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Restaurer un espace privé

Sidney COHEN - P.H. coordonnateur du P.A.R.I. (Psychothérapie, Application, Recherche, Intersectorielle), structure dépendant du Centre Hospitalier de Saint Egrève (Isère).

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°13 – Transparence, Secret, Discrétion (Octobre 2003)

Les situations de précarité favorisent le développement d’une dépendance vis à vis des systèmes d’assistance médicale et sociale. Or ces systèmes, aussi généreux soient-ils, sont à ramifications multiples et gagnent de nombreux  domaines de la vie de l’individu. Les démarches en vue d’obtenir des allocations ou une aide au logement, à l’alimentation, au transport nécessitent des justifications qui obligent le sujet à étaler partout sa situation.

Les enquêtes sociales, les bilans médicaux sont alors autant de regards portés sur la vie privée sous divers angles et qui tendent à déposséder le sujet de sa vie intime.

La question est complexe car on ne voit pas comment les organismes d’aide pourraient se dispenser de ce regard, comment on peut éviter que le sujet ne soit pris dans les filets d’un « réseau » qui vise pourtant à le soutenir. Cette sorte d’invasion entre, de plus, en résonance avec ce que le sujet développe devant le poids de sa réalité, une certaine évacuation de sa subjectivité au profit du souci d’assurer la survie, d’assumer le quotidien précaire.

S’en suit un véritable mode d’être où domine une identification au « cas social » qu’il est au regard des autres, à son statut d’ « ayant droit ». Cela a été perçu par certains intervenants de l’action sociale et a été un des motifs de sollicitation envers le « psy ». Car telle est bien là une des figures de l’exclusion, l’exclusion hors de soi. Un mode opératoire devient prééminent au détriment d’une dimension plus subjective. Combien de fois voyons-nous des sujets se présenter à nous par le biais d’un certificat, nous exposer dans les moindres détails la réalité très actuelle de leur situation et faire état des démarches qui meublent leur quotidien, ils viennent en quelque sorte rendre des comptes comme ils le font dans divers lieux de leurs démarches ?

Comment recréer donc les conditions d’une réouverture sur cette subjectivité, comment faire en sorte que le sujet réinvestisse son monde interne ? On pense bien sûr au recours à un abord psychothérapique psychanalytique, en tant qu’il vise, outre sa fonction d’aide ou de soutien, à reconstruire, de par le travail exploratoire qu’il constitue, un espace interne, celui de la vie intime, de l’image de soi, la perception de ses désirs secrets, ses angoisses, ses conflits, ses manques, bref ce qui fait partie de la subjectivité. Il privilégie le travail sur ce que l’on appelle la réalité psychique plutôt que celui devenu trop exclusif de la réalité extérieure.

Réintroduire cette dimension est évident. Les sujets qui viennent à nous soit n’en ont parfois aucune perception, soit ne se sentent pas le droit d’en faire état. Ils viennent parfois faire une démarche de plus, s’attendent à recevoir conseils et recommandations. Ils découvrent alors avec surprise que l’écoute offerte ouvre un espace tout à fait inattendu. Ceci nous a amenés à beaucoup réfléchir sur la rencontre et ses modalités particulières dans un contexte où les sujets, tout en étant en détresse, ne sont pas vraiment demandeurs, faute d’en percevoir la nécessité, d’une exploration personnelle.

Je pense à une personne qu’une assistante sociale de secteur m’avait adressée en raison de sa grande inertie face à sa situation de sans emploi et son incapacité, depuis plusieurs mois, à entreprendre la moindre démarche pour régler ses problèmes sociaux. Les premiers entretiens ne consistaient au départ que dans un exposé, sur un mode anecdotique, de sa situation chaotique du point de vue de son travail, de ses passages en foyers, les séparations etc… Or un jour, dans le fil neutre et informatif de son discours, elle évoqua une ménopause précoce qui avait été diagnostiquée quelques mois auparavant. Ce propos avait été tenu de façon si anodine qu’il avait quasiment échappé à mon écoute. Je le repris toutefois en insistant sur le fait que cela pouvait avoir de l’importance et sur ce qu’elle en éprouvait, elle exprima alors une vive émotion et me révéla le sentiment de catastrophe que cela provoquait en elle, femme de 34 ans qui n’avait pas d’enfant. Jusque-là il n’avait pas été de mise, ou bien l’opportunité n’avait pas été donnée, d’en parler. Evoquant sa vie de femme, elle fut amenée à parler de toutes les mutilations qu’elle avait subies dans son enfance (viol, inceste) et put dérouler le long fil de sa vie durant un travail d’assez longue durée.

Cet exemple montre en quoi, devant ces situations, il paraît important de travailler sur une attitude bien plus active que la position classique d’écoute en allant chercher cette dimension perdue de la subjectivité, en questionnant sur l’éprouvé, les pensées intimes que le sujet ne s’autorise pas à formuler tant le registre de la réalité a pris le pas.

Une autre dimension du problème est que la psychothérapie paraît de prime abord appartenir au domaine privé de la pratique libérale et que s’y engager implique déjà pour le sujet une certaine appropriation de ce domaine. Beaucoup de gens ne feront jamais directement une démarche dans un cadre privé, même en cas de remboursement par la sécurité sociale, tout un monde auquel ils ne se sentent pas le droit d’accès, ce qui est encore un autre avatar de l’exclusion.

Il y a certes une place incontestable pour ce travail dans l’espace public. La psychothérapie s’y pratique bien sûr depuis fort longtemps. Le problème est qu’elle se pratique bien souvent dans un cadre insuffisamment différencié du reste de l’action médico-sociale, un cadre que le sujet ne pourra vraiment identifier comme d’un tout autre domaine que ceux auxquels il s’est adressé jusque-là. Ici se trouve une véritable difficulté : les psychothérapies, dans le domaine public, sont bien souvent engagées dans des lieux marqués par leur polyvalence, où les salles d’attente sont souvent des lieux de circulation, de rencontre, où le sujet s’expose de nouveau au regard des intervenants multiples et ceci risque d’engendrer un sentiment d’intrusion de plus.

Ce problème nous a amené à créer une structure exclusivement psychothérapique publique qui, se mettant résolument à l’écart de toute action médico-sociale, offre un espace relativement clos, à la manière dont se définit la vie privée. Cela n’a pas été sans mal, l’idée de continuité du soin, de réseau, de secteur semblaient mal s’accommoder de l’existence d’un tel lieu de repli, de relatif éloignement, qui garde son secret. C’est pourtant une idée qui s’est imposée avec le temps dans la mesure où nombre d’intervenants ont perçu à l’usage la nécessité pour le service public de se doter de cet espace spécifique. L’importance de la demande dont nous faisons l’objet et la place qu’a pris ce centre dans la cité (auprès de multiples institutions sociales) démontrent bien à quel point il existe une attente.

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