Une demande d’aide psychologique débute souvent bien avant la première demande adressée au psy.
Aujourd’hui, une partie de l’action des professionnels de l’insertion consiste à travailler l’écart de plus en plus important entre les dimensions sociales (trouver un travail) et les dimensions psychiques (pouvoir l’investir) des actions qu’ils proposent et ce sans chercher à le réduire à une seule de ces deux composantes.
En contexte d’insertion, l’élaboration d’une demande d’aide est d’abord un processus intersubjectif entre deux ou plusieurs personnes où percevoir la souffrance dans un cadre non soignant, puis pouvoir éventuellement en témoigner aux spécialistes de la souffrance psychique, reste fortement marqué du sceau de la contingence.
Une demande d’aide psychologique débute souvent bien avant la première demande adressée au psy. Elle se construit toujours circonstantiellement, casuellement, de personne à personne. Elle est peu prévisible à l’échelle d’un dispositif car elle se construit dans l’interstice des procédures existantes dont la finalité affichée n’est pas l’accès aux soins. En conséquence, ses formes d’expression sont souvent tributaires des représentations que les individus se font des dispositifs dans lesquels ils évoluent. Par exemple, dans le cadre d’un programme de retour à l’emploi, les composantes personnelles ou familiales seront au moins dans un premier temps hors-cadre alors qu’elles arrivent souvent au premier plan dans les interactions.
Lorsque les énoncés contingents au cadre d’insertion ne peuvent être soumis à l’appréciation de thérapeutes, la souffrance n’est souvent envisagée que du point de vue de ses causes, que celles-ci soient attribuées à une fragilité inhérente aux individus ou lues comme une conséquence de politiques sociales défaillantes. Dans ces deux cas, l’incertitude sur la qualité proprement psychique et intersubjective de la souffrance ne facilite pas le processus d’émergence d’une demande de soins. Parce que la souffrance présente ne se conclue par aucune décision (de soins ou autres), l’avenir de la situation est perçu comme imprévisible . Les intervenants se disent alors paralysés dans leur pensée et leur action «une personne qui se laisse détruire, il n’y a pas que le côté financier. Il y a peut-être autre chose derrière. Moi, ça me gène parce que je me dis qu’il y a peut-être autre chose mais comme je ne connais pas, je ne vais pas m’aventurer. Quand les gens n’ont pas de demande ou que la demande est tellement flagrante, elle est physique, mais elle n’est pas formalisée par des mots ; on fait quoi?”
Dans cette situation, les professionnels de l’insertion ne peuvent s’empêcher d’anticiper avec appréhension les conséquences futures sur la santé mentale des personnes. L’in-décision présente actualise un risque pour le futur. Même si la nature exacte de ce risque reste vague, les intervenants ne peuvent s’empêcher d’en mesurer les incidences. Ils déplorent l’absence d’informations, le peu de relais, l’impossibilité de croiser les points de vue, la non-coordination avec les équipes de soins, ou encore l’aspect aléatoire de l’offre psychiatrique. Mais surtout ils pointent une corrélation importante entre l’aspect contingent du processus d’élaboration de la demande et le degré de coordination entre les acteurs de l’insertion et ceux de la santé mentale.
L’enjeu clinique consiste dès lors à produire des cadres d’action transitionnels ou le « pré-diagnostic » des tiers puisse être discuté en confiance avec les psys sur les lieux même d’émergence de la souffrance psychique. Par exemple certaines Pré-CLI invitent des assistantes sociales en psychiatrie, voir des psy, et fonctionnent déjà sur ce modèle.
Au niveau des principes, ce cadre à co-construire avec les usagers, les intervenants et les thérapeutes consiste à promouvoir un partenariat à demande réciproque afin de ne plus traiter la souffrance psychique selon une logique de risque (celui de rater son insertion sociale et professionnelle pour l’usager et celui de se percevoir dépasser dans sa compétence pour l’intervenant) mais selon une logique de prévention et de soins en partenariat.