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La kinésiologie et la pair-aidance pour le rétablissement

Jean Manneville Junior Theagene - Kinésiologue, pair-aidant - Centre hospitalier de l’Université de Montréal

Année de publication : 2025

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°92 – Détours sportifs

Après avoir complété un baccalauréat et une maîtrise en kinésiologie, j’ai bonifié mon cursus avec deux formations de pair-aidance afin d’occuper les fonctions de kinésiologue et de pair- aidant au sein de la clinique de JAP du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Durant mon parcours de rétablissement, l’activité physique (AP) m’a beaucoup aidé à cheminer à travers les étapes de ce processus de rétablissement et m’a permis de le réussir. Aujourd’hui, je réalise que l’AP est un outil indispensable pour accompagner, en tant que pair-aidant, les personnes concernées par les troubles de santé mentale1.

Modifier les représentations autour de l’activité physique

La perception de l’AP varie énormément. Elle peut être positive ou négative selon les personnes, d’autant plus que la majorité de ces personnes n’a pas eu l’occasion de pratiquer des exercices adaptés à leur niveau de forme physique au moment de leur prise en charge. En effet, le manque de connaissance des professionnels de santé sur ce qui est possible de faire selon le niveau de forme physique des personnes accompagnées est souvent un obstacle qui limite le choix d’AP qui leur est offert2.

J’identifie deux obstacles qui peuvent expliquer le fait que les personnes n’adhèrent pas à l’AP. Le premier fait référence au fait que la plupart ne savent pas comment reprendre ce type d’activité après un long moment d’inactivité. En effet, à la suite d’hospitalisations prolongées, par exemple, l’état mental de la personne et sa sédentarité vont jouer un rôle important sur son adhésion à l’AP. Ainsi, intervenir lors des périodes d’hospitalisation peut être une opportunité pour intégrer de l’AP lorsque cela est envisageable. Le deuxième obstacle vient de la difficulté que peuvent rencontrer les personnes à trouver un kinésiologue qui comprend les enjeux de santé mentale, ainsi que les barrières auxquelles cette patientèle peut être confrontée. Ce dernier point peut également être rendu encore plus complexe du fait de raisons financières.

L’activité physique et la pair-aidance soutiennent le processus de rétablissement

De prime abord, les personnes ne savent pas que je vis avec une vulnérabilité en santé mentale lorsqu’elles me rencontrent. Elles sont même surprises de l’apprendre. Leurs perceptions sont plutôt positives et accueillantes lorsqu’elles découvrent que j’ai une expérience similaire à la leur. En général, elles sont plutôt curieuses et désirent en apprendre davantage sur mon expérience avec la maladie. Corollairement, cela les aide d’autant plus à s’engager dans leur propre processus de rétablissement. Les rôles du kinésiologue et du pair-aidant sont contigus, puisqu’au sein de ces deux métiers les interventions doivent être adaptées à la personne accompagnée. Dans certains cas, il n’est pas possible ni bénéfique d’utiliser l’AP avec une personne, car ses intérêts ou son état mental ne le permettent pas. Dans le cadre de mes interventions, une partie de ma double approche privilégie les interventions actives lorsque la situation et la condition physique de la personne le permettent. Ainsi, la marche, les exercices de respiration et les étirements musculaires s’intègrent bien lors d’un accompagnement de pair-aidance. Il importe également que l’intérêt de la personne soit pris en considération, car c’est à partir de ses préférences que nous pourrons choisir l’AP ou l’intervention qui sera la plus appropriée pour elle. En outre, l’expérience vécue par la personne durant la séance est importante à considérer, car cela va avoir un impact sur son appréciation de la séance et donc son implication dans le processus. Ainsi, il ne faut pas seulement fonder les interventions sur des paramètres quantitatifs, comme le pourcentage de la fréquence cardiaque maximale, l’intensité de la séance d’accompagnement ou même l’importance de bouger le plus longtemps possible, même si ceux-ci sont importants afin d’obtenir des améliorations de la condition physique. La perception de la personne accompagnée et ce qu’elle ressent durant la session sont primordiaux lorsque nous combinons une AP à une séance de pair-aidance.

Se rétablir par l’activité physique

Il existe plusieurs types d’interventions en kinésiologie qui peuvent être combinées aux cinq étapes du rétablis- sement3. Ainsi, lors de la première étape du processus, il est préférable d’utiliser des exercices d’étirement ou des mouvements qui vont créer des expériences de réussite. Il est également plus avantageux de tenir des séances d’AP très courtes, qui durent environ 15 minutes ou moins, dans le but de créer un lien de confiance sans que cela ne soit trop envahissant pour la personne. Lors de la deuxième étape, il est préférable d’utiliser des exercices choisis selon l’intérêt de la personne et d’augmenter la durée des séances pour atteindre environ 30 minutes. Lors de la troisième étape, il est possible de continuer d’allonger les séances afin qu’elles durent environ 60 minutes. La quatrième étape nous permet d’accompagner la personne vers une pratique de l’AP autonome. En collaboration avec elle, nous développons un plan pour passer à l’action et nous l’encourageons à pratiquer l’AP une à deux fois par semaine sans la présence d’un intervenant, mais peut-être en étant accompagnée d’un membre dans son cercle social. La promotion de l’autonomie dans la pratique de l’AP est faite lors de la cinquième étape du processus. L’intervenant reste disponible et en soutien de la personne, mais celle-ci est encouragée à mobiliser son cercle social pour continuer sa pratique d’AP4.

Pour les personnes concernées par les troubles de santé mentale, l’AP est un excellent moyen qui peut leur permettre de reprendre du pouvoir sur leur vie, les engage sur leur propre processus de rétablissement, qui n’est pas toujours facile à engager, et améliore l’estime d’elles- mêmes.

Notes de bas de page

1 Legrand, F. D., Chaou- loff, F., Ginoux, C., Ninot, G., Polidori, G., Beaumont, F., Murer, S., Jeandet, P. et Pelissolo, A. (2023). L’exercice physique pour la santé mentale : mécanismes, recommandations, recherches futuresL’Encéphale, 49(3).

2 Romain, A. J., Trottier, A., Karelis, A. D. et Abdel- Baki, A. (2020). Do Mental Health Professionals Promote a Healthy Lifestyle among Individuals Experiencing Serious Mental Illness? Issues in Mental Health Nursing, 41(6), 531-539.

3 La première étape du processus de rétablisse- ment fait référence au choc et au déni que peut ressentir la personne. La deuxième laisse place au renoncement et au sentiment de désespoir. La troisième à l’espoir et à la remise en question de la personne. La quatrième correspond à l’émergence du sentiment de courage ainsi que la volonté d’agir. La cinquième concerne la responsabilisation de la personne et le développement du pouvoir d’agir. Lagueux, N., Rouleau, M. et Charles, N. (2007). Programme québécois Pairs-Aidants Réseau.

4 Romain, A. J. et Bernard, P. (2018). Behavioral and psychological approaches in exercise-based interventions in severe mental illness. Dans B. Stubbs et S. Rosenbaum (Dir.), Exercise-based interventions for mental illness: Physical activity as part of clinical treatment (p. 187-207). Elsevier Academic Press.

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