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La légitimité des illégitimes : réflexions autour de l’immigration pour raison thérapeutique

Elhadji Mamadou MBAY - PACTE,IEP Grenoble / ONSMP

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC MIGRANT, SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°45 – La mondialisation pour une écologie du lien social (Octobre 2012)

Le management politique du parcours des étrangers en situation irrégulière est difficile à réaliser. Cette catégorie de population est d’autant plus difficile à atteindre par les politiques publiques qu’elle est invisible. L’un des seuls droits dont ils disposent est le droit à la santé, en cas d’urgence, ou après trois mois de résidence sur le territoire, ou suite à une maladie grave qui menace leur existence biologique. Illégaux mais légitimes en raison de leur souffrance, les étrangers malades créent une nouvelle catégorie d’action publique problématique.

Dans un accord républicain entre les partis de gouvernement, les étrangers en situation irrégulière ont vocation à être reconduits dans leur pays d’origine car donner une reconnaissance à cette catégorie d’étrangers conduirait à une remise en cause des principes même de l’Etat et de sa souveraineté, à savoir le respect des règles et des lois de la République. Dans cette perspective, la question posée est celle de la reconnaissance par l’Etat de publics qui défient ouvertement son autorité. Les étrangers en situation « illégale » sont ainsi illégitimes au regard de la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France. Cependant, paradoxalement, dans une logique de santé publique, ils peuvent bénéficier d’une forme de reconnaissance institutionnelle, dès lors qu’ils sont atteints de pathologies graves qui menacent leur existence biologique. Dans ce cas, ils sont pris en charge et bénéficient, outre des soins, d’un titre de séjour au motif de leur maladie grave. Illégitimes en matière de politique d’immigration, ils deviennent légitimes au regard de la politique de santé publique, en vertu de l’article 313-11-11° de la loi CESEDA sur l’entrée et le séjour des étrangers en France instituant le dispositif qui permet leur régularisation sur le territoire. Ce dispositif détermine ainsi l’ensemble du parcours des étrangers malades atteints de pathologies graves en France. L’objectif de ce texte est de s’interroger sur l’influence des différentes institutions sur les parcours de vie des étrangers malades en France. Il est basé sur des observations de terrain et sur une série d’entretiens effectués en Afrique et dans différentes villes de France, aussi bien auprès des étrangers malades qu’auprès des associations qui les soutiennent ainsi que des acteurs institutionnels chargés de concevoir et d’appliquer les politiques à l’égard de ces publics1.

Evolution des controverses pour la reconnaissance institutionnelle du parcours de souffrances

Les premières mobilisations associatives en faveur des étrangers malades ont eu lieu dès le début des années 1990. Elles étaient conduites en réaction à ce qu’elles appelaient, non pas la « double peine », mais la « triple peine » (malades, emprisonnés et expulsés). Leur principal argument était de montrer que l’expulsion d’un étranger gravement malade dans un pays dépourvu de traitements représente une condamnation à mort, car elle interrompt les traitements prescrits en France et qui font défaut dans les pays pauvres où sont expulsés les étrangers malades. La sensibilité politique de ce discours, sa forte dimension morale ainsi que l’affaire des sans papiers de l’Eglise Saint Bernard qui se joue en même temps en 1996, attirent l’empathie de l’opinion publique et de certains hommes politiques. Elles conduisent à la loi n°97-396 du 24 avril 1997, instituant le principe de l’inexpulsabilité des « étrangers atteints de pathologies graves ».

En 1998, la mobilisation autour des « ni-ni » (ni régularisables, ni expulsables) a conduit à la création d’une nouvelle catégorie d’action publique celle « d’étrangers malades ». Ainsi, par l’article 12 bis 11 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, modifiée par la loi du 11 mai 1998, un titre de séjour est accordé “ à l’étranger résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire “. Cette clause qualifiée d’humanitaire sera particulièrement exploitée par les étrangers en situation irrégulière en vue de leur régularisation. Cependant, depuis 2002, sa logique va de plus en plus à l’encontre de celle de lutte contre l’immigration et des objectifs chiffrés de reconduites à la frontière. Sa délivrance ou son refus accompagné d’une obligation à quitter le territoire français conditionne le vécu et la survie de l’étranger malade en France. Alors que la politique d’immigration est de plus en plus restrictive, le droit au séjour pour raison médicale est le seul moyen institutionnalisé de régularisation d’un étranger en situation irrégulière sur le territoire français2. Néanmoins, s’il est considéré comme un dispositif humanitaire, il sert également d’alibi pour masquer et légitimer une politique d’immigration remettant parfois en cause les droits humains des étrangers en situation irrégulière3.

