La territorialisation est affichée comme un axe essentiel dès le lancement du plan quinquennal pour le Logement d’abord, en 2017. Elle fait d’ailleurs l’objet d’une des cinq priorités (« Mobiliser les acteurs et les territoires pour mettre en œuvre le principe du Logement d’abord »). Cette démarche vise, d’une part, à trouver les solutions les plus adaptées aux réalités des différents territoires en prenant en compte les contraintes, dynamiques, partenariats et dispositifs existants localement, et, d’autre part, à engager l’ensemble des acteurs dans la construction ou l’adaptation d’un service rendu de qualité aux ménages en situation de grande précarité.
C’est aussi la démarche qui avait prévalu en 2010, lors du lancement de la Stratégie nationale du Logement d’abord par Benoist Apparu, alors secrétaire d’État au Logement, en proposant de sélectionner dix territoires pilotes et de financer des projets innovants sur chacun d’eux. Toutefois, la dynamique reposait essentiellement sur les services déconcentrés de l’État. En 2017, le choix est fait de miser sur une alliance entre l’État et les collectivités territoriales pour acter la coresponsabilité des parties prenantes sur cette question du sans-abrisme et trouver les voies de la mise en œuvre la plus efficace possible des principes prônés au niveau national.
Le Logement d’abord est une politique au croisement des compétences des différentes collectivités publiques. Si l’État est compétent en matière d’aide sociale ainsi que de réponse immédiate et inconditionnelle aux personnes en situation de détresse – compétence qu’il met en œuvre via les financements des structures d’hébergement, de veille sociale et de logement adapté –, les conseils départementaux sont historiquement compétents en ce qui concerne l’action sociale de proximité – notamment polyvalence de secteur, fonds de solidarité pour le logement, fonds d’aide aux jeunes, copilotage du plan départemental d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées (PDALHPD) et du schéma départemental d’accueil des gens du voyage. Enfin, les communes sont impliquées de longue date via leurs centres communaux d’action sociale.
Dans ce paysage institutionnel, un certain nombre de lois1 ont acté, au cours des dernières années, la montée en compétence, sur les politiques d’habitat et de logement, des intercommunalités avec la création des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) – en particulier les communautés d’agglomération, les communautés urbaines et les métropoles. Le pilotage d’une Conférence intercommunale du logement par l’EPCI est l’un des piliers de la gouvernance territoriale de la gestion de la demande de logement social2. De leur côté, les métropoles ont également pris progressivement des compétences sociales initialement portées par le département, dont la gestion du Fonds de solidarité pour le logement.
La loi Égalité-Citoyenneté de 20173marque une étape importante dans le partage des responsabilités en matière de relogement des ménages en difficulté. Deux obligations structurantes sont introduites, dont l’obligation pour tous les réservataires de logement social de réserver 25 % des attributions aux ménages reconnus prioritaires au titre du droit au logement opposable (Dalo) ou de l’article L. 441-1 du Code de la construction et de l’habitation4 (à l’exception du préfet qui doit y consacrer l’ensemble de son contingent « publics prioritaires »). L’ensemble des réservataires – dont les plus importants que sont l’État, les communes et intercommunalités, Action Logement et les bailleurs sociaux – sont donc investis par la loi d’une responsabilité en matière de relogement des ménages en difficulté, notamment les ménages dépourvus de logement.
Ainsi, la politique du Logement d’abord – si elle veut répondre à ses deux objectifs que sont, d’une part, l’accès le plus rapide possible au logement pour les ménages sans domicile, voire l’accès direct depuis la rue sans passage par l’hébergement et, d’autre part, la mise en œuvre d’un accompagnement social dans le logement à la hauteur des besoins de chaque personne – doit s’appuyer sur une alliance forte entre l’État et les collectivités territoriales. C’est le levier essentiel pour obtenir des résultats positifs d’ampleur et la mise en place de conditions systémiques indispensables à la résorption durable du sans-abrisme.
