« Écouter, c’est pourtant tout ce qu’il y a de mieux pour bien entendre1. »
Préambule
Lors de mon premier stage étudiant auprès d’une psychologue, je lui demandais comment elle définissait cette fonction de l’écoute, ce à quoi elle répondit : « Un psychologue fait de l’écoute et du lien. » La première image qui me vint alors fut celle d’un téléphone avec son cordon… et je ne compris pas immédiatement la différence qui pouvait être faite entre cette définition et des dispositifs comme les lignes d’aide et d’écoute téléphonique (telle que SOS Amitié, par exemple).
L’écoute est peut-être le mot que nous employons le plus souvent tant pour décrire notre travail de psychologue que pour former nos étudiants. Et pourtant, il reste difficile à définir dans le cadre professionnel. Comment enseigner l’écoute dans la spécificité du métier de soignant? Quelle position ou manière d’être peut marquer cette écoute auprès des patients? Quelle différence peut-on faire entre écouter et entendre ? Notons que les verbes « écouter » et « ausculter » partagent la même étymologie. La première fonction de l’écoute peut donc, dans un cadre soignant, être comprise comme une recherche d’indices ou de signes qui permettent un diagnostic ou la mise en lumière de problématiques et de processus psychologiques. En tant qu’élément fondateur de toute relation cli- nique et thérapeutique, elle relève d’un art subtil qui consiste à se taire dans la présence intense à l’autre.
Les différents mouvements de l’écoute
Carl Rogers et le courant des thérapies humanistes ont placé l’écoute comme condition première de l’alliance thérapeutique. Les patients souffrent souvent de ne pas oser dire, par peur de ne pas être entendus ou, pire encore, d’être crus. Ils effectuent une sorte de jugement de leurs pensées, les pensent ineptes ou indécentes. Or ce que le patient hésite à dire est d’une grande valeur clinique. L’écoute a pour objectif de faire advenir dans L’espace thérapeutique ou cli- nique des représentations, des émotions, des pensées, librement données. Rappelons que le premier principe du Code de déontologie des psychologues2 est que ce professionnel « respecte le principe fondamental que nul n’est tenu de révéler quoi que ce soit sur lui- même ». Ainsi c’est par l’écoute que progressera pour le sujet l’idée qu’il peut dire et qu’il pourra surmonter ses éventuelles réticences. Parce que l’écoute a lieu dans un cadre contenant, elle autorise pour le sujet un partage rassurant de ce qui fait souffrance pour lui. « Il est étonnant de constater que des sentiments qui étaient parfaitement effrayants deviennent supportables dès que quelqu’un nous écoute. Il est stupéfiant de voir que des problèmes qui paraissent impossibles à résoudre deviennent solubles lorsque quelqu’un nous entend3. »
C’est aussi le sentiment d’être écouté qui permettra une confiance du patient vis-à-vis du clinicien et entraînera en retour une écoute de ses propos. « Celui qui sait écouter deviendra celui que l’on écoute4. »
Écouter, c’est d’abord accueillir la parole, mais accueillir la parole ne consiste pas non plus à laisser parler sans interrompre le sujet. L’écoute a pour première fonction d’organiser les contenus proposés dans l’objectif de construire leur sens. Ainsi, l’écoute, bien qu’elle se fasse dans le silence, est pourtant une forme de communication. Le partage du sens est la condition première de la bonne progression d’une interlocution. Pour le clinicien, l’écoute a ceci de paradoxal qu’elle engage deux mouvements apparemment opposés : une forme de passivité (laisser venir), mais aussi une forme d’activité, car il lui revient d’écouter pour comprendre et répondre. L’écoute active implique ainsi d’écouter et penser en même temps : « Bien écouter, c’est presque répondre5. » Le patient se trouve quant à lui dans la position paradoxale de tenter de comprendre ce que ses propos induisent chez le clinicien, autrement dit, il produit des inférences sur ce que l’autre écoute. L’un est là pour parler, l’autre pour écouter. Cette position renvoie à l’idée d’asymétrie soulignée par plusieurs auteurs6. Dans une situation clinique, la position des locuteurs n’est pas identique : le patient effectue une démarche personnelle tandis que le clinicien, lui, se situe dans une démarche professionnelle. Le patient donne des conte- nus intimes et personnels que le clinicien commente ou reprend sans donner les siens propres : le patient « qui a contractuellement la possibilité de s’exprimer dans un dialogue sans être contredit ou jugé explicitement par l’auditeur, pense nécessairement que l’interlocuteur écoute ce qu’il dit, l’interprète, l’évalue, le juge […], il doit construire un discours pertinent alors que des savoirs qu’il pourrait partager avec l’auditeur sont étrangement maintenus manquants7 ». Cette situation induit chez le patient un questionnement et une interprétation des pensées du clinicien. Ainsi, il peut se demander ce que le thérapeute peut entendre. Ceci sup- pose néanmoins que le clinicien ait réfléchi, en amont de son travail, sur ce qu’il est capable d’entendre sans se laisser déborder par des sentiments susceptibles d’altérer la qualité de son écoute (pitié, dégoût, horreur). En effet, un certain nombre de contextes professionnels peuvent mettre le psychologue aux prises avec la narration d’événements terribles (traumatismes). L’idée de « neutralité bienveillante » que l’on entend souvent comme une attitude préconisée renvoie à cette attitude de suspension du jugement qui permet au patient de penser que le clinicien peut accueillir tout ce qu’il dit. Le terme de « neutralité » implique dans un premier temps, du côté du clinicien, une suspension de son jugement, autrement dit, autant que faire se peut, de ses stéréotypes, de ses interprétations, de ses croyances.