Les droits humanitaires se substituent ainsi aux droits de l’Homme des étrangers. Face à cette tendance d’une politique d’immigration basée sur la seule reconnaissance de la pitié ou de la souffrance, certains étrangers en situation irrégulière seraient prêts à mettre délibérément en danger leurs corps sain et leur survie afin de régulariser leur séjour.

Mondialisation, immigrés thérapeutiques et droit au séjour

Lorsqu’un étranger malade dans son pays d’origine décide de s’engager dans une « mobilité résidentielle », son objectif est généralement d’étendre son champ des possibles et de devenir un acteur propre de sa trajectoire biographique. Il s’investit alors dans une individualisation de son parcours de vie, rompant avec celles des autres malades. Entre rester et mourir ou partir et vivre, l’immigré thérapeutique choisit souvent la seconde alternative. Ce choix est d’autant plus évident chez les malades qui n’ont plus rien à perdre et tout à gagner dans l’émigration et la destandardisation du parcours de vie -mais surtout de mort- de millions de malades résignés à attendre de mourir dans certains pays pauvres où les biopolitiques sont devenues des « nécropolitiques » (Fassin, 2007). Le malade qui veut continuer à vivre et être responsable de son destin peut choisir de partir lorsqu’il en a les moyens : il s’agit alors d’immigrés thérapeutiques (Mbaye, 2009). La maladie du sida a attiré les premiers immigrés thérapeutiques après l’arrivée des trithérapies en 1997 et l’institutionnalisation du droit au séjour pour soins en France en 1998. Il s’agissait principalement d’individus à l’aise financièrement dans leurs pays d’origine et qui pouvaient venir s’approvisionner en médicaments en France.

Jules est burkinabé de 48 ans, entré en France en 2002. Il témoigne : « Étant salarié, avec des ressources très convenables, je commençai à développer un lymphome non hodgkinien. Cette maladie nécessitait une chimiothérapie, un traitement qu’il m’était impossible d’obtenir au Burkina Faso. Mon médecin, en contact avec un hôpital parisien, a fait des démarches pour qu’on puisse m’y prendre en charge. Comme j’étais un agent de l’Etat, j’ai déposé une demande d’évacuation sanitaire. L’évacuation sanitaire existe pour tous. Dans la pratique, elle est réservée aux dignitaires, à ceux qui ont des appuis. J’ai demandé un congé annuel, fait une demande de visa touristique et puis je suis parti. J’ai obtenu mon visa le jour à 18 heures. J’étais dans l’avion pour Paris le soir même à 22 heures. ».

La migration associative

En dehors de ces privilégiés, un autre public a profité de ces traitements disponibles au Nord. Il s’agit des responsables d’associations de malades dans les pays du Sud, surtout de dirigeants des premières associations de personnes vivant avec le VIH/sida en Afrique, connectés au réseau international des ONG humanitaires. Ils avaient l’avantage de pouvoir voyager pour présenter leurs expériences dans les grandes conférences internationales. Durant ces rencontres, ils nouaient des relations directes avec les associations du Nord. Certains d’entre eux ont ainsi bénéficié d’abord de la solidarité des malades du Nord, en recevant dans leurs pays d’origine des médicaments collectés par les ONG au Nord. Cependant, ces stocks de médicaments étaient en quantité limité et entrainaient controverse et concurrence entre ceux qui pouvaient les recevoir et rester en vie et ceux qui ne figuraient pas en première ligne dans la hiérarchie des bénéficiaires et pouvaient mourir car non «indispensables » pour la continuité de la mobilisation de la société civile des pays du Sud. Ces choix difficiles venaient s’ajouter aux autres problématiques comme la marginalisation des malades, les problèmes sociaux aigus, la pauvreté, etc. Ainsi, la plupart des premiers responsables de la société civile engagés dans la santé ont finalement pu profiter de ces conférences internationales pour rejoindre les pays riches. Dans certains pays d’Afrique, les acteurs informés des droits des malades au Nord, conseillaient les responsables associatifs et les malades de partir dès qu’ils en avaient l’occasion.

