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La psychiatrie «trouée» par l’action sociale

Pierre GAUTHIER - Directeur de l'Action Sociale

Année de publication : 2000

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°1 – Interpellations (Avril 2000)

Qu’est ce que le Directeur de l’Action Sociale peut avoir à demander à des psychiatres de secteur, concernant la précarité ?Cette question vise en fait la nature de la frontière entre le sanitaire et le social. Je me demande si nous ne travaillons pas avec des catégories qui sont héritées de notre culture et de notre organisation administrative, et qui sont largement mises à mal par l’évolution de la société. Cette division entre le champ du médical et le champ social a peut être une vertu rassurante, mais il n’est pas certain qu’elle soit très convaincante, tant du point de vue historique que du point de vue médical.

Le social : lieu d’émergence d’une souffrance

Une première observation, pour mettre en contexte : les politiques d’action sociale des années 60 à 80 concernaient des publics relativement définis et limités. Ces publics étaient, d’une part, ceux qui se trouvaient en dehors du monde du travail, pour des raisons d’âge, de handicap (loi de 75, AAH 1, minimum vieillesse), de l’autre, l’enfant et la famille protection de l’enfance, API 2). L’essentiel de la régulation sociale s’effectuait dans le cadre du monde du travail et des systèmes de protection sociale qui lui étaient rattachés. La division du travail avec la psychiatrie était relativement claire, puisque celle-ci gérait avec le secteur une partie de ces populations, triées sur la base d’un diagnostic médical. Le secteur gérait d’une certaine façon en interne sa question sociale. La forte croissance des moyens, la mise en place de la politique de secteur, un certain intérêt public pour la question de la “folie” (Foucault, l’antipsychiatrie, la mode de la psychanalyse) constituaient un contexte favorable. Les mutations sociales des 20 dernières années ont fait rentrer dans le champ de l’intervention publique une toute autre population, qui est en difficulté pour trouver sa place dans un contexte de chômage ou de concurrence exacerbée. Passer de 300 000 chômeurs à 2,5 millions n’est pas sans changer la donne, d’autant plus que la politique constante a été de tenter d’atténuer le choc de ces mutations par un important effort redistributif et en accompagnant ces populations. Le  handicap social” et ses “dégâts collatéraux” en matière de tensions sociales et de souffrance individuelle sont devenus l’objet principal de l’intervention sociale, qui porte sur des personnes (RMI), des territoires (politique de la ville), des publics (missions locales) et des situations extrêmes (la grande exclusion, l’urgence sociale). Les politiques dites d’insertion ont un impact quantitatif majeur, elles portent sur des populations qui ne sont plus signalées par un “marqueur” social fort, elles concernent la vie sociale. En apparence, le secteur psychiatrique est en dehors de ces enjeux, puisque rien ne définit ces publics de l’intervention sociale comme plus “malades” que e reste de la population. A l’évidence, il n’en est rien.

Questions à la psychiatrie

PREMIÈRE QUESTION : les progrès des soins, la politique de suppression des “asiles” et une tendance que je perçois, peut-être à tort, comme un certain epli des psychiatres sur le champ proprement médical, renvoient vers la “cité” des malades stabilisés, qui doivent faire leur place dans un environnement difficile. Quand ça ne marche pas, on retrouve éventuellement à la rue une part de ces malades qui viennent grossir les publics sans domicile ou en errance.
Comment le secteur peut-il mieux piloter l’accompagnement de ces malades stabilisés, pour ne pas les laisser à la merci de la violence urbaine ? Je ne trouve absolument pas rassurant d’entendre certains réclamer, en désespoir de cause, la réouverture des asiles. Mais il faut pouvoir trouver des alternatives qui répondent aux besoins, qui sont probablement importants, mais qui ne doivent pas non plus être infinis.

DEUXIÈME QUESTION : Les intervenants sociaux sont confrontés à des personnes qui vont mal, à des phénomènes extrêmement difficiles à vivre et à comprendre : violence, incapacité de se réinsérer, prise de risque inconsidérée, décomposition des liens sociaux et familiaux. Les intervenants sociaux ont une attente d’aide, au moins pour comprendre, éventuellement pour passer le relais. Que peut le secteur psychiatrique en ce domaine, pour avoir une politique de prévention et de présence dans la communauté ? Il ne s’agit évidemment pas de psychiatriser le social”, mais de prendre en compte le fait que le social est le lieu d’émergence d’une souffrance des sujets qui doit être reconnue.

TROISIÈME QUESTION : Ces mutations sociales (on a longtemps parlé de crise, mais le terme ne convient pas car jamais notre société n’a été aussi riche et active) bouleversent nos catégories de pensée, nos points de repères. Le champ de la santé mentale est touché comme le champ de l’intervention sociale par ces mutations. Il n’est pas inutile de savoir comment vous, professionnels de la santé mentale, comprenez ces évolutions. Que vous apprend l’approche clinique, comment votre pratique est modifiée par ce contexte

QUATRIÈME QUESTION : Beaucoup d’équipes de secteur ont pris en compte ces demandes sociales nouvelles et de nombreuses actions sont menées sur le terrain, avec pragmatisme. Il est utile de les faire connaître, de les évaluer, de les mettre en réseaux, notamment dans le cadre des Praps. Cette culture commune constitue un fonds à partir duquel d’autres équipes peuvent se décider à participer à des actions innovantes. L’Orspere a cette fonction de réseau. Une synthèse de ces expériences peut-elle servir d’aide à la décision ?

DERNIÈRE QUESTION : La CMU3 donne la possibilité d’accéder aux soins à une population démunie. Le nombre de psychiatres a été multiplié par 8 en 30 ans, ce qui devrait tout de même donner quelques marges de manœuvre. Comment concevez-vous l’articulation avec la médecine privée, et notamment avec les psychiatres libéraux, mais aussi avec les généralistes qui reçoivent les patients en première intention ? Y a-t-il possibilité de mieux les associer à l’accueil des populations en difficulté, et à quelles conditions ?

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