Les personnes immigrées présentent différents profils, tels que celui de « travailleur·euse·s migrant·e·s », « réfugié·e·s » et « demandeur·euse·s d’asile ». Elles sont exposées de manière disproportionnée à des événements traumatisants, potentiellement pourvoyeurs de dépression et de trouble de stress post-traumatique1 (TSPT). Le TSPT est un trouble psychiatrique qui peut survenir après un événement traumatique grave, tel qu’une menace de blessure ou de mort. Il comprend trois catégories de symptômes qui altèrent considérablement la qualité de vie, soit : des reviviscences traumatiques (telles que des souvenirs intrusifs, des cauchemars ou des flash-back), des sentiments de menace (tels que des peurs intenses ou de l’hypervigilance avec des difficultés de concentration) et des conduites d’évitement. Des troubles de l’humeur et des manifestations neuro-végétatives2 s’y associent fréquemment.
Une prévalence plus importante des troubles de stress post-traumatique
Les populations immigrées sont particulièrement exposées aux psychotraumatismes en raison des expériences traumatisantes vécues avant la migration ou durant le parcours migratoire, comme la violence organisée et l’oppression politique. Cela est particulièrement prégnant pour les femmes et les personnes réfugiées3. Par ailleurs, les personnes immigrées sont souvent confrontées à de graves difficultés post-migratoires, comme de longs délais de traitement des demandes d’asile impliquant leur statut juridique, l’exclusion, l’isolement social, la solitude, les problèmes de santé, le stress acculturatif découlant de la méconnaissance des tâches quotidiennes, la discrimination, les barrières linguistiques, les différences culturelles, mais aussi des difficultés liées aux droits du travail, leur permettant de trouver un emploi stable et ainsi de garantir des conditions de vie et de logement stables4.
Une situation d’exclusion sociale pour l’accès au logement
En France, la demande de logement est un processus complexe, en particulier pour les personnes immigrées qui sont socialement exclues et souvent non francophones. À Paris, comme dans de nombreuses grandes villes européennes, la proportion de personnes immigrées parmi les personnes sans domicile a augmenté au fil du temps (soit de 38 % en 2001 et de 52 % en 2012). Nous savons peu de choses sur les familles immigrées sans domicile souffrant de TSPT en Europe. La majorité de cette population est composée de mères avec enfants dont les revenus sont très faibles, voire nuls. La plupart des études portant sur le psychotraumatisme chez les populations immigrées ont été menées aux États-Unis, où la prévalence variait entre 40 et 68 % et les événements traumatisants variaient de 75 à 84 % en fonction du contexte et de la population spécifique étudiée. Concernant l’exclusion vis-à-vis du logement, une étude outre-Atlantique a montré que 42,6 % et 29,7 % des mères sans domicile de trois villes américaines répondaient, respectivement, aux critères du trouble de stress post-traumatique au cours de leur vie et des douze derniers mois5.
Une étude inédite menée par l’Observatoire du Samu social de Paris
À notre connaissance, peu d’études se sont intéressées aux conditions de vie des personnes sans logement et à leur relation avec la santé mentale. L’étude « Enfants et familles sans logement (Enfams) », menée par l’Observatoire du Samu social de janvier à mai 2013, s’est appuyée sur un échantillon aléatoire de 801 familles hébergées dans des centres d’urgence de long séjour ou pour demandeurs d’asile et des hôtels sociaux6. Elle a permis d’estimer l’état de santé mentale des familles immigrées sans domicile en Île-de-France. Dans cette étude, ces mères ont signalé des niveaux élevés d’événements traumatiques (62,4 %) et du trouble de stress post-traumatique (23,6 % et 16,2 % respectivement répondaient aux critères de diagnostic au cours de la vie et des douze derniers mois versus 3,9 % et 2,2 % au cours de l’année écoulée en population générale7). Les événements traumatiques rapportés par les mères participantes étaient particulièrement violents : 80,5 % avaient vécu la mort inattendue ou soudaine d’un ami intime ou d’un membre de la famille, 48,7 % avaient vu quelqu’un se blesser ou mourir, 38,4 % avaient vécu une guerre, 37,6 % avaient été victimes d’une agression par un proche et 35,9 % avaient été victimes d’un viol ou d’une agression sexuelle. Le départ du pays d’origine pour cause de violence (PR = 1,45) était associé au fait de souffrir du trouble de stress post-traumatique au cours des douze derniers mois. En outre, le TSPT était associé à la dépression soulignant le poids des comorbidités sur la vulnérabilité psychologique globale.
