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Une manière de voir la politique de santé mentale en France

Nicole GARRET-GLOANEC - Pédopsychiatre, Centre Nantais de la Parentalité, Secteur 2 de Psychiatrie Infanto-Juvénile, CHU de Nantes

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°8 – La psychiatrie publique en questions. 1er volet Paroles de psychiatres (Avril 2002)

Nous remercions la revue « L’information psychiatrique » et Nicole Garret-Gloanec de nous avoir autorisés à reproduire de larges extraits du texte intitulé « La politique de santé mentale en France » (cet article a fait l’objet d’une publication intégrale dans « Les infos de l’Information Psychiatrique » N° 10-déc.2001).

En France, l’organisation de la santé publique se fait suivant deux axes, Le premier axe est celui des Agences Régionales d’Hospitalisation, axe fondé sur le sanitaire, c’est à dire le pathologique (même s’il intègre la dimension de prévention) et le thérapeutique. Le monde hospitalier et médical reçoit ses moyens directement de la loi de financement de la Sécurité Sociale votée par le Parlement. Le deuxième axe est celui des Conférences Régionales de Santé et des Observatoires qui s’appuie sur l’expression des populations, la santé publique et les actions de prévention des grands fléaux, suivant une tradition hygiéniste.

Ces deux approches s’affrontent actuellement et la santé mentale est sans aucun doute le terrain des conflits les plus aigus. Il est donc indispensable pour nous de comprendre les options sous-jacentes,  non dites mais mise en œuvre par le gouvernement, afin de permettre à chacun de faire ses choix et d’en percevoir les conséquences comme les significations.

La psychiatrie se situe dans le premier champ, celui du sanitaire qui délivre un soin à un individu malade dans une relation contractuelle personnelle. La prévention comme la réhabilitation sont appréhendées de manière individuelle. Si des mesures collectives sont développées, elles le sont dans le cadre d’une organisation institutionnelle mais restent toujours destinées à toucher la personne dans ce qu’elle a d’unique. La personne malade s’adresse au dispositif déjà mis en place mais son parcours thérapeutique se déroule de façon originale. Ce dispositif est , lui, proposé pour traiter des individus atteints d’une pathologie mentale ; c’est dans ce dispositif que les caractéristiques de la pathologie sont identifiées et le  traitement défini. L’analyse psychopathologique individuelle permet de retrouver les facteurs complexes, bio-psycho-sociaux, qui ont concouru à la décompensation morbide ou à ses conséquences. Ces données peuvent être proposées dans une offre globale sous forme de dispositifs thérapeutiques, d’accueil, d’équipement mais la dimension individuelle, subjective est infranchissable. On ne traite pas un patient en fonction d’une appréciation générale des besoins .

L’ascension du fait psychiatrique, et médical sur un plan plus général, reliée à des transformations de la société provoque un afflux des demandes dirigées vers la psychiatrie et vers les médecins. Parallèlement, la population exige une résolution médicale et scientifique de ses difficultés de vie. Les politiques, confrontés aux mouvements sociaux et aux conséquences économiques de ces mêmes troubles psychosociaux, n’ont d’autre solution que sanitaire.

Toutefois, face à ce raz de marée des demandes de soins, que l’on pourrait interpréter comme la nécessité d’apporter un soin à la société elle-même, les politiques ne peuvent poursuivre les orientations prises après-guerre avec la création de la Sécurité Sociale, le développement des traitements individuels, coûteux, dont l’efficacité ou le rapport investissement/résultat reste discutable et aussi inévaluable que ne peut l’être le coût d’une vie. Les conséquences budgétaires deviennent impossible à maîtriser, et les dépenses  aussi faramineuses, dit-on,  que les déficits prévisibles de la Sécurité Sociale.

A partir de cette analyse, les politiques sociales de tout bord se rejoignent, un coût est un coût, l’habillage peut changer mais les orientations demeurent. En France, nous avons l’apanage du social, les USA celui du libéralisme, mais le souci est le même. Les nécessités sont partout identiques. L’OMS les résume et nul ne songerait à la critiquer : la santé était l’absence de maladie, elle est devenue un équilibre adaptatif. Il n’existe aucune limite au bien-être, la maladie est désormais un défaut du mieux-être.

Jusqu’ici, la maladie mentale régulait en quelque sorte les flux. La psychiatrie générale en tant que psychiatrie primaire avait organisé ses réponses soignantes, suivant une logique de réseau centrée sur la maladie et le malade, avec recherche de projets différenciés pour chacun. Mais la psychiatrie centrée sur la maladie mentale, même élargie à la psychopathologie, ne répond pas aux préoccupations des politiques tournées vers l’équilibre des citoyens afin qu’ils conservent leur potentiel de santé et, ainsi, leur insertion sociale et leurs performances économiques.

