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La demande, quelle demande ?

B. ELGHOZI - Médecin généraliste, Réseau Ville Hôpital Créteil, Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Médecine, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°2 – Métamorphoses de la demande et engagement dans le soin (Septembre 2000)

Lorsque mon ami Christian LAVAL m’a demandé d’écrire ces quelques lignes sur «la demande des personnes en situation de souffrance psychosociale, telle qu’elle arrive au cabinet du généraliste», j’ai spontanément donné mon accord. J’évaluais mal les difficultés que j’aurais à rendre compte de la réalité de ma pratique autour de ce concept impalpable «la demande des personnes en situation de vulnérabilité psychosociale».

Dans mon exercice de médecin de quartier à Créteil, je suis confronté depuis plus de vingt ans aux personnes fragilisées tant par des difficultés économiques que par la fragilité psychique, voire la maladie mentale. Il s’agit de personnes, déstructurées autant dans leur tête que dans leur relation à l’autre et à leur environnement social, dans l’incapacité de mobiliser au moins momentanément leurs propres ressources et souvent éloignées de la réalité du monde qui les entoure.
Je suis rarement en mesure de comprendre ce qu’elles me veulent…ce qu’elles attendent de moi, professionnel de santé auprès duquel elles se déplacent. Quelle est leur demande ? En général il n’y en a pas en dehors d’une demande de réponse immédiate à une situation «d’urgence ressentie». «Vite, Docteur, faites quelque chose…je suis pas bien».

Je ne me souviens pas avoir rencontré de déprimé qui vienne formuler une demande d’hospitalisation, de psychotique en bouffée délirante qui me demande d’initier un traitement, d’adolescent en rupture familiale qui me demande de l’aider à sortir de sa relation de «dépendance au produit».
La rencontre répond généralement à un moment de crise où, à un moment donné, dans un contexte particulier, sont indissociables les éléments médicaux et sociaux. Il est alors nécessaire avant toute autre démarche de repérer la nature des troubles, les réactions auto ou hétéro agressives, son ressenti (et ses représentations) ainsi que les réactions de l’entourage.
Pourquoi face à des situations semblables quant à la gravité et à la multiplicité des problèmes, mon ressenti est-il différent ? Il est donc indispensable de me positionner en repérant mes propres représentations, voire mes craintes ou ma propre peur.

La crise peut le plus souvent être résolue avec du temps alors que les réponses apportées dans l’urgence améliorent rarement la situation initiale. La résolution d’une crise peut s’avérer structurante tant pour la personne en souffrance que pour la relation avec le thérapeute potentiel que je suis.
Une des priorités reste de différencier  l’urgence psychiatrique de la crise psychosociale ?
L’impression que j’ai le plus souvent est d’être confronté à une souffrance qui touche à l’insupportable: la crise serait « l’ explosion soudaine d’un mal-être ».

Ces situations de crise révèlent à la fois des contradictions internes à l’accompagnement, l’insuffisance de la palette des réponses possibles, et la difficulté de réunir les conditions nécessaires à une écoute réelle.
La souffrance de ces personnes demande tout d’abord une disponibilité immédiate et un temps d’écoute rarement accessibles dans la pratique de la médecine de quartier. Une des questions essentielles est celle du temps: temps nécessaire à la prise de recul, temps nécessaire à la pose d’un diagnostic, temps nécessaire à la recherche de partenaires potentiels et de solutions. Ce temps, c’est la qualité et la sécurité de ma pratique, ce temps dans ces situations il est difficile de le prendre et pourtant c’est ma survie de professionnel qui est en jeu et je l’exige.
En effet, la solution la meilleure ne peut être trouvée tant que la situation n’est pas mise à plat pour étudier et peser avec d’autres les différentes alternatives. Mais les problèmes matériels exigent souvent une réponse rapide. Je me retrouve dans une situation ambiguë où, du fait de la souffrance des gens, je suis amené à prendre des décisions à leur place et aux conséquences incertaines. Il semble que cette double contrainte – trouver des solutions rapides ET prendre le temps avec la personne pour l’aider à formuler quelque chose qui pourrait alors avoir à faire avec la demande – participe à la perception de la difficulté liée à la situation de crise.

Le manque de solutions intermédiaires accentue ou parfois crée la crise. Le manque de souplesse dans les critères d’accueil et l’absence d’un accompagnement vers les structures intermédiaires rendent leur recours difficile. L’absence de médiation possible entre la ville et l’hôpital, entre les professionnels de santé libéraux isolés et les structures d’hébergement ou d’hospitalisation, l’absence d’articulations et de coordination entre les professionnels de santé et les intervenants sociaux renforcent l’isolement des patients et souvent aussi celui des professionnels.
L’absence fréquemment mentionnée de médecin de famille «référent», de liens familiaux et de tout réseau relationnel place le professionnel en situation d’intervenant presque exclusif.
De ce fait, les représentations respectives de ceux qui pourraient logiquement être des partenaires sont telles qu’elles nuisent à une concertation qui pourrait peut-être parfois éviter la crise ou du moins en infléchir les impacts.
Nous devons ensemble travailler à mettre en place des réponses pluri-disciplinaires
Il n’y a pas de modèle a priori: les professionnels adaptent leurs pratiques, inventent des solutions avec la personne concernée.

Cependant la réponse passe par le repérage quelques éléments méthodologiques:
Un temps d’écoute qui permet de dédramatiser la situation, de désamorcer l’agressivité, puis d’instaurer une relation de soutien.

La réflexion se fait avec la personne, à partir de ses possibles et pas seulement à partir de ma lecture de ses problèmes. Elle cherche à s’appuyer, autant que faire se peut, sur le réseau propre à la personne.
En tant que professionnel, mon rôle est aussi celui « d’accompagner » la personne. Je suis prêt à abandonner une partie de mon pouvoir pour m’autoriser à plus de relation affective. Il s’agit plus d’un engagement dans une démarche d’accompagnement que de la classique «neutralité bienveillante».

La démarche consiste davantage à ouvrir des possibles, à élargir la palette des solutions, qu’à trouver la bonne réponse. L’abandon de l’illusion d’une solution parfaite et unique permet à la fois plus de pragmatisme au niveau des moyens, et un accompagnement vers une meilleure inscription dans le réel.

Pour briser l’isolement des acteurs, une des pistes les plus pertinentes aujourd’hui est la construction de nouvelles pratiques communes décloisonnant les logiques institutionnelles pour rapprocher les professionnels de santé et les intervenants sociaux. C’est pourquoi nous devons continuer à travailler localement ensemble au développement des réseaux de pratiques coopératives sanitaires et sociales.

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