Par exemple, les quatre principes qui fondent la lutte contre le sida en France : éviter tout risque de discrimination à l’égard des personnes vulnérables, infectées ou malades du sida; informer des risques réels et des voies de transmission ; honorer la confidentialité, et respecter le libre-choix des malades ont pu attirer des malades du sida en France plutôt qu’au Canada où l’étranger ne peut entrer sur le territoire s’il constitue un « fardeau » pour le système de santé. Néanmoins, il faut préciser que ce phénomène d’immigration thérapeutique est très marginal (moins de 10%) ; la migration est d’abord économique : la plupart des étrangers malades originaires du Sud découvrent leur pathologie une fois installée sur le territoire du pays d’accueil au Nord. Ainsi, cet imprévu bouleverse souvent le projet migratoire et transformer leur parcours d’immigré ordinaire à celui d’immigré-malade.

Du parcours d’immigré à celui d’immigré-malade

Si le travail a toujours fondé la légitimité de l’immigré dans son pays d’accueil, en revanche, la maladie représentait le symbole de la négation du travailleur immigré (Sayad, 1999). L’illégitimité d’hier est ainsi devenue, grâce à l’amélioration des droits des malades, le moyen de reconnaissance et de légitimité de l’étranger en France. La biopolitique en tant que gouvernement des corps (Foucault, 1976) conduit à une politique de la vie, autrement dit à une biolégitimité. Cet individu qui n’a d’autres formes de légitimité que celle d’être un corps souffrant, à priori sans nationalité, ni origines, ni religion, devint légitime et reconnu alors que les corps sains des étrangers en situation irrégulière sont systématiquement recherchés pour être reconduits à la frontière. Robert, de nationalité gabonaise précise :

« Y a peut-être une ou deux personnes sur 1000 malades au pays qui se disent que je vais me battre pour avoir le visa pour venir me faire soigner, d’autant que maintenant c’est dur d’avoir le visa. Mais, il y a un autre problème : des personnes qui sont pauvres dans le pays d’origine se disent qu’ils vont en France pour “chercher fortune”. Et ils arrivent à rentrer. Et c’est peut-être ça qui fait penser qu’ils viennent pour se faire soigner. Chez beaucoup de jeunes et d’adultes dans nos pays, la question du VIH n’est pas à l’ordre du jour et la plupart d’entre eux ne savent pas qu’ils sont contaminés par le VIH. Un beau jour, ils se disent que ça ne va pas au pays, ils vont chercher ailleurs. Et souvent quand ils arrivent ici, ils sont en train de passer dans cette phase de maladie opportuniste4. Et là, une semaine, deux semaines après leur arrivée, ils sont malades. ».

L’intégration par la maladie

Une fois en France, les étrangers gravement malades peuvent bénéficier d’une « carte de séjour pour raison médicale » comme le précise l’article 313-11, 11° de la loi CESEDA n°2003-1119 du 26 novembre 2003. Dans un contexte marqué par les restrictions des politiques d’immigration, l’immigré doit apporter les « preuves de son intégration » conformément à la définition de l’intégration du Haut Conseil à l’Intégration de 1993 reprise par la loi du 24 juillet 2006 à travers le contrat d’accueil et d’Intégration. Comme domaine de solidarité, d’humanisme, de citoyenneté et de gouvernance, la santé est devenue un lieu d’intégration des étrangers en France. Les discriminations institutionnalisées dont peuvent être victimes les étrangers dans d’autres secteurs d’action publique sont moins évidentes dans le milieu de la santé. Charles est de nationalité centrafricaine. Il est arrivé en France en 2007 et témoigne :

« Je veux rester en France ! Parce que même si c’est dur de rester avec les enfants loin au pays, les traitements sont biens ici. Je suis bien soigné, j’ai les médicaments, j’ai les approvisionnements, je me porte bien et je préfère ici. C’est vrai que les papiers, ce n’est pas encore ça ! Mais la santé, c’est la priorité! Vu tout ça, j’ai préféré rester pour les soins. Et quand j’aurai les papiers, je chercherai un travail, car moi, je suis opérationnel moi ! Mais comme tu sais, en France, pour avoir les papiers, il faut se battre. Heureusement pour moi, je suis entre les mains d’une assistante qui est bien. Elle m’oriente bien, elle m’informe, elle me soutient, elle me donne des conseils. Là, j’ai écrit pour une carte de séjour provisoire, mais ils ne m’ont pas répondu. Même si les traitements étaient disponibles au pays, je n’y retournerai pas ».

