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Liberté, Egalité, Sexualités! L’accès de toutes et tous à la santé sexuelle, au-delà des inégalités

L'équipe du Planning Familial 69 - Villeurbanne

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°60 – Sexualités (Juin 2016)

Le Planning Familial 69 est une association qui gère un Centre de planification et d’éducation familiale (CPEF1) à Villeurbanne (Rhône) ainsi qu’un dispositif d’accès à l’information pour les jeunes dans les coteaux et les monts du Lyonnais.

Nous accueillons environ 8 000 personnes par an pour des entretiens d’écoute, d’information et des consultations médicales. Les demandes des personnes portent essentiellement sur la contraception, l’IVG2, la vie affective et la sexualité, la conjugalité, la grossesse, le suivi gynécologique, les IST3.

Le Planning est connu comme un lieu d’accueil pour les jeunes, notamment pour celles et ceux qui souhaitent la confidentialité et un accès gratuit à une consultation médicale, ainsi qu’aux moyens de contraception. Ainsi le public reçu est composé à 75 % de 15-24 ans. Mais nous sommes ouverts à tout public et nous recevons d’ailleurs de plus en plus de demandes de salariées, de plus de 25 ans, ayant du mal à accéder aux soins gynécologiques en ville (manque de gynécologue, problème de dépassement d’honoraires). Nous avons également pour mission de prendre en charge les personnes non assurées sociales pour ces demandes. La majorité des personnes reçues sont des femmes (95 %). Nous rencontrons plus de garçons lors de nos interventions d’éducation à la sexualité en milieu scolaire.

Notre activité a beaucoup augmenté ces dix dernières années. Nous sommes actuellement à un seuil de saturation : deux mois d’attente pour les rendez-vous médicaux sauf urgence, et manque de place dans nos locaux exigus. La demande pour des interventions d’éducation à la sexualité s’est diversifiée : secteur du handicap, maison familiale rurale, mission locale… mais nous manquons de moyens pour pouvoir y répondre.

Une éducation à la sexualité qui permet aux adolescent-e-s de faire leurs propres choix

Aujourd’hui les adolescent-e-s ont de multiples sources d’information : école, médias, famille, réseau amical. De plus, internet offre une multitude d’informations ainsi que l’accès à des sites pornographiques.

Notre rôle en éducation à la sexualité consiste à les aider à développer un regard critique, à travailler leur sens du discernement sur les différentes représentations véhiculées par cette multitude de sources et les injonctions implicites qui en découlent : la « performance » pour les garçons, et la « disponibilité permanente » pour les filles.

Bien qu’ils-elles puissent évoquer, parfois dans un langage « cru », des pratiques sexuelles qu’ils-elles ont pu visionner ou dont ils-elles ont entendu parler, ils-elles manquent souvent d’informations simples et précises concernant leur propre corps : le clitoris, par exemple, reste un grand inconnu pour beaucoup des filles, comme des garçons. Beaucoup de questions se posent autour de la virginité également. L’expression et le questionnement autour de leurs représentations permettent d’ouvrir la discussion et de casser quelques idées-reçues. Comment définir la virginité : est-ce une simple rupture d’hymen, une question de pénétration ? Filles et garçons sont-ils-elles invité-e-s à y accorder la même importance dans notre société ?

Malgré les évolutions de ces dernières décennies, notamment d’un point de vue législatif, la sexualité reste bien sûr empreinte de normes (contraceptives, familiales, sexuelles, affectives, etc..) qui peuvent être des obstacles à l’appropriation de sa sexualité et de sa vie affective. Notre société reste par exemple très « hétéronormée », c’est-à-dire qu’elle prend comme schéma systématique le couple hétérosexuel et ceci peut fragiliser l’estime de soi des personnes homo ou bisexuelle et donc compromettre leur santé psychique. D’ailleurs, le taux de suicide est plus élevé que dans la population générale chez les personnes homosexuelles ou bisexuelles4. Avoir une façon de parler incluant les différentes orientations sexuelles lors des séances collectives, ne pas présumer de l’orientation sexuelle des personnes rencontrées, proposer des représentations des sexualités homo ou bisexuelles : autant d’actes indispensables pour permettre aux jeunes de se construire plus facilement.

Nous travaillons également sur la notion du consentement pour que chacun et surtout chacune puisse exprimer et faire reconnaître son désir et ses limites, dans une société marquée par les inégalités entre femmes et hommes. L’éducation à la sexualité et à la vie affective est en effet indispensable pour la prévention des violences sexuelles. Comment dire son consentement ? Comment interroger l’autre sur le sien ? De nombreuses questions sont à travailler pour lutter contre les violences sexuelles. Rappelons qu’il est estimé que chaque jour plus de 200 viols ont lieu en France, dont la plupart des auteurs sont, précisons-le, connus de la victime.

Un accueil sans jugement

La France est un des pays où la couverture contraceptive est la plus développée5, où l’utilisation du préservatif au premier rapport est massive6. Selon le Baromètre Santé 2010, 90 % des jeunes de 15-24 ans ont déclaré avoir utilisé un préservatif lors de leur premier rapport sexuel. Pour autant, c’est souvent une prise de risque qui motive un passage au Planning Familial.

