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Détruire les grands ensembles ?

Christian DELORME - Prêtre à Lyon, auteur, notamment, de « Quartiers sensibles » (avec Azouz Begag, Ed du Seuil 1994) et de « Les Banlieues de Dieu » (Ed.Bayard 1998)

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°7 – Habiter (Décembre 2001)

Régulièrement depuis vingt ans la question est posée dans le débat public: « Faut-il détruire les grands ensembles? ». Mais ces « grands ensembles  » ne sont pas, pour la plupart d’entre eux, des bâtiments vides. Y vivent — ou survivent — des gens qu’on a justement voulu « mettre ensemble » à une certaine époque. Où va-t-on les loger si on démolit leurs habitations? En réalité, on ne peut détruire que si les locataires sont déjà partis, ou que s’il existe des possibilités de faire « glisser » ceux-ci vers d’autres appartements. « Détruire les grands ensembles » constitue une vue de l’esprit. Ce ne peut pas être une politique générale dès lors que quelque cinq millions de personnes y vivent. Ne peuvent être démolis — c’est ce qui se produit périodiquement maintenant depuis une vingtaine d’années — que des immeubles libres de tout habitant, et dont la vacance est déjà ancienne. A présent, lorsqu’on détruit des tours, des barres ou des groupes d’immeubles, ces bâtiments ont eu le temps d’être « désinvestis » affectivement par leurs anciens occupants.

J’ai vécu les premiers dynamitages de tours aux Minguettes, dans le « quartier Monmousseau », au début des années 1980. A l’époque, ces opérations étaient nouvelles et personne n’y était préparé. Nombreux étaient encore les candidats à vouloir venir habiter ces quartiers, et cela paraissait scandaleux que l’on supprime violemment des logements alors que tant de personnes attendaient de se voir attribuer un appartement en HLM. Ces destructions d’immeubles n’étaient pas ressenties comme des tentatives de « remodeler » un paysage urbain, mais comme une volonté d’éradiquer des foyers de troubles à l’ordre public. Les habitants des quartiers concernés avaient l’impression qu’en supprimant leurs anciens logements, c’était d’eux aussi que l’on cherchait à se débarrasser… Or cela n’était pas forcément faux et reste le désir profond de plusieurs qui prônent la fin des « grands ensembles ». Je me souviens tout particulièrement de l’émotion de familles qui voyaient partir en poussière leurs anciens immeubles. Les tours tombées, certains se précipitaient au milieu des gravas pour tenter d’y repérer les traces de leur ancienne vie: un morceau de tapisserie ou un bout de surface peinte… Au long des années, des efforts ont été faits pour accompagner ces destructions. Ainsi, quand le « quartier de la Démocratie »(!) aux Minguettes a été pulvérisé après plus de dix ans de murage des tours, tout un travail de deuil avait été préparé avec une association de promotion de la culture urbaine. Les jeunes et les enfants qui avaient pu vivre dans ce quartier ou aux environs avaient été invités à réaliser des dessins ou des fresques, et plusieurs groupes de danse se produisirent pour faire de la « mise à mort » des tours un spectacle festif et non point un évènement traumatisant.

Cet accompagnement des destructions d’immeubles s’avère essentiel. Il faut, en effet, que les gens se sentent respectés dans ce qui a été leur passé, et on doit veiller à ne pas effacer brutalement toute trace de celui-ci. Il y a, également, tout un effort d’information et de pédagogie à accomplir. Si des immeubles construits il y a trente ans sont aujourd’hui promis à la démolition, ce n’est pas la faute de ceux qui les ont occupés, mais parce qu’une très grande partie de ce qui a été bâti dans les années soixante-dix l’a été non pour des siècles mais pour deux ou trois décennies… Les architectes et urbanistes de cette période ne prétendaient pas construire des cathédrales et se vivaient davantage comme des bâtisseurs de l’urgence et du provisoire.

Il n’y a point de ville qui ne soit vivante sans que s’y produisent à la fois des constructions et des destructions. Faire vivre une ville, ce n’est pas additionner les constructions siècle après siècle sans jamais en supprimer. Mais ce qui est fondamental néanmoins, c’est que subsistent, au fil des ans et des siècles, des traces du passé. Pour se sentir bien « à leur place » dans le présent, les hommes, en banlieue comme ailleurs, ont besoin de savoir qu’ils s’inscrivent dans une longue chaîne humaine. Et même « mal foutus », les grands ensembles des années 1970 font partie du patrimoine de notre pays.

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