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Créer les conditions de possibilité de la parole. Une dangereuse autonomie

Jacqueline DHERET - Psychanalyste, Membre de l’ECF, Enseignante à la section clinique de Lyon

Année de publication : 2011

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°41 – Le prendre soin a-t-il encore une langue? (Avril 2011)

Nous sommes dans le contexte d’une pratique voulue par des psychanalystes, qui reçoivent dans une institution dont ils ont eu l’initiative, le CPCT Lyon1. Une pratique thérapeutique, donc, qui s’oriente de la clinique analytique, bien que les conditions qui permettent l’exercice d’une cure ne s’y trouvent nullement réunies… Une institution où l’on met l’accent sur la présence réelle, l’ici et maintenant, sans insister trop sur le : « Venez parler ».

La prudence, en psychanalyse, vise la singularité de l’impasse d’un sujet, pris dans les rets d’une demande plus ou moins explicite : comment décider de ce qui se présente le plus souvent de façon irruptive, comment alléger l’identification mortifère qui conduit vers nous ? Comment trouver un point d’arrêt au déchaînement qui a pour effet un retrait du lien social ? Quel frayage préalable est possible, facilitant une « trouvaille » provisoire qui limitera le risque de passage à l’acte ? Comment donner la parole à ce qui n’a pas de place, ce qui suppose de faire de la souffrance humaine une affaire d’éthique et non de pathologie ?

Créer les conditions de la parole

Le projet du CPCT repose sur une analyse réaliste des conditions de la parole, pour nombre de personnes qui se trouvent aujourd’hui en situation de précarité.

La dimension institutionnelle sert d’abri et permet d’accueillir ce qui rend impossible ou difficile l’adresse à un analyste en cabinet. Elle soulage aussi de ce qui, dans le champ social, est occasion d’injections imaginaires, selon des idéaux uniformes.

Nous notons plutôt, selon l’expression d’Alfredo Zenoni2, que ceux que nous recevons sont « dramatiquement autonomes ». Ils font sans les autres et ce phénomène ne correspond pas à une structure clinique unique, mais à un changement d’accent dans l’orientation de la vie sociale contemporaine.

Le délitement actuel du lien social, la difficulté rencontrée dans le rapport à l’autre, le statut de la parole aujourd’hui, toujours au service du bien, nous conduisent à tempérer la notion de demande.

La formation du mythe du sujet autonome implique, en effet, une dégradation du statut de la parole. Une parole qui ne se supporterait plus du malentendu, qui ne serait plus infiltrée de satisfaction, mais qui produirait des effets de désignation en série. Avec, en contrepoint, une invitation à faire du rapport de chacun à sa vie, à son travail, à sa maladie etc. un « storry telling » permanent.

Au CPCT, nous créons un vide propre à recevoir la perplexité, le « trop » de chacun. La raison clinique des premières visites que nous nommons consultations est de permettre que le sentiment d’être étranger à soi-même et à la vie, impossibles à dialectiser, se répercutent en un dire que le sujet puisse assumer.

Dans la rencontre avec l’analyste, le malaise informe peut muter en symptôme du sujet et ouvrir à la décision de revenir. Chacun, ici, a sa formule, son bien dire qui peut être accompagné et qui signe un rapport singulier à l’impossible. Chacun a sa façon de faire pour venir, pousser la porte ou attendre sur le seuil.

Le transfert et la demande

Le symptôme, la dimension de ce qui fait souffrir dans le corps et dans les pensées, se présente peu aujourd’hui sur sa face d’opacité subjective, apte à mobiliser, dans la rencontre avec l’analyste, interrogations et questions. Au contraire, les personnes qui s’adressent à nous se « sentent » trop transparentes et il leur est difficile de supposer un savoir qui les concernerait, tout en les dépassant. L’opacité, toujours inquiétante, concerne davantage l’environnement, les autres, et ceux qui, comme nous-mêmes, faisons offre de parole, point longuement relevé par Alfredo Zenoni.

Toute proposition de cet ordre peut être traversée d’une signification hostile, en raison même de l’énigme qu’elle fait surgir : « Qu’est-ce qu’on me veut ? »

C’est le paradoxe que nous traitons : celui d’inviter à venir nous voir, pour recréer, dans l’espace public de la cité, l’intimité d’une parole mesurée qui concerne le sujet et l’engage, sans le confronter au vide ou au « tout dire ».

La notion de précarité recouvre des réalités diverses, aussi bien sociales que psychiques. Or, la réalité sociale, c’est la réalité psychique : quand le malaise de chacun ne trouve plus à se loger dans ce que la civilisation propose, la pulsion de mort reprend ses droits. Cela signifie, au CPCT, moins de patients qui viennent avec des questions, des problèmes, et davantage de sujets ébranlés, déstabilisés par une rencontre avec le réel et qui cherchent un partenaire à leur angoisse. Le CPCT n’accueille pas en urgence mais nous mesurons dans les consultations, que c’est l’urgence subjective3 qui fait prendre rendez-vous. Nous y répondons car ce réveil traumatique a souvent l’aspect d’un trou dans ce qui donnait jusque-là consistance.

Donner prévalence au parcours subjectif

L’inconscient freudien, structuré comme un langage, selon l’expression de Lacan, est l’opérateur de la construction de la réalité subjective. Il implique l’appui du désir qui détermine les effets de vérité de la parole, dans le transfert.

Or, l’affect qui prévaut aujourd’hui n’est pas la culpabilité liée à l’interdit, mais la honte, qui défait le sentiment d’appartenance.

Il nous faut donc tenir compte de ce qui se généralise, pour avoir une chance d’« attraper » ce qui déborde la personne et ne s’adresse à personne.

C’est un des aspects les plus significatifs de la précarité : chacun devant une page blanche, délocalisé, dans un monde qui lui paraît hostile. Chacun, invité là où il est à sortir de son silence, à revenir sur sa vie, non pour partager ce qui peut faire consolation, mais pour expérimenter un savoir informel qui devrait améliorer ses capacités. L’effet programmé en est toujours la mésestime de soi, peu propice au désir de s’expliquer ce qui fait souffrance. Or, nous n’avons que nos pauvres mots pour dire de ce qui nous arrive.

Nous déplaçons donc l’axe du « faire parler », vers des rencontres qui permettent le lien, là où la parole, vidée de toute intention de sens, ne convoque pas l’énigme que le sujet est à lui même. Il s’agit de trouver, au cas par cas, les nominations qui pourront faire sédiment et offrir un certain abri dans la langue.

La temporalité mise en place par le CPCT a un effet d’apaisement : elle est faite de ces va-et-vient qui protègent de rencontrer, dans l’expérience de la parole, un chronos dévorant ses enfants. Loin d’être un obstacle, elle allège : c’est l’institution elle-même, ceux qui y reçoivent, qui sont « précaires ». Dés lors, nous pouvons repérer, derrière la dimension d’urgence, le point de fixité, d’appui, qu’il convient de soutenir pour chacun.

Notes de bas de page

1 Centre Psychanalytique de Consultations et de Traitement, 47 rue Montesquieu, 690007 Lyon.

2 Alfredo Zenoni, (2009), L’Autre pratique clinique, psychanalyse et institution thérapeutique, Eres

3 Selon la trouvaille du colloque 2010 du RI3

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