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Stigmatisation en psychiatrie : le poids des médias

Marc OEYNHAUSEN - Master 2 École de Journalisme et de Communication de Marseille

Année de publication : 2011

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°42 – L’Age post-thérapeutique (Septembre 2011)

La loi du 5 juillet 2011 relative « aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et à leurs modalités de prise en charge » et ses décrets d’application sont entrés en vigueur le 1er août. À travers cette loi se pose plus largement la question des représentations sociales des personnes souffrant de troubles psychiques relayées par les médias.

Une vaste enquête menée depuis 1999 par le Centre Collaborateur de l’OMS, intitulée « Santé Mentale en Population Générale » (SMPG)1 a montré que presque un tiers des Français souffre de troubles psychiques allant de l’anxiété et de la dépression aux syndromes d’allure psychotique. Selon l’OMS, la dépression risque de devenir la première cause de morbidité d’ici 2020 dans les pays développés. Ces troubles sont donc largement répandus en France, mais d’après une récente enquête d’IPSOS (2009)2, seulement 5% des personnes interrogées affirment en être touchées.

La maladie mentale continue à inspirer craintes et rejets. Nos conceptions actuelles sont largement marquées par notre patrimoine historique et culturel. Dans l’histoire occidentale, le « fou » a toujours été considéré comme « dangereux » que ce soit pour des questions morales au Moyen âge, car il s’opposait aux dogmes de l’Église, ou pour des raisons sociales, désigné alors comme « fauteur de troubles ». On associe aux personnes ayant fait l’objet d’un diagnostic psychiatrique des représentations sociales. Ce sont des croyances solidement ancrées et difficilement modulables. L’enquête SMPG en a mis à jour, certaines largement partagées au sein de la population, comme la dangerosité, l’inaptitude, l’irresponsabilité, l’anormalité. D’après Serge Moscovici (1976), ces représentations sociales permettent d’établir des catégories de personnes auxquelles nous attribuons des caractéristiques communes. Nous aurons tendance à accentuer les ressemblances de toutes les personnes d’une même catégorie (par exemple : « les schizophrènes sont des criminels potentiels ») et par ailleurs les dissemblances intergroupes. Ces croyances ou stéréotypes visent à situer les groupes de personnes selon une norme préétablie (capables/incapables, responsables/ irresponsables,…). Des comportements discriminatoires et un processus d’exclusion en sont les conséquences. Selon Michel Foucault, la société a besoin de mettre à l’écart tous les éléments susceptibles de lui nuire, pour pouvoir exister.

Le rôle des médias

Les médias, et surtout la télévision, ont contribué à améliorer le niveau de connaissances du grand public sur les pathologies mentales et ce à travers des émissions de tout genre : magazines, talk-shows, documentaires. Mais les vieux mythes du « fou dangereux » et de l’institution psychiatrique qui enferme et maltraite sont toujours bien présents. En effet, l’enquête SMPG a démontré que malgré l’amélioration du niveau de connaissances des gens, les stéréotypes résistent.

Dans les évènements d’actualité, les documentaires et fictions télévisées, les médias reprennent ces stéréotypes. Les articles de presse impliquant les patients suivis en Psychiatrie font souvent référence à des faits divers. On parle beaucoup moins des problématiques d’intégration par le travail ou de logement auxquelles ces personnes sont confrontées par ailleurs. En effet, lors d’une recherche effectuée à partir du moteur de recherche « Lexis Nexis » sur 7 grands quotidiens nationaux, on trouve sur les 12 derniers mois 52 articles qui ont utilisé les mots clés « psychiatrie » et « violence », 48 articles « psychiatrie » et « danger ». Dans le même temps, seulement 12 articles ont évoqué dans un même sujet les termes « psychiatrie » et « logement », 3 ont parlé de « psychiatrie » et « rétablissement ». Pour le terme « maladie mentale », les résultats sont équivalents.

Au niveau des documentaires sur la psychiatrie, on s’aperçoit que ce sont souvent les extrêmes qui sont abordés : les UMD (Unités pour Malades Difficiles), les pathologies sévères, comme la schizophrénie. Les titres sont généralement accrocheurs : « Voyage au cœur de la folie » ou « Schizophrénie: l’ennemie intime », « Que faire de nos fous ? ».

Dans les œuvres de fiction, on nous montre des personnes imprévisibles, violentes, sans travail, sans amis et parfois déficientes. Wilson (1990) et Coverdale (2002) ont établi qu’à défaut d’informations concrètes et lisibles, les gens ont tendance à généraliser les images montrées dans les médias sur certaines pathologies (comme la schizophrénie) à tous les malades qui en souffrent. En reprenant les idées reçues, les médias les entretiennent.

D’autres études tendraient à montrer qu’il y a également un lien entre les images négatives des médias et les politiques gouvernementales en matière de santé mentale. Ainsi, Cutcliffe et Hannigan (2001) parlent d’une augmentation des moyens coercitifs au Royaume- Uni provoquée par une opinion publique de plus en plus effrayée par la maladie mentale, une conséquence directe des images montrées dans les médias. Lorsqu’on observe les réactions politiques très vives en France à la suite de la médiatisation de certains faits divers impliquant des patients en psychiatrie, on pourrait arriver aux mêmes constats. En effet, la loi de réforme du 5 juillet 2011 a été lancée suite au crime commis par un patient évadé d’un hôpital psychiatrique, un fait divers largement commenté par les médias à l’époque.

Dans une société qui prône de plus en plus l’ouverture vers des publics longtemps discriminés (les femmes, les personnes handicapées, homosexuelles,…), certains groupes continuent à inspirer davantage de craintes (les patients en psychiatrie, les personnes immigrées). La politique sécuritaire – dont l’objectif de limiter les passages à l’acte violents est légitime – a néanmoins pour conséquence d’entretenir les sentiments de peur et la stigmatisation des patients suivis par un service psychiatrique.

Notes de bas de page

1 Anguis M, Benoist J, Bryden B, Roelandt JL., Caria A. et Defromont L. (2003). La santé mentale en population générale : images et réalités. Résultats de la première phase d’enquête 1998-2000. L’Information psychiatrique, 79, 867-78.

2 Enquête IPSOS, 2009 : http://www.fondationfondamental. org/upload/ pdf/1._ipsos-ok.ppt

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