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L’anxiété de la demande d’asile

Dilont Ndilou - Écrivain

Année de publication : 2024

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, PUBLIC MIGRANT

Télécharger l'article en PDFRhizome n°90-91 – Anxiéter (décembre 2024)

Le mot « anxiété » me ramène à des souvenirs peu joviaux. Je ne parle pas du stress qui vous prend lorsque vous êtes en retard lors d’un rendez-vous galant. Ici, il est question de vivre avec une peur presque irrationnelle qui nous épouse, qui devient une compagne de vie et qui reste parfois présente jusqu’à ce que la mort vous sépare. J’ai connu l’anxiété permanente dans la période la plus trouble de ma vie.

En 2019, j’ai fait une demande d’asile lorsque je suis arrivé en France. Pour moi, il s’agissait d’une procédure qui allait durer un an maximum, le temps que mon cas soit étudié. Finalement, cette procédure a duré quatre ans. Inutile de vous dire que j’ai vécu les quatre années les plus incertaines de ma vie. Rien dans mon passé ne m’avait préparé à ce que j’aurai à affronter durant cette période dans une chambre de neuf mètres carrés, en vivant loin de ma famille. Incertain de la décision qui serait prise par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’attente d’une éventuelle convocation me terrifiait et j’avais développé un trouble du sommeil comme jamais auparavant.

Le fait de vivre au sein d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) ne m’avait pas aidé à vaincre mon anxiété. Bien au contraire, ce lieu constituait l’endroit idéal pour légitimer cette dernière et normaliser ce ressenti. Au sein du Cada, bien que nous ayons tous des parcours assez différents, nous vivions la même chose et avions peur que notre demande d’asile soit refusée. Ce sentiment était un combustible efficace pour entretenir notre anxiété. Chaque refus que recevait une personne était une nouvelle raison de se sentir anxieux et chaque demande d’asile acceptée faisait que l’on ne voulait pas être celui qui échouerait là où certains avaient réussi. Il n’y avait pas de bonne réponse, toutes étaient des autoroutes sans péages en direction de l’anxiété. Vivre avec des anxieux n’aide pas toujours lorsqu’il s’agit de combattre ce sentiment.

Nous étions aussi tous confrontés au fait de ne pas pouvoir travailler. Lorsque vous êtes un humain avec des besoins, tels que vous vêtir, vous nourrir et mettre de côté au cas où votre demande d’asile vous serait refusée, il est clair que 200 euros mensuels d’allocations ne sont pas suffisants. Le seul droit qui pouvait nous sortir de cet environnement, c’est-à-dire travailler, nous était refusé et l’on devait se contenter de cette modique allocation. Pendant cette période, j’ai pensé que mon anxiété faisait partie de moi et que c’était un sentiment aussi normal que les rires. Je n’avais jamais pensé que c’était un poison qui me conduisait peu à peu à la déchéance.

Puis, la pandémie se déversa dans le monde et accentua ce mal-être profond vis-à-vis d’un futur incertain. Le refus de ma demande d’asile après des années d’attente sonna comme le début d’une mort certaine. Mon anxiété était à son paroxysme, j’allais perdre mon hébergement, les droits de me soigner et mon allocation de demandeur d’asile. J’étais dos au mur, la vie dans la rue me tendait les bras et aucune autre solution ne pointait à l’horizon. Impossible de rentrer dans mon pays ou alors j’étais sûr d’y rester, impossible de rester en France où j’étais désormais pris au piège. Ainsi, soit j’acceptais de mordre à l’hameçon du retour au pays, soit je me noyais en faisant du surplace en France.

Ce qui m’a sauvé de l’anxiété chronique, ironiquement, c’est mon expulsion du Cada lorsque ma demande d’asile a été refusée. Cela m’a permis de quitter cet endroit anxiogène et de voir le monde tel qu’il était vraiment. Dans un monde normal, les gens ne jouent pas leur vie en attendant une décision de l’Ofpra, les gens ne vivent pas avec 200 euros par mois et, surtout, ils ne vivent pas parqués comme du bétail dans des chambres de neuf mètres carrés. Rien de tout cela n’était le vrai monde. Changer d’environnement a été salvateur pour moi car, pour la première fois depuis quatre ans, je me posais une question existentielle : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ?

Je ne restai pas sans réponse longtemps. Désormais sorti des griffes de ma vie de demandeur d’asile, je pris le temps de faire quelque chose que j’aime : écrire. J’avais pu être sauvé de la rue par des gens aimables qui m’avaient offert l’hospitalité, m’enlevant une épine gigantesque du pied. C’est à ce moment que j’ai commencé à travailler sur ma guérison, car l’anxiété est une maladie. Chaque mot que j’écris est un médicament qui me soigne. L’écriture de mon livre Aucun refuge a été une thérapie salvatrice, j’y ai vu la naissance d’un sentiment d’apaisement, un sentiment que je n’avais pas connu durant ces quatre dernières années.

Bibliographie

Ndilou, D. (2024). Aucun refuge. Éditions Maïa.

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