souvent sur un concept simple et logique : c’est le cas du secteur psychiatrique. Quoi de plus logique en effet que de considérer que la prévention, le diagnostic et les soins psychiatriques sont organisés par une même équipe délivrant ses prestations dans la cité comme à l’hôpital. Le secteur repose donc sur un continuum « dedans – dehors » et sur l’unicité du pilotage de ce dispositif par des acteurs appartenant à une même équipe pluridisciplinaire, garantissant notamment la continuité des soins.

A cet égard, la circulaire du 15 mars 1960 qui a fondé la sectorisation psychiatrique est un texte révolutionnaire, conçu par une administrative inventive Marie-Rose Mamelet1 avec la complicité active de quelques psychiatres dynamiques tels Le Guillan, Mignot, Bonaffé, Bailly-Salin et quelques autres. Il est rarissime qu’une administration devance à ce point la réalité des pratiques. Elle se contente généralement de prendre en compte avec retard les  innovations du terrain.

Malheureusement cette circulaire, particulièrement novatrice, était trop en avance sur son temps et les forces conservatrices ont su pendant 12 ans faire en sorte que ce texte fondateur ne trouve aucune application autre que les quelques oasis cultivées par des psychiatres déjà adeptes d’une psychiatrie communautaire et souhaitant rompre avec la majorité de leurs confrères, restés des médecins aliénistes avec la meilleure conscience du monde.

Ce n’est en effet qu’à partir de 1972 que l’on assiste à un certain décollage de la sectorisation et à la création de structures extra-hospitalières : les dispensaires d’hygiène mentale (comme on disait alors), les hôpitaux de jour, le développement des « visites à domicile » permettant de maintenir dans la cité la personne atteinte d’une affection mentale. Certes le développement de ces pratiques reste disparate et le découpage en secteurs psychiatriques correspond encore trop souvent à un concept vide, non encore habité par des pratiques thérapeutiques hors les murs. On peut dire aujourd’hui que la psychiatrie publique a perdu 12 ans et a laissé passer une chance historique de se rénover rapidement grâce à un contexte économique favorable et un mécanisme de financement souple et efficace. Les actions extra-hospitalières étaient en effet financées sur des dépenses obligatoires de groupe I, destinées à lutter contre ce que l’on appelait alors les fléaux sociaux (tuberculose, maladies vénériennes, alcoolisme, toxicomanies..) et développer des actions de prévention (vaccinations, protection maternelle et infantile …).

Ce mécanisme de financement était particulièrement « hérétique », mais d’une efficacité sans pareille pour développer une politique dynamique de santé publique : l’Etat remboursait en effet à hauteur de 83% en moyenne le coût des actions décidées par les Conseils généraux. Ainsi la collectivité départementale décidait d’une dépense dont elle n’assurait que 17% du financement ! Si dans les années 60, les psychiatres avaient sollicité les Conseils généraux pour créer des postes en extra-hospitalier, nul doute que les Présidents de Conseils Généraux les leurs auraient accordés comme ce fut le cas dans les années 70, au cours desquelles les dépenses extra-hospitalières d’hygiène mentale ont progressé selon des taux qui nous font rêver aujourd’hui : 20 à 30% l’an ! Rappelons qu’à l’époque l’extra-hospitalier (à l’exception des hôpitaux de jour) relevait de la seule responsabilité des psychiatres, chefs de secteur et non des directeurs des établissements hospitaliers de rattachement. Bon nombre de psychiatres apprirent à utiliser le mécanisme du « financement croisé » des dépenses d’hygiène mentale, mais une décennie trop tard. D’autres ne bougèrent pas et se trouvèrent fort dépourvus lorsque l’austérité budgétaire fut venue.

II.    Le tournant des années 80 : une réforme tardive

A la suite des divers chocs pétroliers et de la crise économique qui s’ensuivit, les années 80 furent en effet marquées par une volonté de maîtrise rigoureuse des dépenses, qu’il s’agisse des crédits de l’Etat, comme de ceux de l’assurance maladie.

La loi du 22 juillet 1983 relative aux transferts des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales avait mis fin au paradis de financements croisés des dépenses d’hygiène mentale et confié à l’Etat seul le soin de financer sur ses crédits les actions extra-hospitalières en psychiatrie.

Les exercices 1984-1985 furent particulièrement difficiles : sur les 2,5 Milliards de francs que coûtait la psychiatrie de secteur,  200 MF n’avaient pas été transférés du budget des départements sur celui de l’Etat et par ailleurs le ministère de l’Economie et des Finances s’employait scrupuleusement à refuser toute progression de ces dépenses, afin de pousser le ministère des affaires sociales à mettre ces crédits à la charge de la Sécurité Sociale. Nous étions alors dans une impasse financière, il fallait donc en sortir par une réforme.

