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L’inclusion au prisme du confinement

Christophe BLANCHET - Enseignant, Doyen des classes d’accueil – Centre de ressources pour élèves allophones
Jean-Claude METRAUX - Psychiatre et psychothérapeute d’enfants et d’adolescents, Chargé de cours – Université de Lausanne

Année de publication : 2020

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Sciences de l'éducation, PUBLIC MIGRANT

Télécharger l'article en PDFRhizome n°78 – L’école prend-elle soin ? (novembre 2020)

L’inclusion des élèves aux besoins spéciaux, dans notre canton, en Suisse1, est érigée en principe. L’application, cependant, n’est pas uniforme : ainsi, dès l’âge de 12 ans, l’école est davantage sélective. Pour inclure (progressivement) les enfants allophones, plusieurs dispositifs coexistent : intégration en classe régulière assortie de cours intensifs de français, intégration à mi-temps – l’autre étant passé dans un groupe dit « d’accueil » –, scolarisation pleine en classe d’accueil. Le choix dépend du profil de l’élève et de la politique de l’établissement scolaire concerné. Dans les classes d’accueil, les statuts, origines et formations préalables des élèves sont divers : s’y côtoient des enfants de parents sans papiers, des requérants d’asile, des travailleurs immigrés, y compris issus de classes sociales élevées.

En 2018, au niveau cantonal, une unité Migration Accueil – composée d’enseignants, psychologues, logopédistes et psychomotriciens – a été créée : elle conseille, soutient, les professionnels des divers établissements scolaires. Des directives ont aussi été énoncées. Un entretien d’accueil (enseignant, parents, élève, interprète) a été rendu obligatoire, pour soigner le premier lien avec la famille, expliciter le système scolaire, assurer une orientation pertinente. Les compétences de l’enfant (langue maternelle, français) sont testées. Un projet scolaire sur deux ans est affiné.

Vécu du semi-confinement2

« Le 13 mars 2020, à 10 h 30, un téléphone m’apprend la fermeture des écoles dès l’après-midi. Membre du conseil de direction de l’école, je passe dans les classes pour annoncer la nouvelle aux enseignants et aux élèves, les prie de quitter le collège dans le calme. Stupeur, larmes, cris de joie, un florilège de sentiments s’exprime. Le temps est suspendu, ponctué d’annonces contradictoires. La fermeture durera jusqu’au 16 mai 2020. »
« Dans l’urgence, l’école à distance s’organise. Priorités : garder le lien ; maintenir les acquis. Mais comment communiquer avec des parents ne parlant pas français ? Comment transmettre du travail à des enfants ne disposant ni d’ordinateur ni d’imprimante ? Que veut dire, pour les élèves à peine arrivés en Suisse, conserver les acquis scolaires ? Que proposer à ces jeunes Syriens jamais scolarisés, non-lecteurs en toute langue ? »
« Nous décidons que l’information aux parents passera par des interprètes, qui se révéleront essentiels : enseignants et familles découvriront ainsi les appels téléphoniques à trois interlocuteurs. Nous équipons ensuite d’ordinateurs les élèves qui ne disposent d’aucun moyen informatique. Constatant que bien des familles n’arrivent plus à payer les factures de téléphone, voire leur loyer, plusieurs enseignants organisent des rendez-vous presque quotidiens au collège ou au foyer de requérants d’asile, pour prendre de leurs nouvelles, transmettre le travail scolaire. Ils ont par la suite relevé que ces liens rapprochés avaient permis un approfondissement de la relation avec leurs élèves (certains s’exprimant plus librement en l’absence d’un contact visuel avec l’adulte). »
« L’unité Migration Accueil a encore proposé aux enseignants de français langue seconde un site internet, très visité, informant sur la COVID-19 en de nombreuses langues et suggérant des activités pédagogiques. »

Santé mentale : bienfaits et méfaits du semi-confinement

Lorsque de fortes tensions familiales précédaient le confinement, psys et enseignants ont guetté les signes de dégradation, appelant parents et enfants régulièrement. À notre grande surprise, le confinement a souvent permis aux membres de ces familles de nouer des liens plus forts, de construire des relations plus apaisées ; certains parents ont avoué avoir (re)découvert les intérêts, la personnalité de leur enfant. Leurs témoignages soulignent les maux de journées gouvernées par des horaires de travail irréguliers – entreprises de nettoyage : tôt le matin et tard le soir.
Le semi-confinement a aussi permis à certains enseignants d’accorder plus de temps que d’ordinaire à des élèves aux besoins particuliers (téléphones, vidéoconférences). Plusieurs de ces enfants ont progressé dans leurs apprentissages.
Certes cette parenthèse de deux mois ne fut pas toujours favorable. Des parents s’informaient via la télévision de leur pays et se sont confinés de manière plus stricte qu’exigée en Suisse. Des enfants, interdits de sorties, se retrouvèrent isolés. Sans « espace de liberté », des adolescentes ont vu leurs liaisons secrètes découvertes. Quelques familles ont frisé l’explosion.
D’autres enfants sont revenus en classe très fatigués, décalés, désorientés : depuis des semaines, ils se couchaient et se réveillaient tard ; l’ennui et les écrans les avaient anesthésiés.
Des propos d’élèves laissent deviner aujourd’hui la précarité financière aiguisée, la carence d’aliments : en Suisse aussi, davantage encore en ce temps de pandémie, l’économie n’est pas luisante pour tous.
Entre mars et mai 2020, plusieurs élèves n’ont pas donné signe de vie : comme par enchantement, ils sont réapparus le jour de la reprise. Mais deux mois constituent une période courte à l’échelle des apprentissages et les conséquences scolaires devraient être bénignes. À condition que nous nous ajustions au vécu de chacun, de chacune. À condition aussi que ces prochains mois ne nous réservent pas d’autres vagues.

Nous devons donc attendre avant de faire un bilan : la COVID-19 aura-t-elle freiné l’école inclusive, ou au contraire, bizarrement, l’aura-t-elle promue ? En tout cas, beaucoup de personnes migrantes nous l’ont signalé, pour une fois les règles étaient les mêmes pour tous, autochtones et étrangers.

Notes de bas de page

1 Le système scolaire suisse est fortement décentralisé.

2 En Suisse, les mesures de confinement ont été moins sévères qu’en France.

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