La contrainte, dont le recours reste important en psychiatrie, affecte la santé physique, le rétablissement, le bien-être psychologique et émotionnel de ceux qui en font l’expérience1. Les hospitalisations sans consentement et les mesures qui peuvent les accompagner, comme l’isolement et la contention, peuvent générer un nombre conséquent de troubles de stress post-traumatique et induire la réactivation d’événements traumatiques antérieurs2.
Pour interroger l’expérience de l’hospitalisation sans consentement, cet article explore l’angoisse née du recours à la contrainte du point de vue des personnes qui la subissent. L’angoisse est ici liée à un événement intense et aigu – l’hospitalisation contrainte, susceptible de générer de grandes détresses. C’est pourquoi nous préférons la notion d’angoisse à celle d’anxiété, qui renvoie quant à elle à un sentiment diffus d’inquiétude face à des situations perçues comme menaçantes.
Cette analyse exploratoire du vécu de la contrainte en psychiatrie s’appuie sur les premiers résultats d’une étude ancillaire de la recherche sur les directives anticipées incitatives en psychiatrie3 (Daip).
Un module dédié à l’expérience de la contrainte en psychiatrie
Dès le début de l’étude Daip, le vécu traumatique de la contrainte s’est imposé comme un sujet nécessitant une investigation. L’équipe de recherche, composée d’usagers ainsi que d’ex-usagers, de médiateurs de santé pairs, de professionnels et de chercheurs, a alors développé un « module contrainte » visant à recueillir l’expérience de l’hospitalisation contrainte en psychiatrie. Les participants à l’étude se sont exprimés à propos de la dernière contrainte qu’ils ont subie. Ils ont pu dire s’ils la considéraient : utile, inutile, justifiée, injustifiée, confortable, douloureuse, sécurisante, violente, nécessaire, non nécessaire, angoissante, rassurante, humiliante, enveloppante, traumatisante ou bénéfique. Il leur était proposé autant d’adjectifs « négatifs » que « positifs » et il leur était possible d’exprimer des impressions mixtes sur un même type de contrainte. Les personnes qui le souhaitaient pouvaient ensuite s’exprimer de manière libre pour expliciter le ou les qualificatifs choisis. Dans cette contribution, nous allons nous concentrer sur les vécus « angoissants » et « rassurants » de la contrainte en psychiatrie.
256 participants, âgés en moyenne de 38 ans, ont répondu à cette enquête. 41 % d’entre eux étaient des femmes. Tous les participants avaient été récemment hospitalisés sans consentement et avaient reçu un diagnostic psychiatrique : 37 % de trouble bipolaire de type I, 19 % de trouble schizo-affectif et 44 % de schizophrénie.
La contrainte, source d’angoisse
La contrainte en psychiatrie est source d’angoisse pour les personnes qui la subissent. 53 % des répondants, soit 135 personnes, ont choisi le terme « angoissant » pour qualifier leur vécu de la contrainte. Plus de la moitié des répondants (66 %) ont explicité leur choix, permettant ainsi l’analyse des ressorts de l’angoisse engendrée par la contrainte.
Effets négatifs des mesures d’isolement4, de contention5 et de médication forcée6
Parmi les mesures de contrainte, l’isolement est souvent mis en lien direct avec le caractère angoissant de l’hospitalisation, l’angoisse pouvant perdurer bien au-delà de l’hospitalisation : « La chambre d’isolement a provoqué un sentiment d’oppression qui dure encore. »
Selon les enquêtés, les mesures d’isolement et de contention aggravent voire déclenchent des symptômes, comme les hallucinations, les idées délirantes ou l’angoisse. Le sentiment d’abandon et la violence de la réponse soignante renforcent le mal-être des personnes : « Être abandonné sanglé dans un couloir toute la nuit m’a extrêmement fatigué, ce qui m’a déclenché des hallucinations traumatisantes » ; « À force de tourner en rond, j’ai eu des idées “bizarres” » ; « J’ai des idées noires et effrayantes dans ma tête et la contention renforce cette angoisse. »
Les effets secondaires de la médication sont également plusieurs fois cités : « Les traitements ne me convenaient pas, trop d’effets secondaires. » Ils sont interprétés comme des menaces : « Le traitement était tellement fort, beaucoup de poison dans le corps a provoqué la peur que le cœur arrête de battre. » Enfin, l’arrêt brutal des symptômes peut lui aussi être vécu comme source d’angoisse : « Dur de passer d’un état euphorique à un état sans émotions » ; « La descente des délires, c’était très angoissant ».
Une série de ruptures dans l’expérience des personnes
Ces mesures constituent une rupture radicale dans la vie des personnes. Cette rupture est d’abord temporelle, avec une incertitude quant à la date de sortie : « C’est angoissant parce qu’on n’a pas de date de sortie prévue. » La crainte est celle d’être condamné à rester enfermé : « J’ai ressenti de la peur de ne jamais sortir d’ici. » C’est également la perception même du temps qui change, « Il y a une distorsion du temps », ce qui est accentué par l’absence d’aménagement : « De ne pas avoir l’heure dans la chambre d’isolement. » La perception du temps des personnes enquêtées diffère de celle des soignants et est source d’inquiétudes : « La temporalité est trop floue, le temps des patients n’est pas le même que celui des médecins. »
Cette rupture est également communicationnelle. Le défaut d’informations, d’attention et de communication est une source majeure d’angoisse pour les personnes hospitalisées : « Aucun dialogue ni explication : c’était la panique totale pour moi. » Ce manque d’information et de communication induit un sentiment d’abandon et de disqualification : « Très peu d’attention de la part des soignants, j’ai été livré à moi-même durant tout l’isolement » ; « À la merci, impuissant, on ne t’écoute plus. »
La rupture a également trait à l’environnement dans lequel évolue la personne. Le fait d’arriver en crise dans un environnement inconnu constitue une épreuve pour les personnes : « Première crise, découverte de l’hôpital, être enfermé sans préparation. » Les premières hospitalisations sont mentionnées comme plus anxiogènes. L’angoisse se porte également sur la sécurité des biens : « Vols à l’hôpital. Pas de clé pour mettre ses affaires en sécurité. » Les professionnels qui évoluent dans le service sont parfois perçus comme susceptibles de faire peur ou d’insécuriser : « Les gens de la sécurité font peur » ; « Les soignants rentraient dans la chambre sans prévenir ». Les autres personnes hospitalisées sont également source d’angoisse, avec une dimension de stigmatisation et d’autostigmatisation : « Peur des autres patients » ; « Appréhension des autres malades ».
