La plupart du temps ce qui nous aide à penser, ce qui sert de base à une élaboration théorique, c’est un modèle. De la même manière, ce qui a participé de notre construction en tant qu’être humain c’est le modèle parental. Jusqu’au plus tôt de notre construction, c’est la réponse de la mère à nos demandes qui laisse en nous une empreinte d’attachement d’amour ou de désamour telle qu’elle va marquer notre mode relationnel.
Ainsi, la mère la première nous initie à l’échange : le nourrisson est du côté de la demande, la mère du côté de l’offre. Rapidement, l’échange s’instaure, et l’enfant offre en retour. Son sourire, en particulier, et ce n’est pas la moindre des choses, puisque, selon Spitz, c’est le premier organisateur du psychisme humain ! !
Le petit d’homme grandit, et c’est au stade anal que la question de l’offre prend toute sa place dans son développement affectif et relationnel. En effet, à ce stade freudien, véritable rituel initiatique de la négociation, de l’échange, la notion de l’offre émerge chez l’enfant comme pouvant venir de lui. Il offre, dans le cadre de l’apprentissage de la propreté, ses selles en cadeau à la mère qui est sensée le recevoir comme tel ! Bien évidemment, celle ci ne se situe pas dans le réel mais davantage dans le symbolique, et au-delà de ce présent, si peu présentable ! , elle reçoit de la part de son enfant une réponse à son exigence éducative.
Ainsi la demande réelle (être propre) et symbolique (accepter de grandir) de la mère est satisfaite dans un réel qu’elle doit transformer symboliquement pour le rendre acceptable.
Si, comme nous l’admettons «communément », la frustration se définit par le manque imaginaire d’un objet réel, et la privation par le manque réel d’un objet symbolique, alors la mère peut se sentir frustrée ou privée par le comportement de son enfant.
Du côté de l’enfant, si l’angoisse de castration, constitutive du complexe d’Œdipe, arrive quelques années plus tard, privation et frustration ont participé de son développement psychique. Même si, comme chacun sait point trop n’en faut, nous y reviendrons.
Le développement du psychisme humain nous donne un éclairage sur l’un des aspects de la genèse de l’offre chez le sujet.
Au niveau de la définition donnée au verbe «offrir», nous trouvons: donner un cadeau, mettre à disposition…. Culturellement, la notion d’offre occupe une place particulière. Les fêtes, religieuses entre autre, sont là pour en témoigner. Cadeaux de Noël, d’anniversaire, de fêtes des mères, des pères, Saint Valentin… autant de rituels pour signifier à l’autre combien on l’aime, ou tout du moins qu’on pense à lui. Bien évidemment, ce sont autant de désillusions (attentes insatisfaites), de malentendus (offre «à côté») ou de plaisir…
Que de sentiments partagés, ambigus, ambivalents, de tensions pulsionnelles ! Forcément, tant de distorsions sont possibles !
La question de la distorsion a notamment bien été étudiée dans les théories de la communication : un émetteur – un message – un récepteur. Le message , offre dans le réel, peut revêtir ,dans l’imaginaire ou le symbolique de celui qui l’offre (l’émetteur) ou de celui qui le reçoit (le récepteur), de multiples facettes : un engagement, un adieu, une aide ,un don de soi, de l’indifférence même…Bien souvent, ce n’est pas le contenu qui fait plaisir ou déplaisir mais plutôt la forme et le registre dans lequel on le reçoit. A l’éclairage de ce modèle , l’offre passe par le prisme de l’interprétation du récepteur.
Ainsi dans le registre de la souffrance psychique et de la précarité, qu’en est il de l’offre ?
Qui offre ? Qu’est ce qu’on offre ? Et à qui offre-t-on ?
Si l’on s’en tient au service public, l’émetteur est incarné par le psychiatre, bien plus souvent les psychologues et infirmiers, représentants de la santé mentale, sorte de chevilles ouvrières d’un secteur de psychiatrie publique.
Qu’offre-t-on ? Du soin, certes , en santé mentale, d’accord. Mais comment ? Quelle est cette mise à disposition définie par le concept d’offre, en terme de service public, c’est à dire de proximité, pour tout un chacun. Sincèrement, peut-on dire encore, sans caricaturer, qu’un CMP (késako?), ouvert de 9 h à 17 h du lundi au vendredi ,fonctionnant uniquement sur rendez vous dont l’attente porte au minimum à 15 jours , répond si ce n’est aux besoins , au moins au fonctionnement de la vie quotidienne des personnes à la rue, vivant dans les foyers d’urgence, ou recluses chez elles en situation d’extrême précarité ? ?
La mise en place des dispositifs prévoit elle une interrogation sur les besoins de ces usagers ou démarre-t-elle de l’imaginaire de «l’offrant» ?
Dans le registre de la précarité revient souvent la prévalante question des la satisfaction des besoins fondamentaux. En somme, comment offrir de l’écoute (pratique psy s’il en est !), lorsque les besoins les plus primaires (habitat, nourriture…) ne sont pas satisfaits.
Ainsi, nous offrons dans le réel une prestation qui est du ressort d’un service de santé mentale que le sujet en souffrance psychique reçoit comme tel. Ce qui ne signifie pas que nous évacuons la réalité du quotidien, mais que , spécialiste du fonctionnement psychique, c’est à celui-ci que nous nous adressons, dans sa souffrance…notre humble objectif est de tenter de la soulager.
Alors, pourquoi cette offre serait elle forcément inadéquate ? Parce que les modèles nous l’ont enseigné ?Ou parce que du fond de nos bureaux, finalement confortablement installés, nous n’osons pas au nom d’une certaine éthique, proposer, mettre à disposition une écoute psy qui répondrait à cette souffrance que l’on dit ne plus pouvoir cacher…
Si l’on se situe d’un point de vue analytique, d’une certaine manière , l’offre doit forcément rester inadéquate afin de se transformer dans le psychisme de celui qui la reçoit et être recevable.
Oui, mais de quelle inadéquation parle-t-on ? Une inadéquation dans le réel (privation) ne donne aucune réponse, en terme de santé mentale, aux plus exclus, à ceux qui n’ont plus l’énergie (psychique aussi) suffisante pour demander, pour s’inscrire dans quelque échange que ce soit.
Cette inadéquation, nous la connaissons bien. C’est au pire la « politique de l’autruche », au mieux soutenir que l’offre est bien là, encore faudrait-il qu’il y ait une demande ! !
Si inadéquation il devait y avoir, bien entendu, ce n’est pas dans ce registre qu’elle pourrait se manifester mais dans le symbolique. Sans perversion, c’est en inscrivant l’autre, ce petit autre, notre semblable, un citoyen en somme, dans un échange, échange de regards, de parole…
Et c’est seulement là, dans une inadéquation quasi originelle de l’échange que pourrait s’offrir, se mettre à disposition un accès aux soins de qualité…un service public à disposition de tous.