Comme seul moyen institutionnalisé de régularisation sur le territoire, le droit au séjour pour soins est sollicité sans exception de pathologie. Du fait des avantages qu’il offre, les étrangers en situation irrégulière développent plusieurs stratégies pour bénéficier de ce titre de séjour. Si des contaminations volontaires de personnes voulant bénéficier d’un titre de séjour sont souvent évoquées par les associations de soutien aux étrangers malades, nous n’en avons pas retrouvés. Cependant, la simple évocation de ces pratiques potentiellement possibles, montre comment les politiques d’immigration obligent certains étrangers à exposer leurs corps malades plutôt que leurs corps sains pour bénéficier d’une reconnaissance. Cette réalité témoigne également d’une forme de résignation de leur part face à des politiques d’immigration définitivement axées sur la lutte contre l’immigration irrégulière.

Parmi les stratégies adoptées pour bénéficier de la carte de séjour pour soins, il y a :

  • la mobilité : pour aller vers les préfectures où l’application des lois sur l’immigration est la moins restrictive,
  • l’usurpation d’identité d’une personne malade pour se présenter à sa place et bénéficier de la carte de séjour,
  • le mariage ou la mise au monde d’un enfant français, stratégie généralement utilisée par les femmes migrantes.

La nouvelle politique de démocratie sanitaire permet aux étrangers malades de participer à l’action publique. La figure du malade réformateur social (Defert, 1994) est sollicitée par les associations migrantes pour légitimer leur place en tant qu’« experts profanes » de leur propre santé. L’inexpérience des pouvoirs publics en matière de santé des étrangers ainsi que la complexité des enjeux culturels de leur prise en charge, encouragent les pouvoirs publics à recourir aux associations migrantes. Des interprètes, des médiateurs culturels sont ainsi formés parmi les étrangers malades pour participer à la prise en charge sanitaire des patients étrangers. Les responsables des associations communautaires, ayant d’abord bénéficié de plusieurs années d’expériences en tant que bénévoles au sein d’associations françaises transfèrent ainsi leurs expériences militantes au sein de leurs nouvelles organisations. Elles entrent parfois alors en concurrence avec les associations traditionnelles de santé pour bénéficier des subventions publiques d’autant que la création des associations migrantes de santé s’est généralement faite suite à une sollicitation et un encouragement des pouvoirs publics. Arrivés et installés pour la plupart en situation irrégulière, certains étrangers malades ont pu bénéficier d’abord d’une régularisation en raison de leur corps souffrant, avant de créer leurs propres organisations et devenir ainsi des partenaires privilégiés, experts de santé publique. Grâce à leurs actions militantes, ils bénéficient de financements, recrutent du personnel, participent à la mise en place des programmes locaux ou nationaux de santé publique et devenant experts dans des commissions nationales. La maladie devient alors un outil d’intégration dans la société française.

C’est le cas de Bernadette. Originaire du Rwanda, elle entre en France en 1990. Ayant vécu le génocide rwandais depuis la France, elle décide de s’installer définitivement à Saint Denis dans la banlieue parisienne et s’engage à l’association Sol en Si. En 1997, elle crée l’association Ikambere pour accueillir les femmes migrantes. Avec l’aide des autorités nationales, l’association devient un centre de ressources dans des domaines divers comme la formation professionnelle des femmes, la prévention, l’aide à l’emploi et au logement ou l’accompagnement moral des femmes. En 2003-2004, elle participe à la mise en place du programme national de lutte contre le sida en direction des migrants et est sollicitée par l’Institut national de Prévention du sida pour la mise en place de programmes de prévention ciblées. En 2005, le Conseil National du Sida choisit Ikambere pour organiser des actions dans le cadre de l’année « Sida, grande cause nationale ». Devenu un acteur incontournable, elle reçoit chaque année plus de 600 femmes originaires de 27 pays. En 2008, l’association employait 19 personnes. Le 11 juin 2008, Bernadette reçoit la médaille de l’Ordre national du Mérite, des mains du préfet de la Seine- Saint-Denis pour récompenser son action en France.