La première étape consista a légaliser enfin le secteur psychiatrique. Ce statut juridique fut donné par la loi du 25 juillet 1985. Le secteur psychiatrique, dans sa double dimension intra et extra-hospitalière, fut juridiquement consacré en tant que mode d’organisation de base de la psychiatrie publique permettant d’assurer la continuité des actions de prévention de diagnostic et de soins en faveur d’une population résidant dans une aire géographique donnée et ce, dans le respect du libre choix du malade.

Cet article de loi a par ailleurs institué un nouvel organisme consultatif : le conseil départemental de santé mentale. Cet organisme était chargé de donner un avis et de faire des propositions sur les moyens qu’il convenait de mettre en oeuvre afin de mieux adapter nos dispositifs publics et privés de lutte contre les maladies mentales aux besoins des populations. Ce nouveau conseil constituait un échelon déconcentré de concertation et de propositions associant, non seulement les principaux professionnels publics et privés concernés par la psychiatrie, mais aussi les caisses de protection sociale, les élus départementaux et municipaux ainsi que des représentants des familles de malades.

La loi du 25 juillet 1985 constituait une étape importante et nécessaire à la réforme envisagée mais il restait à réaliser l’essentiel : permettre que le principe de la continuité des soins entre l’intra et l’extra-hospitalier qui venait d’être légalisé trouve sa traduction dans une enveloppe budgétaire unique financée par l’assurance maladie, enveloppe qui soit gérée pour le service public par un seul organisme : l’hôpital.

C’est ce que réalisent les lois des 30 et 31 décembre 1985.

Ainsi , la loi de finances pour 1986 (loi du 30 décembre 1985) dans son article 79 mit, à compter du 1er janvier 1986, les dépenses de lutte contre les maladies mentales exposées au titre du nouvel article L326 du code de la santé publique à la charge de l’assurance maladie.

La loi n° 85-1468 du 31 décembre 1985 relative à la sectorisation psychiatrique tira les conséquences de la loi précitée en instaurant 5 principaux types de dispositions :

–          la mise en place  d’une véritable carte sanitaire de la psychiatrie (articles 1 et 2),

–          la possibilité pour l’hôpital de gérer des équipements alternatifs à l’hospitalisation et de dispenser des prestations en dehors de ses murs (article 3),

–          l’intégration dans la dotation globale hospitalière du financement des services publics départementaux participant à la sectorisation psychiatrique qui furent mis à la disposition de l’hôpital (articles 5 et 6),

–          la mise à disposition en 1986, puis l’intégration, à partir de 1987, à l’hôpital des personnels des collectivités territoriales, titulaires ou non, travaillant dans les secteurs psychiatriques (articles 8 et 14).

En application des lois du 25 juillet et du 31 décembre 1985, un décret du 14 mars 1986 est venu préciser l’organisation de la sectorisation psychiatrique.

Cette réforme, dans sa double composante organisationnelle et financière, fut globalement bien accueillie par les syndicats et organisations représentatifs de la psychiatrie publique.

Elle fut suivie par de nombreux autres textes destinés à conforter l’organisation de la psychiatrie et faciliter son fonctionnement.

III – La refondation de la politique de santé mentale et de la sectorisation en 1990

La circulaire de 14 mars 1990, publiée au Journal Officiel, a incontestablement refondé, trente ans après la circulaire du 15 mars 1960, les grandes orientations de notre politique de santé mentale. Ce texte reste à mon sens d’une grande actualité et mérite qu’on s’y attarde quelque peu.

La circulaire ne se contente pas d’évoquer l’organisation des soins centrée sur le secteur, elle met aussi l’accent sur une véritable dimension de santé publique : amélioration de la connaissance épidémiologique des besoins, développement de programmes de prévention, décloisonnement entre la psychiatrie et les soins généraux, actions prioritaires en direction des adolescents et des personnes âgées, respect du libre choix de l’usager, développement de prestations intersectorielles, déploiement des moyens sur l’extra-hospitalier. Ce texte a également pour originalité de détailler les niveaux que devraient atteindre en 5 ans chaque secteur psychiatrique notamment en matière d’accueil et d’urgence, de prestations extra-hospitalières, de soins à temps complet, de réadaptation…

En guise de conclusion provisoire :

Malgré la maîtrise des dépenses et la compression des moyens, le secteur psychiatrique reste globalement une réussite : en 1999, 86% des patients sont suivis à domicile ou sur un mode ambulatoire, 11% au sein de services à temps partiel (CATTP, hospitalisation de jour et de nuit) et 27% en hospitalisation à temps complet. Ces proportions ne sauraient s’additionner puisque certains patients itinèrent d’un mode de prise en charge à un autre au cours de la même année. Il reste que globalement une très large majorité de la file active est suivie et traitée hors les murs de l’hôpital.

Le bilan de la sectorisation psychiatrique est globalement positif, même si son mode d’organisation reste très perfectible et ne doit pas constituer un dogme intangible.

Notes de bas de page

1 Marie Rose MAEMELET, fille d’un directeur à l’hôpital psychiatrique connaissant particulièrement bien la réalité asilaire.

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