La commande qui nous est faite n’est plus celle de prendre en charge la maladie, elle est d’apporter des réponses à la souffrance psychique (comme réaction traumatique à un fait social). Le bornage pathologique n’a plus cours, la souffrance psychique exige un soignant et oppose la multiplicité des  modes d’expression à ce qui était approché par la voie la maladie. La souffrance psychique est partout, il nous faut la traquer dans une logique de complémentarité. L’enjeu est de drainer cette souffrance psychique, ce n’est plus celui de guérir. Il faut maintenant prévenir l’apparition ou l’aggravation des troubles. Les flux, s’ils se dirigeaient vers une réponse sanitaire et thérapeutique, ne pourraient plus être contrôlés. Ils ne sont pas programmés, nous ne pourrons plus les contenir. Il faudra alors leur permettre de s’écouler. Pas d’arrêt sur image. Les actions soignantes, quand elles devront relever du registre sanitaire (comme échec de la prévention), devront être courtes afin de ne pas entraver l’écoulement de ce flux. Nul ne doit rester sans aide mais nul ne doit rester longtemps dans le cadre sanitaire (ici psychiatrique).

Nous sommes dans une modification complète du cap donné à la psychiatrie. Nous ne le comprenons pas. Nous raisonnons encore dans le champ de la maladie quand il s’agit du champ de la santé. Sans doute nos politiques ne nous aident pas dans cette compréhension. Ils semblent ne pas vouloir révéler la nature de leur choix politique et garder les intérêts d’un système tout en basculant dans l’autre. Ils veulent garder les apparences du sanitaire avec la caution du médical dans ce qui devient du social.

Le socle change, l’usager est certes au centre du dispositif mais il ne l’est plus en tant que personne unique telle que nous la définissions, il l’est en tant que membre d’un corps social, indissociable de la population à laquelle  il appartient. La personne est pleine d’incertitudes dans son devenir face à sa pathologie et nous ne pouvons dire quels en seront les bénéfices et les effets négatifs ou positifs. L’évaluation est périlleuse. Par contre à l’échelle d’une population, et nous le voyons dans les circulaires citées préalablement, nous pouvons calculer les facteurs de risque, les mettre en évidence, isoler des populations cibles. Ce n’est plus la maladie qui invente la clinique, c’est l’épidémiologie. A l’échelle de la population la santé est prédictive, elle a des effets certains sur le futur ce qui ne peut qu’être approximatif pour la personne traitée pour une maladie. Les facteurs de risque se définissent en termes de troubles et plus précisément de comportement. Nous comprenons mieux comment la logique  sociale de la gestion actuelle de la santé rejoint celle des USA  ; et dans ce contexte, le DSMIV , préféré aux classifications se référant aux concepts psychopathologiques, n’est pas choisi par hasard.

La souffrance psychique sera analysée dans ses composantes pour déterminer des facteurs de risque, puis des évaluations, des actions de prévention, des protocoles enfin dont les individu seront la cible, mais toujours au milieu de la population ou du groupe auquel ils appartiennent. La politique de santé devenue hygiéniste, recherchera les causes générales plutôt que les causalités complexes individuelles.[…]

La gestion des risques et leur prévention à hauteur des populations est une logique assurantielle. Suivant les caractéristiques sociales, psychologiques, médicales (génétiques et familiales) il est possible de déterminer statistiquement les risques et de catégoriser les individus. C’est dans ce cadre que les Health Maintenance Organization se sont déployées. La maladie mentale, socle du secteur, s’efface non seulement comme représentation mais aussi comme conception de la personne face à une conception d’usager, individus appartenant à une population donnée.

La psychiatrie devenue santé mentale change complètement de cap. Nous pouvons reprocher à nos politiques et administratifs de ne pas énoncer clairement le bouleversement qu’ils engagent et leur reprocher également de ne pas avoir le courage de le mener jusqu’à son terme. Car pourquoi vouloir donner une caution médicale à ce qui sera un plan de gestion des facteurs de risque, fondé sur l’épidémiologie et non pas sur la maladie.  Depuis qu’il s’avère que les homme politiques peuvent être responsables mais non coupables, nous pouvons craindre de n’être pas responsables mais coupables. Voulons-nous nous engager dans cette orientation de la médecine ? La psychiatrie ne peut–elle continuer à tenir sa place scientifique, au même titre que es autres disciplines médicales ? Les politiques veulent notre caution, est-elle nécessaire ?

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