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Figures de la précarité au travail

Philippe DAVEZIES - Enseignant chercheur en médecine du travail, Université Lyon 1

Année de publication : 2001

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES MEDICALES, Médecine, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°4 – Précarité visible, précarités invisibles (Mars 2001)

Précarité et exclusion posent en priorité la question de l’emploi mais la précarisation du travail ne se limite pas à cet aspect : elle touche l’activité, même dans le cas où l’emploi est préservé. Trois mécanismes  distincts y contribuent.

Le plus évident est le recours systématique aux formes d’emplois temporaires. Ceux-ci sont particulièrement coûteux pour les salariés. Les travailleurs précaires se voient, en effet, attribuer en priorité les travaux inintéressants, pénibles ou dangereux. L’enquête la plus documentée sur ce type d’emploi a porté sur 2500 salariés de la sous-traitance intervenant dans les centrales nucléaires (Doniol-Shaw , Huez, Sandret, 1995). Elle a montré que ces salariés recevaient 80 % des doses de rayonnement supportées par l’ensemble des salariés intervenant en zone contrôlée. Mais l’enquête soulignait aussi la précarisation de leur activité : dans 60 % des cas, celle-ci était sans lien avec leur formation initiale ; pour près de 37 %, c’était la première fois qu’ils réalisaient le type d’intervention pour laquelle ils se trouvaient sur le site ; et 35 % d’entre eux n’avaient pas travaillé auparavant avec la majorité des membres de leur équipe de travail. Ces conditions dégradées sont à l’origine d’accidents, de maladies professionnelles, d’usure physique et de souffrance psychique. Elles fragilisent vis-à-vis des phénomènes d’exclusion sur critères de santé, très puissants au sein du monde du travail.

Un aspect moins connu des processus de précarisation concerne le groupe ouvrier. Ce groupe professionnel a disparu du discours public. Les étudiants en sociologie ou en ergonomie eux-mêmes sous-évaluent son importance, le chiffrant souvent en centaines de milliers alors que l’INSEE recense 6,5 millions d’ouvriers. Dans l’opinion, le travail ouvrier n’est plus vu que comme une survivance de formes d’activités archaïques dans un monde voué à dématérialisation des activités, à l’intelligence et à la communication. Le groupe ouvrier est ainsi soumis à un processus de dévalorisation symbolique et de disqualification (Beaud et Pialoux, 1999).

La collectivité se représente aujourd’hui le salarié engagé dans la production industrielle sous l’aspect d’un technicien pilotant des robots. La réalité est bien différente. Contrairement à ce que beaucoup croient, le travail à la chaîne n’a pas reculé au cours des dernières décennies. Sur les chaînes de montage de l’automobile, il y très peu de robots et beaucoup de salariés qui vissent, clippent, frappent, poussent, portent, ..

Comme en témoigne l’explosion des pathologies tendineuses d’hypersollicitation, la réalité du travail dans de nombreux secteurs est aujourd’hui celle d’activités répétitives, déqualifiées, réalisées sous une pression temporelle poussée à son maximum. En revanche, la fierté liée au statut ouvrier et les ressources identitaires que conférait l’appartenance au groupe ont disparu, ouvrant la place au sentiment de dévalorisation personnelle. Cette situation explique le refus, parfois affirmé par les jeunes, d’une insertion dans de telles conditions.

Enfin, au-delà même des salariés à statut précaire et des ouvriers, les phénomènes de précarisation de l’activité menacent la totalité des groupes professionnels, cadres compris. La cause en est une intensification du travail qui touche la totalité des secteurs. Partout s’exerce une pression à faire plus, plus vite et avec moins de moyens. À tous niveaux, les salariés se trouvent confrontés aux contradictions entre les exigences quantitatives portées par la hiérarchie et les critères qualitatifs sur lesquels ils engagent leur identité et donnent sens à leur travail. L’impossibilité de faire un travail de bonne qualité est à l’heure actuelle le facteur de fragilisation le plus répandu dans le monde du travail. Les approches cliniques comme les enquêtes quantitatives montrent qu’elle est généralement associée aux pathologies d’hypersollicitation, aux manifestations de souffrance psychique et aux diverses formes de décompensation et d’exclusion.

Tous ces éléments contribuent à installer de nombreux salariés dans une situation de vulnérabilité objective et subjective que le retour à l’emploi ne suffira pas à faire disparaître.

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