La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) lance dès l’automne 2017 un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour sélectionner des territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d’abord, dont les chefs de file doivent être des collectivités territoriales volontaires qui auront à développer un projet de déclinaison locale de ce plan en partenariat étroit avec les services de l’État et les autres partenaires du territoire. À l’issue de cette première vague, 23 territoires sont sélectionnés dont la plupart des grandes métropoles du pays (Nantes Métropole, Montpellier Méditerranée Métropole, Métropole européenne de Lille, Nice Côte d’Azur Métropole, Bordeaux Métropole, Métropole du Grand Lyon, Eurométropole de Strasbourg, etc.), des EPCI de taille moyenne (Lorient agglomération, communauté urbaine d’Arras, communauté d’agglomération Sophia Antipolis, etc.), des conseils départementaux (département du Puy-de-Dôme avec Clermont-Auvergne-Métropole, département de la Sarthe, département du Pas-de-Calais, etc.) et des communes (Toulouse, Amiens). Début 2021, un second AMI permet de porter le réseau à 45 territoires, avec l’entrée de nouvelles collectivités (Aix-Marseille-Provence Métropole, Grand Nancy, Rennes Métropole, département de la Loire-Atlantique, ville de Paris, Dijon Métropole, etc.).
Ce succès et la mobilisation d’une large diversité de collectivités sont le signe d’une attention forte des élus locaux à la situation des personnes sans domicile sur leur territoire. Mais cet AMI a également été l’occasion pour les intercommunalités d’entrer dans un réseau qui leur permet de s’acculturer au sujet de la grande précarité et de mieux l’appréhender dans l’exercice de leurs nouvelles compétences.
Les territoires de mise en œuvre accélérée sont des laboratoires de la politique du Logement d’abord. Ils travaillent à mettre en place des solutions adaptées à leurs enjeux locaux. Ainsi, grâce à un soutien financier de l’État, les territoires ont développé des actions structurantes qui reconfigurent les dispositifs de lutte contre le sans-abrisme sur le long terme. Citons par exemple l’optimisation et la reconfiguration de l’offre d’accompagnement disponible avec la création de plateformes territoriales d’accompagnement, l’évolution du fonctionnement du Service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) pour amplifier l’accès au logement, la structuration sur le territoire de la mobilisation du parc privé à des fins sociales, l’organisation de la formation des acteurs locaux au Logement d’abord, le développement des observatoires locaux du sans-abrisme et des opérations de recensement des personnes sans abri, la mise en œuvre d’actions favorisant l’accès au logement depuis la rue notamment par des équipes pluridisciplinaires d’accompagnement, des équipes mobiles d’évaluation ou des actions ciblées sur le soutien aux jeunes.
Les territoires ont recruté des coordinateurs Logement d’abord, animateurs des dynamiques locales, essentiels pour que le Logement d’abord s’inscrive durablement dans les pratiques et les organisations, et se diffuse largement sur un territoire. Ils sont tout à la fois des porteurs de projet, des ambassadeurs du Logement d’abord et incarnent la transversalité nécessaire à la mise en œuvre de cette politique publique. À cet effet, leur poste est cofinancé par l’État et la collectivité.
Enfin, dernière pierre apportée à cette dynamique, l’animation par la Dihal du réseau des 45 territoires de mise en œuvre accéléré du Logement d’abord. C’est un outil pour coconstruire, diffuser les idées et les actions qui fonctionnent, débattre, profiter d’un appui technique par les pairs et nourrir les politiques nationales. Les échanges entre les territoires concrétisent la volonté initiale de la Dihal d’une politique décentralisée dans sa mise en œuvre, mais s’appuyant sur des principes partagés. Cette coopération État-collectivités, formalisée par une convention et une feuille de route, apparaît à l’aune de ses résultats5 comme une voie ambitieuse et pragmatique pour mieux répondre aux situations des personnes en situation d’exclusion.