Il est pour le moins banal de noter que les institutions ont pour lot quotidien de recevoir des stagiaires de tous horizons. C’est à partir de cette place spécifique de passagers temporaires (interne en psychiatrie et étudiant en psychologie) régulièrement amenés à monter à bord de différents navires institutionnels et à rencontrer les équipages institués, que nous souhaitons proposer une modeste réflexion.
Parmi les spécificités inhérentes à cette place, le statut hybride de l’étudiant lancé dans un processus de formation le situe entre deux positions, celles de l’étudiant apprenant et du professionnel en devenir. Cette situation d’entredeux est une invitation régulière et parfois déconcertante aux voyages dans les institutions accueillantes, voyages qui s’effectuent également grâce à l’écart entre les références théorico-universitaires et les terrains de stage au niveau pratique. Tentant alors de construire, tel un migrant (Mercader, 2007), les codes et représentations à l’origine des cultures non seulement du corps professionnel auquel il souhaite appartenir mais également des cultures et généalogies institutionnelles rencontrées, le passager a pour particularité d’être pour une large part un “profane” que les institutions doivent affilier. La nécessaire reprise des énoncés locaux (façons de faire et de penser) confronte les passagers à l’inévitable affiliation dans les groupes institués (Gaillard, 2004) qui favorise au fil du temps la connaissance d’une pluralité de configurations des liens institutionnels.
Ces spécificités provoquent un certain nombre de mises en tension. D’une part la conflictualité théorico-pratique entre pensées formalisées et pratiques professionnelles marquées par les accordages nécessaires avec la réalité de terrain favorise la construction et la croissance d’une professionnalité chez ces passagers ; cet écart contribue à la fécondité de cette position tant qu’il ne devient pas écartelant et qu’il ne conduit pas à l’exil d’une des deux références. Schématiquement, la crispation autour d’un savoir universitaire pourrait dénoter la rigidité du passager ; de la même façon, les rigidités des groupes institués imposent parfois un collage (clôturant) aux énoncés en place. En somme, ce sont les perméabilités mutuelles qui viennent s’interroger réciproquement, témoignant des types de transmission et d’alliances inconscientes à l’œuvre (oscillation entre contrats et pactes ; Kaës, 1993). D’autre part, l’arrivée d’un passager suscite parfois des interrogations dans les navires institutionnels. Outre la question de la demande à l’égard du nouveau venu, c’est aussi la place que ce dernier pourra prendre dans les différents espaces du lieu de stage qui peut venir interroger le fonctionnement institué. Souvent “touche à tout”, le passager est autant plongé dans les temps formels qu’informels. Les tensions que suscite son arrivée peuvent être mises en lien avec les interrogations dont il est porteur auprès des équipes. “Ici on ne fait pas ça. Ici on pense comme ça…” sont des expressions fréquemment entendues et révélatrices des théories du soin propres à chaque structure. La façon de penser et de faire dans les institutions qui est ainsi donnée à éprouver permet d’envisager la pluralité des pratiques et des référentiels théoriques existants.
Il est ici question du regard particulier de ceux dont la présence est transitoire, présence qui s’avère autant enthousiasmante que par moment inconfortable. La position de psychiste en devenir invite au transfert du négatif institutionnel resté en souffrance de symbolisation, un statut spécifique qui donne toute sa place aux interstices. Souvent objet de confidences du fait d’un départ connu d’avance qui favorise l’abaissement des défenses et les dépôts, le passager est appelé à être tantôt un pur réceptacle, tantôt à transformer des éléments insuffisamment psychisés ; d’où une oscillation entre contenance et réflexivité. Par ailleurs cette place revêt un caractère privilégié pour ressentir la musicalité groupale, la rythmie ou la dysrythmie dans le rapport aux usagers, révélatrices de la nature de la parentalité institutionnelle (Thouret, 2004).
Finalement ces spécificités et tensions placent le passager dans une position particulière dont le regard pourrait avoir une portée révélatrice ; place privilégiée qui favorise l’esquisse de portraits institutionnels dans une temporalité toujours singulière et relative. Pouvoir s’interroger et interroger les pratiques est un préalable nécessaire à l’appropriation/construction d’une pensée en propre ; le sens ne cessant de fuir ou de s’étioler dans le quotidien, réinterroger les évidences peut avoir sa pertinence. Au-delà du transfert dont fait l’objet le passager et de la façon dont il est investi, nous pouvons nous demander si son accueil ne comporte pas certaines similitudes avec celui dont bénéficie l’usager ? Il pourrait être ainsi fructueux pour les professionnels de questionner la possible résonance entre les modalités d’accueil de l’usager et du passager, afin de continuer à “voir ce qui vaut d’être regardé”.
Bibliographie
Gaillard G. (2004), En savoir un bout in Mercader P. et Henri A.N., [dir.], La formation en psychologie : filiation bâtarde, transmission troublée, p. 147-162, PUL.
Kaës R. (1993), Le groupe et le sujet du groupe. Éléments pour une théorie psychanalytique du groupe, Dunod, Paris.
Mercadier P. (2007), La formation en psychologie : du savoir à la culture, in Pratiques psychologiques n°13, P. 465–478.
Thouret D. (2004), La parentalité à l’épreuve du développement de l’enfant, Erès.