L’isolement lié à l’hospitalisation entraîne une rupture brutale dans les relations sociales et familiales, ce qui est source d’importantes angoisses : « Pas de cigarette et personne pour parler » ; « Être coupé de mon ex-femme, c’était très dur à vivre. » Ces angoisses sont aggravées par l’impossibilité de projeter une fin à cette situation, faisant écho au thème relatif à l’incertitude et à la distorsion du temps : « Ne pas savoir quand je reverrais ma fille. »
Ces éléments concourent à faire de l’expérience de l’hôpital une expérience de l’enfermement. Le terme « cellule d’isolement » a été mobilisé à la place de celui de « chambre d’isolement », sans que l’on sache si cette confusion était volontaire ou non. L’« impression d’être en prison » se retrouve même dans la description du lieu de l’hospitalisation : « Un peu carcéral comme décoration ». Le vocabulaire policier est également employé : « Contention, perte temporelle (= garde à vue) » renforçant ainsi l’analogie avec l’expérience carcérale.
Quelques pistes pour rendre la contrainte supportable
Si l’angoisse est un sentiment partagé, certaines personnes nuancent leur propos et précisent les conditions d’une contrainte moins traumatisante. Quarante-et-une personnes ont ainsi qualifié leur hospitalisation sous contrainte la plus récente de « rassurante » (16 %), parmi lesquelles 23 % ont laissé un commentaire pour expliciter leur choix (56 %). Nous retrouvons certains thèmes en miroir de l’analyse des facteurs liés à l’anxiété, ce qui permet de continuer à dessiner les contours de ce qu’est une hospitalisation moins anxiogène. Ainsi, l’hospitalisation peut être rassurante :
1) quand l’environnement de l’hôpital est préféré à un environnement extérieur plus anxiogène : « Je préfère être à l’hôpital que dans la rue » ; « J’ai pris des distances avec les gens de ma résidence. »
2) si les symptômes effraient trop la personne et si les traitements sont bien tolérés : « Parce que je me fais peur avec mes voix » ; « Bon traitement. »
3) lorsqu’il y a de l’écoute et de la compréhension : « Personnel bienveillant » ; « Beaucoup d’écoute » ; « Les soignants comprenaient mon mal. »
4) lorsque l’espoir est présent : « Perspective d’aller mieux après cette hospitalisation grâce au traitement » ; « Je sais qu’à ma sortie ça ira mieux. »
Conclusion
L’expérience de la contrainte est en rupture avec l’expérience ordinaire. Rupture temporelle, communicationnelle, relationnelle, environnementale, l’analyse des verbatims recueillis au cours de la recherche sur les Daip révèle que l’hospitalisation sans consentement est majoritairement perçue comme une expérience angoissante, souvent aggravée par les mesures d’isolement, de contention et de médication forcée, ainsi que par le manque d’information et de communication empathique. Cependant, certaines personnes ont souhaité faire part d’aspects rassurants de ces hospitalisations, notamment lorsqu’elles se sont senties en sécurité et écoutées, et lorsque cette rupture a été bénéfique. Ces témoignages soulignent l’importance cruciale de prendre en compte le point de vue des personnes concernées pour améliorer les conditions d’hospitalisation. En valorisant leurs expériences et en ajustant les pratiques en conséquence, il est possible de réduire au maximum l’hospitalisation sous contrainte. Si, en dernier recours, celle-ci s’avère indispensable, il est possible de rendre ces interventions moins traumatisantes pour les personnes concernées en renforçant la qualité des soins en psychiatrie et en s’inscrivant dans une perspective de respect des droits humains.
Notes de bas de page
1 Aragonés-Calleja, M. et Sánchez-Martínez, V. (2024). Evidence synthesis on coercion in mental health: An umbrella review. Int. J. Ment. Health Nurs., 33(2), 259-280.
2 Chieze, M., Hurst, S., Kaiser, S. et Sentissi, O. (2019). Effects of seclusion and restraint in adult psychiatry: A systematic review. Frontiers in Psychiatry, 10.
3 Les directives anticipées incitatives en psychiatrie (Daip) prennent la forme d’un document qui permet l’expression et le respect des souhaits des personnes vivant avec un trouble psychique. Il est un outil au service des droits et du rétablissement des personnes qui a fait l’objet d’une expérimentation à Paris, Lyon et Marseille dans le cadre de la recherche Daip. Pour plus d’informations, nous vous invitons à lire : Tinland, A. et al. (2022). DAiP Group. Effect of Psychiatric Advance Directives Facilitated by Peer Workers on Compulsory Admission Among People With Mental Illness: A Randomized Clinical Trial. Jama Psychiatry, 79(8), 752-759.
4 Le fait de placer une personne dans une chambre fermée.
5 Le fait de maintenir une personne attachée sur un lit à l’aide de sangles.
6 Le fait d’injecter un traitement sans le consentement de la personne.