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Se raconter par l’écriture, un atelier à destination des personnes migrantes

Gwen Le Goff - Directrice adjointe de la revue Rhizome
Natacha Carbonel - Assistante de rédaction de la revue Rhizome

Année de publication : 2023

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SANTE MENTALE, PUBLIC MIGRANT

Télécharger l'article en PDFRhizome n°84 – Échappées artistiques (février 2023)

Dans la cour d’un immeuble, quelques enfants jouent et courent derrière un ballon tandis que la porte d’entrée du bâtiment s’ouvre et se ferme au rythme des allées et venues des résidents. Nous sommes dans un centre d’accueil de demandeurs d’asile situé en périphérie lyonnaise. Au rez-de- chaussée, dans la salle d’activités du centre, a lieu la dernière séance d’une résidence d’écriture du Journal de L’espace1. Accompagné par des mélodies de kora en fond sonore, le groupe discute des derniers détails. Au programme, la finalisation du projet : écriture des derniers articles, relecture des textes définitifs, discussion autour des titres et des dessins qui complèteront le numéro. Au sujet de l’illustration d’un texte sur la liberté de se déplacer, le groupe échange sur la migration des martinets. Lorsque l’on évoque leur capacité à migrer de manière incessante tout au long de leur vie entre l’Afrique et l’Europe, en volant pendant des mois et sans jamais atterir, le groupe s’en étonne. C’est tellement éprouvant de migrer une fois qu’en continu cela ne semble pas possible de tenir. Le Journal de L’espace est le résultat des ateliers d’écriture et d’expression menés par l’Orspere-Samdarra dont l’objectif est de donner la voix aux personnes concernées par la migration. Nous partageons dans ce texte un effet de surprise : entre l’ambition politique de départ et les effets du soutien psychosocial observés, une autre modalité s’est invitée, celle de partager un moment de l’ordre du sensible.

Être porte-voix :un (en)jeu social et politique

En leur permettant de s’exprimer librement, les ateliers offrent aux participants une parenthèse si possible éloignée des enjeux quotidiens (la précarité, l’isolement, les incertitudes administratives…), mais aussi des injonctions à se raconter dans un récit répondant aux attentes des différentes institutions et professionnels. Ces temps n’ont bien évidemment pas comme objectif de nier les réalités ou les difficultés vécues par les personnes, mais ils n’ont pas non plus comme objectif de les encourager à en parler à des fins de dénonciation, de militance ou de sensibilisation du grand public. Les exercices d’écriture proposés permettent aux personnes de s’exprimer sur ce qu’elles souhaitent : leur quotidien, ce qui les soutient ou ce qui les révolte2. Certains participants profitent également de cet espace pour parler d’eux-mêmes, parfois de manière plus intime. Partager ses connaissances autrement, sortir d’une présentation centrée sur l’expérience migratoire (une origine, un statut administratif…) et leur permettre de s’exprimer participe également à les ancrer et à leur donner une place au sein d’une société dont elles peuvent se sentir exclues.

Un support de soutien psychosocial

Les ateliers ont été conçus dans l’idée de proposer un soutien psychosocial pour les personnes en valorisant, d’une part, leurs compétences, leurs connaissances et leurs expériences et, d’autre part, leur partage. Les participants ont des rapports à l’écriture très divers. Certains écrivent tous les jours, sont passionnés par l’exercice, alors que d’autres sont néophytes. Afin d’accompagner ces derniers dans l’écriture, les animateurs deviennent leurs prête-plume en les aidant à poser leurs idées ou à structurer leurs propos. Aucun niveau de langue n’étant requis, les participants sont libres d’écrire dans la langue de leur choix. Très souvent, et à notre grande surprise, certaines personnes allophones s’efforcent justement de rédiger leurs textes en français. Pour elles, la participation à l’atelier s’inscrit dans une démarche d’apprentissage d’une langue qu’elles cherchent à maîtriser le plus rapidement possible.

Les ateliers sont également des espaces de socialisation au-delà des catégories ou assignations dans lesquelles les individus se trouvent. Se regrouper autour d’un objectif, celui de créer une nouvelle édition du journal, inscrit les personnes dans un groupe et contribue à instaurer un cadre propice à la rencontre où l’accent est mis sur ce qui fait commun (goûts, centres d’intérêt…). Cela a d’autant plus de sens pour des personnes isolées qui cherchent à retrouver un sentiment d’appartenance collective. Les ateliers sont autant d’occasions de partager des moments de rires, d’amusements comme des moments plus graves. Tout au long des séances, les participants se rencontrent autrement, s’entraident, voire s’encouragent, dans un espace d’écoute, de bienveillance et de reconnaissance.

S’échapper par l’écriture, une parenthèse « sensible »

De réels sentiments de satisfaction et de fierté sont perceptibles lors des temps de partage et de lecture des textes. L’attention et la dynamique au sein du groupe se modifient : en silence, il importe d’écouter l’écrit de l’autre (même s’il est lu dans une langue que l’on ne comprend pas forcément) et de réagir. Les participants s’encouragent et se félicitent, s’applaudissent très souvent, donnant de la reconnaissance au travail réalisé par chacun. Le journal est riche de tous ces moments, de ces textes, lus, écrits et retravaillés. Il y a une satisfaction à le voir illustré et terminé. Chaque édition donne lieu à un moment convivial autour de la sortie papier du journal, avec des lectures d’articles par les auteurs ou par d’autres personnes choisies quand il est trop difficile de lire son texte soi-même. Il y a des beaux moments et on se retrouve parfois émus par la lecture de son voisin, touchés par le texte, la poésie dégagée qui nous submerge tous, à égalité.

 

Notes de bas de page

1 Le Journal de L’espace est proposé dans la continuité du projet de L’espace, lieu d’accueil, d’expression et d’échange ouvert aux personnes concernées par la migration, accueillant du public à Villeurbanne (69) depuis 2020, et fait suite au séminaire «Paroles, expériences et migrations » restitué au sein de l’ouvrage Le parcours du combattant.Expériences plurielles de la demande d’asile en France (rédigé par le collectif «Paroles, expériences et migrations» et publié par Les Presses de Rhizome en 2022).

2 Nous vous invitons à lire et à écouter le Journal de L’espace #4, intitulé «Qu’est-ce que l’amour ? » (2022) dont les thématiques choisies par le groupe étaient la discrimination, le racisme et l’importance du vivre-ensemble

À DÉCOUVRIR…

Collectif «Paroles, expériences et migrations» (2022).
Le parcours du combattant. Expériences plu- rielles de la demande d’asile en France. Les Presses de Rhizome. Commander l’ouvrage sur la plateforme Cairn.info

Les numéros du Journal de L’espace sur le site internet de l’Orspere- Samdarra.

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