Il y a des livres qui font du bien à lire, car ils nous aident à mettre des mots sur une expérience clinique toujours changeante. L’ouvrage posthume de Jean-Luc Graber est de ceux là.
Décédé soudainement en octobre 2002, ce pédopsychiatre et psychanalyste de haute stature, ancien major de l’internat en médecine de Lyon, a exercé pendant près de trente ans des fonctions cliniques et de responsabilités à Vienne, à l’hôpital Le Vinatier puis dans le grand service de pédo-psychiatrie au CHU de Lyon-Sud, qu’il a dirigé les 10 dernières années de sa vie. Cet homme discret et charismatique a exercé une notable influence sur la pédopsychiatrie en service public, avec une passion efficace pour l’enseignement, la clinique institutionnelle et individuelle, le travail au sein d’un partenariat étendu. Catherine Graber, son épouse et collègue, rapporte, dans sa notice biographique, qu’en mai 1968 où il joua un rôle de premier plan à la Faculté de Médecine, Jean-Luc Graber rédigea un pamphlet d’abord intitulé « L’hôpital, ce merdier », publié chez Maspero sous le titre « Hôpital, Silence, Répression ». C’est sans doute, estime t-elle, son engagement pendant ces événements qui ne lui sera pas pardonné par ses pairs (je dirais plutôt par ses « patrons »), ce qui ne lui permettra pas de suivre une carrière universitaire. J’ajoute que ne lui seront pas davantage pardonnés ses choix épistémologiques en psychanalyse et son absence totale de soumission à la raison d’Etat de « l’establishment ». Cela ne l’empêcha pas d’être reconnu comme un « grand patron », un maître discret, un clinicien remarquable, un enseignant recherché, un organisateur d’institution capable de soutenir un partenariat vivant.
Sa théorie de la pratique tournait autour de trois axes étroitement intriqués :
– l’axe de la vie et de la mort, donc du transgénérationnel et des mots qui le disent,
– l’axe du vrai et du faux, donc de la question de la vérité, au sein d’une réalité toujours mouvante,
– et enfin l’axe de la différence des sexes, qui s’articule avec les deux précédents.
Avec Denis Vasse, Jean-Luc Graber considérait que « lorsque l’un de ces trois axes est altéré, c’est sur les deux autres que les choses se jouent ».
On peut insister sur le point cardinal de l’ouvrage, la question du passage.
Comment rendre audible et formulable ce qui ne trouve pas d’autres chemins que la parole d’un tiers pour se faire représenter ? Ce qui est nié de soi, à « l’intérieur », revient ainsi de « l’extérieur » parfois sous une forme violente : reproche, attaque, persécution.
Jean-Luc Graber décrit la position du passant (pour lui, l’enfant, l’adolescent) et du passeur (souvent un psy, dans son expérience) ; ils se meuvent dans une situation souvent interdisciplinaire et interinstitutionnelle, avec des règles de respect et de confidentialité suffisantes.
Cela suppose des choix budgétaires (formation, postes, supervision).
Le temps du passage : une série de moments, de lieux, d’actes potentiellement symboliques qui permettent… le passage d’un état psychique à un autre. La vie psychique est elle-même passage.
Cet ouvrage s’adresse aux praticiens confirmés mais aussi bien aux jeunes psychiatres, orphelins d’une intelligibilité des pratiques en institution. En ce sens, il est à conseiller au-delà du champ de la psychiatrie.
Notes de bas de page
1 Jean-Luc Graber – Ed. Erès, septembre 2004.