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Sommes-nous toujours des médecins ?

Nicolas VELUT - Psychiatre, CHU Toulouse

Année de publication : 2008

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Médecine, Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°30 – Traverser la confusion (Mars 2008)

« Cette plaignante avait raison, que je refusais un jour d’écouter jusqu’au bout, et qui s’écria que si le temps me manquait pour l’entendre, le temps me manquait pour régner. » Marguerite Yourcenar, Les mémoires d’Hadrien.

Il n’a, je pense, échappé à personne que coexistent, ici et maintenant, des visions bien différentes de la médecine, sous-tendues par des positions éthiques de plus en plus éloignées, voire inconciliables, et que l’on voit de plus en plus au CHU se développer au sein de « pôles » d’excellence une pratique d’experts orientée vers ce que j’appellerai une « médecine d’organe », technicienne et se reconnaissant dans la métaphore de la réparation, où l’humain n’est plus considéré que sous l’angle d’une partition et d’une partialisation de l’objet. On peut ainsi, après le passage quasi obligé aux urgences, être orienté vers le « pôle cœur-poumon » à moins que ce soit le pôle « digestif », ou autre…

Ce parti pris faisant de la santé un bien de consommation a comme effet de renforcer ce penchant de la médecine qui a oublié ce que veut dire « prendre soin de quelqu’un » ; cette médecine se rapproche de plus en plus de ce que j’appellerai une « médecine pulsionnelle », ignorant l’espace subjectif qu’il existe entre la lésion et la plainte, l’écart qu’il existe au sein même du symptôme, entre ce que le corps vit et ce qu’il en est dit, et par lequel se glisse tout un tas de choses de l’ordre de l’inconscient et du social, l’ignorance de cette faille aboutissant à une clinique du corps désarrimé du langage… Et c’est ainsi que tous les « inclassables » des pôles, ceux dont le symptôme n’a pas la chance d’être entendu et compris dans ce système d’encodage, ne franchissent que très rarement la barrière des urgences et sont renvoyés vers l’extérieur. Peut-être est-ce d’ailleurs une bonne illustration de ce qu’il en est d’une position d’exclusion subjective que ces symptômes qui ne disent tout à coup plus rien à personne, qui ne « parlent », plus comme on dit… à l’hôpital comme ailleurs ! Exit les inclassables ! A la casse !

Il semble donc qu’il ne devrait plus actuellement rentrer dans les attributions des médecins hospitaliers d’écouter ce que leurs patients ont à leur dire !  Cette mission serait plutôt, paraît-il, à chercher du côté des assistantes sociales. C’est en effet ce que m’a appris un professeur de médecine, président d’une sous-commission de la CME destinée à recevoir les futurs Praticiens Hospitaliers, devant lequel je me présentais et à qui j’expliquais la nature de mon travail déjà débuté depuis plusieurs mois. Je suis en effet, depuis début 2006, en charge de l’Unité de la Souffrance Psycho-Sociale du CHU de Toulouse. A ce titre, j’interviens, entre autre, dans des structures institutionnelles auprès de « professionnels de première ligne » eux- mêmes au contact des publics en grande précarité, en animant des groupes de supervision et d’analyse des pratiques auprès de différents dispositifs à caractère sanitaire et social. Ce travail consiste donc à aider le groupe à élaborer un discours institutionnel cohérent visant des situations très déstructurées et déstructurantes qu’ils rencontrent, et leur permettant de porter et supporter des histoires singulières et des situations subjectives extrêmement lourdes, et offrant par là-même la possibilité de réinscrire des sujets en état d’exclusion dans un processus de « socialisation » quel qu’il soit, y compris d’ailleurs à caractère sanitaire et psychiatrique, le cas échéant. Il s’agit donc d’une activité s’apparentant à de la psychothérapie institutionnelle privilégiant l’écoute et la réintroduction de la parole dans des rapports qui sont souvent oblitérés par l’objet et l’acte, visant à ré humaniser la relation par le soutien d’un au-delà de la prestation de service…

C’est donc ce que j’expliquais devant cette commission, dans un silence qui ne me semblait toutefois pas trahir une attention intéressée et soutenue ! La conclusion à mon exposé fût pour moi brève et cinglante, apportée comme il se doit par ce professeur président la commission sous la forme d’une question qui claque encore à mon oreille : « Ne croyez-vous pas qu’une bonne assistante sociale ne serait pas ici plus indiquée ? »… !!!

Ma question est donc : sommes-nous toujours des médecins si nous ne sommes plus capables d’entendre ce que nos patients ont à nous dire ? Pourquoi faudrait-il faire un choix entre science et subjectivité, l’une excluant l’autre. Il me semble avoir appris que la médecine est un art, et non une science (ni d’ailleurs une idéologie). Un art, c’est me semble-t-il une tentative, certes imparfaite et qui échoue toujours partiellement, de rendre compte du réel de la pulsion dans l’ordre du langage. C’est à oublier ça qu’un clivage s’opère immanquablement, et qu’on fini par traiter des organes, non plus des êtres humains. L’hôpital public n’a pas à être le lieu d’affrontement de ces deux conceptions du soin. Il n’y a pas de choix à faire !

En guise de conclusion, je veux justement raconter une histoire d’assistante sociale, qui m’a été rapportée il y a quelques mois. Il s’agissait d’un homme âgé, passé par les urgences et adressé dans un service de chirurgie pour y subir une intervention urgente. Les suites de l’intervention ont été simples, et une dizaine de jours plus tard, un retour à domicile a été programmé, avec rendez-vous à distance et soins de suite. Rien de plus normal dans l’activité d’un tel service… A y regarder de plus près, par contre, aucun des chirurgiens ne semble s’être soucié de ce qu’était le « domicile » de cet homme… et son domicile, justement, c’était un hall de gare. Plus inquiétant encore, aucun des médecins du service n’avait voulu contacter le psychiatre de liaison pour faire examiner cet homme dont les propos traduisaient de façon évidente un délire de persécution systématisé, délire qui l’avait fait quitter son appartement quelques temps avant, d’après son assistante sociale qui le connaissait bien et depuis longtemps, et s’était beaucoup investie dans l’histoire. L’homme est donc sorti, comme convenu, au bout d’une dizaine de jours, avec des drains dans l’abdomen nécessitant des conditions d’asepsie qui ne sont certes pas celles d’un hall de gare, et des rendez-vous infirmiers et médicaux dont on pouvait être à peu près sûr qu’ils ne seraient pas honorés… Qui peut me dire quel sens aura eu pour cet homme les soins qu’il a reçus ? Les suites ont été simples, comme on dit, et la durée de séjour n’a pas excédé la moyenne prévue pour ce type de pathologie, ne dépareillant pas la statistique. Aucune question n’ayant été posée ailleurs que dans le domaine intéressant directement l’activité du pôle, rien ne risquait donc de la perturber ! Par contre, je suis sûr que l’assistante sociale du service, elle, ne l’a pas oublié, qui a voulu alerter les médecins sur la condition sociale et psychique de cet homme, et qui, faute de n’avoir pas été entendue, a elle-même contacté la Halte Santé, structure alternative à caractère sanitaire et social, pour qu’il puisse au moins bénéficier d’un cadre de sortie adapté à son état de santé. J’ai tendance à considérer que si les chirurgiens ont certainement guéri cet homme, et peut-être même lui ont sauvé la vie, c’est cette femme qui l’a soigné.

Etait-ce vraiment à elle de le faire ?…

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