Les effets des politiques de lutte contre l’immigration sur les parcours des étrangers malades

Si, grâce aux politiques sociales, les étrangers malades ont pu s’intégrer, à l’inverse, les politiques de lutte contre l’immigration affectent directement l’effectivité de ces acquis et les droits aux soins, au séjour et aux autres prestations sociales dont ils peuvent bénéficier en tant que malades. Dans le domaine de l’accès aux soins, les étrangers vivant en France ont légalement droit à l’ Aide Médicale d’Etat ou la Couverture Maladie Universelle dès lors qu’ils résident en France depuis plus de trois mois. Cependant, ils sont très peu à recourir à leurs droits (seuls 7,2% des étrangers en situation irrégulière font valoir leur droit à l’Aide Médicale d’Etat (AME)5. En raison de son succès, les dépenses de l’AME représenteraient un coût financier important qui encouragent les pouvoirs publics à s’engager dans sa réforme à défaut de son abrogation. Dans cette perspective, le non recours que connaît ce dispositif n’est pas une préoccupation publique ; au contraire, il s’inscrit dans la politique menée à l’égard de l’Aide médicale d’Etat pour réduire son effectivité (Math, 2003). Ce dispositif a été institué grâce à la mobilisation des associations de défense des étrangers et pour respecter les accords internationaux signés par la France. Cependant, en tant que tel, il va à l’encontre des objectifs en matière d’immigration. Dans une circulaire du ministre de l’Intérieur du 21 février 2006 sur l’interpellation des étrangers en situation irrégulière, celle-ci donnait “libre accès” aux forces de l’ordre d’interpeller les étrangers irréguliers, jusque dans les « établissements ouverts au public tels qu’un hôpital ou un centre de d’accueil pour toxicomanes ».

Le contexte de lutte contre l’immigration et les discours politiques sur « l’appel d’air » et le coût de la prise en charge des étrangers malades influent directement sur la mise en œuvre du droit au séjour pour soins. Alors que certaines préfectures refusent de délivrer une carte de séjour à des étrangers malades, d’autres vont jusqu’à les reconduire à la frontière alors que leur maladie grave est attestée par un médecin et l’inexpulsabilité des étrangers gravement malades est institutionnalisée depuis 1997. L’Observatoire pour le droit à la santé des étrangers (ODSE), créé par les associations, veille au respect de la législation sur le droit au séjour des étrangers malades6. Il réussit à éviter plusieurs expulsions grâce à son expertise dans ce domaine. Cependant, il ne peut surveiller l’ensemble des cas d’étrangers malades qui vivent sous le risque d’une expulsion. Sans titre de séjour, l’étranger malade ne peut ni accepter un emploi adapté à son état de santé, ni refuser un travail « au noir » qui l’exploite. Sako, de nationalité ivoirienne est gravement malade, il rend compte de cette situation :

« Nous voulons travailler et avoir des employeurs. Nous voulons pouvoir bénéficier de contrats de longue durée qui soient vraiment adaptés à nos possibilités physiques. C’est-à-dire des postes qui ne vont pas nous esquinter physiquement et moralement. Certains sont sur des postes où on les exploite. Ils travaillent à des heures impossibles, ils dépassent même les heures et ils ne sont pas bien payés alors qu’ils sont malades. Il faudrait examiner ce problème parce que cette situation nous préoccupe vraiment ».

La mondialisation des migrations influe directement sur la santé des populations aussi bien des pays d’immigration que celles d’émigration. Si l’immigration thérapeutique est encore un phénomène marginal, l’accélération des phénomènes de mondialisation et de globalisation engendre des peurs de l’autre et des « solidarités en situation extrême » qui questionnent nos fraternités et notre humanité7 .

Notes de bas de page

1 Une centaine d’entretiens et de l’observation participante ont été effectués dans ce cadre entre 2005 et  2009.

2 En comparaison des régularisations « au cas par cas » des travailleurs sans papiers, aux parents d’enfants scolarisés en  France, aux parents d’enfants malades…

3 Il est défini par les ex-ministres de l’intérieur Nicolas Sarkozy et de l’Immigration Brice Hortefeux, comme « l’aspect généreux d’une politique d’immigration ferme ».

4 Les maladies opportunistes liées au VIH/sida (tuberculose, pneumonie, méningite…) sont causées soit par un système immunitaire rendu déficient par le virus, soit par des agents pathogènes de notre environnement quotidien.

5 Le réseau AVEROES vise la mise en place dans les Etats membres de l’UE des normes juridiques communautaires contraignantes sur l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière et la protection des étrangers gravement malades contre l’expulsion. Son objectif est de créer un réseau européen couvrant 19 Etats membres afin de développer un plaidoyer et d’avoir une reconnaissance au sein des institutions de l’Union européenne.

6 www.odse.eu.org

7 Affecté par la crise, l’Espagne a décidé en septembre 2012, d’instituer une nouvelle réforme de son système de santé et de supprimer la gratuité des soins pour les étrangers en situation irrégulière.

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