Dans les entretiens individuels que nous réalisons, nous veillons à ne pas être dans l’injonction ou le jugement face à ces prises de risque qui peuvent nous être rapportées. Notre objectif est d’aider la personne à analyser la situation qui l’a conduite à prendre un risque (doute sur sa fertilité, méconnaissance des risques VIH7, difficulté à négocier le préservatif…) et de lui proposer différents moyens afin de réduire les risques à l’avenir ; moyens qu’elle pourra choisir d’utiliser ou non.

Au-delà de ce travail sur les risques (IST, grossesse non prévue), nous revendiquons une approche positive de la sexualité qui sait aussi se détacher de ces derniers pour s’intéresser aussi à la relation, au plaisir, à l’estime de soi… Il s’agit, dans un entretien ou une consultation, de permettre à la personne de s’exprimer sur son ressenti, son histoire, ses relations.

Notre approche consiste également à produire une pratique réflexive, qui nous amène régulièrement à interroger les évidences qui sont souvent véhiculées par les médias, notamment en ce qui concerne par exemple, les jeunes, les personnes migrantes, ou dites « issues de l’immigration ». Il s’agit donc dans notre travail quotidien de déconstruire ces allants de soi en se détachant d’une approche culturaliste ou essentialiste lorsqu’il s’agit d’accueillir des personnes en parcours de migration ; ou en s’appuyant sur des données en sciences sociales pour nous éloigner de l’archétype « du-de la » jeune qui aurait nécessairement des conduites à risque.

La pratique de l’écoute active nous permet de distinguer les difficultés spécifiques auxquelles doit faire face une personne et son identité singulière. Une femme en parcours de migration peut faire face à des problématiques de précarité, et il faut les prendre en compte, mais ce n’est pas systématique. Une femme en demande d’IVG n’est pas forcément une femme qui prend à la légère sa contraception.

Cette approche sans jugement doit permettre à toute personne de se sentir accueillie, écoutée et prise en compte dans sa singularité, et ce qu’elle que soit son orientation sexuelle, son identité de genre, sa situation de handicap ou non, son origine ou son éventuel parcours migratoire. Elle nous demande de travailler sur nos propres représentations, par exemple, de la sexualité des personnes en situation de handicap.

Travailler pour l’égalité des territoires

Notre pratique en milieu rural nous permet de constater d’importantes inégalités territoriales dans l’accès au soin et à l’information en santé sexuelle. Les problématiques de mobilité et de confidentialité se posent particulièrement dans ces territoires. Des dispositifs itinérants comme le nôtre (permanence dans les MFR8 et les espaces jeunes) répondent à une partie de ces difficultés mais ne sont pas suffisamment développés. « Comment avoir accès à une contraception d’urgence lorsque vous n’avez pas de moyen de locomotion et que la pharmacienne du village est de/ou connaît votre famille ? »

Le planning Familial : un organisme de formation

Chaque année nous proposons deux formations à destination des professionnel-le-s ayant une mission éducative auprès d’adolescent-e-s, qui mènent des interventions collectives en éducation à la sexualité (infirmièr-e-s scolaires, sages-femmes, CPE9, professeur-e-s de l’Éducation nationale, assistant-e-s sociale, conseiller-ère-s conjugales et familiales, chargé-e-s de projet, éducateurs-rices…).

Ces deux formations, « Éducation à la sexualité et contraception, IST, IVG » et « Sexualité et interculturalité »10  sont co-animées par la chargée de formation et des conseillères conjugales et familiales. Elles abordent à la fois la pratique (d’écoute, d’accueil, d’intervention), la théorie (sociologie, anthropologie, psychologie) et la démarche de déconstruction des représentations (autour de l’IVG, des pratiques contraceptives des « jeunes », de la notion de « culture », etc.).

Liberté, Égalité, Sexualités

Pour conclure, rappelons que le Planning Familial, créé il y a 60 ans, est un mouvement féministe d’éducation populaire : il milite pour l’égalité femmes/hommes. Les rapports de genre ont des conséquences spécifiques dans le domaine de la sexualité, il est fondamental pour nous de contribuer à les déconstruire pour que chacun-e ait la possibilité de vivre une sexualité épanouie, libre et sans violence.

Au moment où le droit à l’avortement est menacé en Europe (exemple récent de la Pologne) nous restons mobilisé-e-s pour défendre le droit des femmes à disposer librement de leur corps (éducation à la sexualité, contraception, IVG…).

Nous nous battons contre les différentes formes de discriminations et d’inégalités des droits, avec des actions dans le champ de la santé et dans le champ politique pour la prise en compte de la sexualité des personnes en situation de handicap, pour l’accès aux soins des personnes migrantes, contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle. D’où notre slogan « Liberté, égalité, sexualités ».

Notes de bas de page

1 Il existe 17 CPEF sur le territoire du Grand Lyon, gérés par la Métropole, des associations ou les hôpitaux.  Un seul, celui de Villeurbanne,  est géré par l’association Planning Familial.

2 Interruption volontaire  de grossesse (IVG).

3 Infection sexuellement transmissible (IST).

4 INPES. (2014). Les minorités sexuelles face au risque suicidaire.

5 Repéré à : https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19893/population.societes.2014.511.crise.pilule.fr.pdf

6 Repéré à : http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/FPORSOC13f_VE6_sante.pdf

7 Virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

8 Maison familiale rurale (MFR).

9 Conseiller principal d’éducation (CPE).

10 Les plaquettes de ces formations sont disponibles sur le site : http://www.leplanning-rhonealpes.org/

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