Les marqueurs de l’écoute
Nous l’avons vu, l’écoute marque la présence à l’autre, mais elle doit être signifiée au patient du fait de l’asymétrie décrite ci-dessus afin d’engager au mieux l’alliance thérapeutique. Le patient va ainsi porter une attention particulière à toutes les réactions du clinicien, verbales comme non verbales. Le silence associé à l’écoute est également interprété par celui qui dit (« Il ne dit rien, donc ce que je dis n’est pas intéressant ou pas pertinent, ce n’est pas ce qu’il attend ou ce que je dis n’est pas bien »).
J’ai souhaité illustrer cet article en demandant à des personnes engagées dans un travail thérapeutique la manière dont elles avaient perçu et vécu l’écoute du psychothérapeute.
Les marqueurs non verbaux de l’écoute
La position et les mouvements corporels du thérapeute sont immédiatement interprétés par les patients. Comme le dit ce sujet : « Je me souviens que lors de notre premier rendez-vous, le psy avait les jambes croisées et il n’arrêtait pas de faire bouger son pied, j’avais l’impression que je l’énervais. »
Les techniques d’acquiescement, comme le hochement de tête, par exemple, permettent de rassurer le patient et de lui garantir la continuité de l’interaction et la bienveillance.
Le regard apparaît également comme un élément fondamental, comme le dit ce sujet : « Je me suis sentie écoutée, car tout le temps de la séance, la psychologue me regardait dans les yeux, presque fixement. Et cela m’aidait beaucoup, car elle n’a jamais lâché le regard et cela m’a été tout particulièrement précieux quand j’ai pu parler de l’inceste. À aucun moment elle n’a baissé ni détourné le regard. Je l’ai interprété comme : “Je suis là, je suis solide, vous pouvez y aller”, et même à ce moment-là, j’ai pensé : “Elle me croit”, et ça m’a incroyablement soulagée. »
Les marqueurs verbaux de l’écoute
L’onomatopée la plus employée par les cliniciens, « hmmm », ne permet cependant pas au patient d’être convaincu qu’il est entendu. Ainsi de cette patiente qui, allongée sur le divan, parlant et recevant en retour cette onomatopée, finit par s’apercevoir par le jeu d’un miroir accroché au mur que la psychothérapeute était en train de consulter son portable ou de regarder sa montre. « En fait, j’ai réalisé qu’elle n’écoutait pas. » Dans ce cas, comme le dit Oscar Wilde : « Écouter est une marque d’indifférence vis-à-vis de vos auditeurs. » De nombreuses formulations comme « je vois », « j’entends », « oui, allez-y » ont une fonction de réassurance. Les questions, relances et reformulations posées par le thérapeute indiquent également la progression de son écoute. Il est souvent très efficient de reprendre tels quels des mots employés par les patients afin de leur montrer qu’ils ne sont pas problématiques et sont entendus. Prenons cet exemple : « Quand j’ai dit : “Mon connard de père”, le psy a froncé les sourcils, il a eu l’air surpris ou même désapprobateur comme si ce n’était pas vrai ou alors c’est parce que j’avais dit un gros mot et qu’il était choqué? Mais ensuite il m’a scotché parce qu’il a juste dit : “Quelle différence vous faites entre un connard et un gros con?” Là je me suis dit : “C’est bon.” »
Par ailleurs, reprendre un mot apparemment anodin entraîne non seulement la possibilité de décentration pour un sujet, mais la conviction que chacun de ses mots a été retenu. Pour exemple : « La psy me dit : “Vous m’avez dit que votre mère, je reprends votre formule, avait fini par partir quand même. Que voulez-vous dire avec ce quand même?” Là je me suis dit : “Elle n’a rien laissé passer de ce que j’ai dit”. »
Nous illustrerons par un dernier exemple la différence si essentielle pour les patients entre écouter et entendre. Le thérapeute répond et c’est la nature de cette réponse qui garantit le fait pour le patient que ses propos ont été reçus, au-delà de l’écoute. Cette patiente voit pour la première fois un psychothérapeute à qui elle raconte les maltraitances subies par sa mère et le soutien sans faille apporté par son père. Le psychothérapeute ne dit rien, écoute tout au long de la séance qu’il finit par conclure d’une seule phrase :
« Nous verrons plus tard si tout cela est du fantasme. » La patiente en conclut qu’elle a été écoutée, mais pas entendue et ne retournera jamais chez ce thérapeute. Au terme de cet article, nous dirons, en guise de conclusion, que l’art de l’écoute constitue une technique psychothérapeutique à part entière. Bien qu’aujourd’hui les téléphones ne soient plus pourvus de cordon, je peux reformuler ces mots de ma première référente de stage : nous faisons du lien parce que nous écoutons.
Notes de bas de page
1 Beaumarchais, P.-A. (1775). Le Barbier de Séville (p. 61). Paris : Presses-Pocket n° 6168.
2 Repéré à : http://www.codededeontologiedespsychologues.fr/LE-CODE.html
3 Rogers, C. (1942/2015). La relation d’aide et la psychothérapie (traduit par J.-P. Zigliara). Paris : ESF Sciences humaines.
4 Jacq, C. (2004). Les Maximes de Ptah-Hotep, l’enseignement d’un sage au temps des pyramides. Lyon : Maison de vie.
5 Marivaux (de), P. (1736). Le paysan parvenu. Paris : Garnier-Flammarion.
6 Chiland, C. (1997). L’entretien clinique (p. 37). Paris : PUF.
7 Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire. L’entretien (p. 42). Paris : Armand Colin.
7 Blanchet, A. (1991). Dire et faire dire. L’entretien (p. 42). Paris : Armand Colin.