Dans cette étude, le syndrome de stress post-traumatique était associé à la dépression. La question de savoir s’il est judicieux de distinguer ces deux diagnostics à la suite d’un traumatisme fait toujours l’objet d’un débat scientifique. Plus précisément, certaines études suggèrent que la dépression est un facteur de risque des troubles de stress post-traumatique et, réciproquement, que la présence de ces troubles est un facteur de risque de la dépression. Les deux troubles représentent alors une vulnérabilité commune sous-jacente. À ces événements traumatiques s’ajoutait le fait d’avoir passé au moins une nuit dans la rue (14,6 %) pour ces mères. Ces expériences post-migratoires semblent également jouer un rôle non négligeable puisque l’instabilité résidentielle (PR = 1,93) était statistiquement associée au trouble de stress post-traumatique. Ces résultats soulignent que l’instabilité résidentielle peut réveiller ou aggraver les symptômes de ces mères immigrées sans domicile, accumulant les facteurs de stress post-migratoires, et entraîner de nouveaux psychotraumatismes dus à la perte d’un logement stable, de liens avec leur famille, de rôles sociaux et de routines. L’absence de chez-soi chronique et les facteurs de stress associés, tels que l’incertitude permanente quant à l’endroit où trouver de la nourriture et un abri sûr, peuvent éroder les mécanismes d’adaptation d’une personne et être le point de rupture pour celles qui souffrent de troubles du comportement préexistants ou ayant déjà subi des traumatismes. Les familles immigrées sans domicile cumulent ces facteurs de risque de développer un trouble de stress post-traumatique, ayant comme impact des troubles physiques et mentaux (dépression, troubles anxieux), ainsi que des troubles du fonctionnement biologique (vieillissement cellulaire8) et social.
Des résultats concordants sur l’impact des conditions de vie délétères sur la santé mentale des parents et des enfants
Ces résultats sont cohérents avec les recherches antérieures : Matthew Porter et Nick Haslam9 ont constaté que l’hébergement et les opportunités économiques limitées modéraient les résultats en matière de santé mentale, quel que soit le lieu de réinstallation. Plusieurs études menées aux Pays-Bas ont montré que les difficultés financières, le stress quotidien et le statut de migrant10 étaient associés aux symptômes du syndrome de stress post-traumatique. Par ailleurs, de nombreuses publications documentent l’association entre la santé mentale des mères et les difficultés émotionnelles des enfants. Cela souligne que le trouble de stress post-traumatique peut augmenter le risque d’autres problèmes de santé mentale et physique chez les femmes, mais aussi détériorer le fonctionnement social et avoir un impact sur l’environnement proche et sur l’enfant (notamment l’externalisation, l’internalisation et la régulation des émotions11). Cette relation pourrait s’expliquer par le fait que le syndrome de stress post-traumatique des parents peut avoir un impact sur le fonctionnement de l’éducation (comme une satisfaction parentale moindre, les relations parents-enfants moins optimales et le recours plus fréquent à des pratiques parentales négatives, telles que l’hostilité manifeste et les comportements contrôlants12).
Une prise en charge insuffisante et mise à mal par les conditions de vie
En pratique clinique, il est difficile, voire impossible de soulager efficacement des symptômes lorsque les besoins vitaux ne peuvent être assouvis. Ainsi, il est illusoire de soulager les troubles du sommeil, comme les insomnies sévères et les cauchemars post-
traumatiques intenses, lorsque les personnes concernées sont contraintes d’errer des nuits entières faute de place dans les centres d’hébergement. La fatigue cumulée entretient les troubles de la concentration qui génèrent eux-mêmes des difficultés d’observance des traitements et des rendez-vous médicaux ou administratifs manqués. L’absence d’hébergement expose par ailleurs les femmes à des risques importants de (nouvelles) violences sexuelles, comme cela a été récemment montré dans une étude réalisée auprès de femmes demandeuses d’asile dans le sud de la France13.
En outre, le trouble de stress post-traumatique impacte les récits de vie demandés par les administrations lors des procédures d’asile : la rédaction de ces récits et les auditions ultérieures des candidats à l’exil constituent souvent de nouvelles expériences traumatogènes à l’origine d’une aggravation ou de résurgence des symptômes. Parfois, l’évocation des événements de vie génère des phénomènes dissociatifs qui rendent toute narration impossible. Ces éléments soulignent le rôle des professionnels de la santé dans la prise en charge des besoins de santé mentale de cette population. Pourtant, force est de constater que les personnes ayant un passé migratoire14 ne bénéficient pas autant de la psychothérapie que d’autres patients, en particulier les thérapies comportementales et cognitives (TCC) centrées sur le traumatisme et l’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (eye movement desensitization and reprocessing – EMDR) qui sont recommandées par l’Organisation mondiale de la santé depuis 2013.
Conclusion
Ces résultats démontrent également l’importance du rôle des déterminants structuraux et des facteurs contextuels impliqués dans le développement ainsi que la progression des troubles de stress post-traumatique. Ces derniers peuvent être gérés efficacement par un soutien matériel et non matériel de la part des pays d’accueil. Des mesures renforçant la protection sociale et sanitaire des personnes migrantes dans un pays d’accueil constitueraient un instrument puissant pour réduire le nombre d’événements traumatisants, les difficultés de vie post-migratoire, le trouble de stress post-traumatique qui en découlent et protégeraient plus efficacement non seulement les adultes, mais aussi leurs enfants.
Notes de bas de page
1 Le terme de TSPT a remplacé celui d’état de stress post-traumatique (ESPT) depuis l’édition de la 5e version du DSM en 2013. Ce trouble n’est plus classé dans les troubles anxieux, mais dans une catégorie à part nommée « troubles consécutifs aux traumatismes et au stress ». American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders, DSM-5 (5e éd.).
2 Gootzeit, J. et Markon, K. (2011). Factors of PTSD: Differential specificity and external correlates. Clin. Psychol. Rev., 31, 993-1003.
3 Tinland, A., Boyer, L., Loubière, S., Greacen, T., Girard, V., Boucekine, M., Fond, G. et Auquier, P. (2018). Victimization and posttraumatic stress disorder in homeless women with mental illness are associated with depression, suicide, and quality of life. Neuropsychiatr. Dis. Treat., 14, 2269-2279.
4 Li, S. S. Y., Liddell, B. J. et Nickerson, A. (2016). The Relationship Between Post-Migration Stress and Psychological Disorders in Refugees and Asylum Seekers. Curr. Psychiatry Rep., 18, 82.
5 Whitbeck, L. B., Armenta, B. E. et Gentzler, K. C. (2015). Homelessness-Related Traumatic Events and PTSD Among Women Experiencing Episodes of Homelessness in Three U.S. Cities. J. Trauma. Stress, 28, 355-360.
6 Vandentorren, S., Le Méner, E., Oppenchaim, N., Arnaud, A., Jangal, C., Caum, C., Vuillermoz, C., Martin-Fernandez, J., Lioret, S., Roze, M., et al. (2016). Characteristics and health of homeless families: The Enfams survey in the Paris region, France 2013. Eur. J. Public Health, 26, 71-76.
7 O’Donnell, M. L., Creamer, M. et Pattison, P. (2004). Posttraumatic stress disorder and depression following trauma: Understanding comorbidity. Am. J. Psychiatry, 161, 1390-1396.
8 Katrinli, S., Stevens, J., Wani, A. H., Lori, A., Kilaru, V., van Rooij, S. J. H., Hinrichs, R., Powers, A., Gillespie, C. F., Michopoulos, V. et al. (2020). Evaluating the impact of trauma and PTSD on epigenetic prediction of lifespan and neural integrity. Neuropsychopharmacology.
9 Porter, M. et Haslam, N. (2005). Predisplacement and postdisplacement factors associated with mental health of refugees and internally displaced persons: A meta-analysis. Jama Psychiatry, 294, 602-612.
10 Chu, T., Keller, A. S. et Rasmussen, A. (2013). Effects of post-migration factors on PTSD outcomes among immigrant survivors of political violence. J. Immigr. Minor. Health, 15, 890-897.
11 Samuelson, K. W., Wilson, C. K., Padrón, E., Lee, S. et Gavron, L. (2017). Maternal PTSD and Children’s Adjustment: Parenting Stress and Emotional Availability as Proposed Mediators. J. Clin. Psychol., 73, 693-706.
12 Christie, H., Hamilton-Giachritsis, C., Alves-Costa, F., Tomlinson, M. et Halligan, S. L. (2019). The impact of parental posttraumatic stress disorder on parenting: A systematic review. Eur. J. Psychotraumatol., 10, 1550345.
13 Khouani, J., Landrin, M., Boulakia, R. C., Tahtah, S., Gentile, G., Desrues, A., Vengeon, M., Loundou, A., Barbaroux, A., Auquier, P. et Jego, M. (2023). Incidence of sexual violence among recently arrived asylum-seeking women in France: a retrospective cohort study. Lancet Reg. Health Eur., 34, 100731.
14 World Health Organization. (2013). Guidelines for the Management of Conditions Specifically Related to Stress. WHO.