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Pour renouer la trame… à propos de la temporalité traumatique

Houria CHAFAÏ SALHI - Chef de service de Pédopsychiatrie, CHU Frantz Fanon, Blida (Algérie)

Année de publication : 2004

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Pédopsychiatrie, Psychiatrie, Psychologie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°15 – Dépasser l’urgence (Avril 2004)

« Le lien avec autrui ne se noue que comme responsabilité, que celle-ci, d’ailleurs, soit acceptée ou refusée, que l’on sache ou non comment l’assumer, que l’on puisse ou non faire quelque chose de concret pour autrui.  »

E.Levinas

Si on tente de repérer les points communs aux situations extrêmes diverses – événement de guerre, attentats, catastrophes – on en rencontre au moins deux :

  •             L’un est constitué essentiellement par le danger potentiel, le risque pour la personne, quant à sa vie, quant à l’atteinte ou menace à son intégrité physique ou psychique.
  •             L’autre point commun, c’est la mise hors circuit de la temporalité. Le propre du traumatisme est en effet d’être vécu dans l’instant.

Par l’afflux d’excitation qu’il déclenche chez le sujet, l’évènement traumatique va déborder le seuil de tolérance de son appareil psychique, c’est en quelque sorte un élément désorganisateur. Comme l’a bien montré Ferenczi, la lutte du sujet, usant de toutes ses stratégies défensives, va consister à éviter l’implosion psychique.

Toutes les observations cliniques ont mis l’accent sur l’état de sidération qu’entraîne l’événement traumatique qui peut être compris comme le signe d’une confusion entre la réalité psychique et la réalité externe.

Cet état de stupeur perplexe a été rapporté par de nombreux enfants qui ont survécu aux massacres collectifs. Ils ont bien décrit cette sorte d’incertitude et de doute quant à leur perception accompagnée d’une certaine fascination « comme devant un film d’horreur ».

On comprend qu’il nous ait paru nécessaire de répondre à la demande exprimée par ces enfants, d’être pris en entretiens individuels. C’était la seule façon de les aider à restructurer ce qui a été désorganisé dans le continuum temps et intégrer l’événement traumatique dans leur histoire individuelle.

Ce qui a été également bien objectivé par cette expérience clinique, c’est la désintrication des liens qui tissent le réel, l’imaginaire et le symbolique.

En effet, le traumatisme a comme caractéristique de figer le sujet dans le réel, de créer ainsi une sidération psychique. Cette inhibition de la pensée empêche l’accès à un signifiant pouvant être lié à un réseau de significations.

C’est dire que l’ordre du symbolique est hors circuit.

Mais dans le même temps, l’ordre de l’imaginaire lui-même, en l’absence d’étayages sur le symbolique, se retrouve comme désarrimé et ne fait que répéter à l’identique le réel (cauchemars, reviviscences, feed-back de scènes réelles vécues avec tous les détails perçus par les sens, odeur, bruits, visions, etc..)

Quand on dit d’un événement traumatique qu’il est inimaginable (comme les massacres intégristes en Algérie), c’est parce qu’il appartient exclusivement au monde du réel, qu’il n’entre pas dans l’imaginaire de notre monde  intérieur.

Par ailleurs il est également inouï, non prévu, non connu comme signifiant possible, il échappe donc aussi au monde symbolique.

C’est pourquoi l’éprouvé traumatique est d’ordre strictement émotionnel. Le sujet est livré à un affect sans représentation possible, c’est ce que Freud désigne par l’effroi.

On comprend dès lors l’intérêt, en situation traumatique de travailler sur tout ce qui peut permettre l’accès au symbolique et la relance de l’imaginaire intérieur du sujet.

En offrant à l’enfant un espace de parole et de narration, le thérapeute lui permet une mise à distance et aussi un partage de l’expérience thérapeutique ce qui permet de réintroduire la temporalité et donc de transformer les reviviscences hallucinées, en remémorations maîtrisées.

La prise en compte des failles dans la temporalité qu’induit le traumatisme a été le déterminant du choix de la démarche thérapeutique qui passe par des entretiens individuels qui aident à la mémorisation de l’avant traumatisme.

C’est ce qui s’est passé, par exemple, avec le petit Khalil

Cet enfant de 12 ans a été adressé au service par un pédiatre du secteur sanitaire pour des pertes de connaissances apparues 40 jours après la nuit du drame où il a vu toute sa famille égorgée devant lui (le quarantième jour marque la fin du deuil par une cérémonie rituelle).

Si on reconstruit, d’après le discours de l’enfant, le temps du trauma, on retrouve un état voisin de la stupeur qui s’est mué dans les jours suivants en un état de détachement et d’indifférence, perçu comme insolite et inquiétant par la famille qui nous l’a relaté.

C’est comme si sa personnalité s’était dédoublée en un « Khalil douloureux et un Khalil froid et insensible ».

C’est donc le clivage qui a opéré à l’instant du trauma le sauvegardant peut être de la décompensation psychotique.

Le processus de métabolisation du trauma a duré quelques mois, passant par un temps de régression (qui nous paraît un temps utile et de bon aloi), un temps de reconstruction des souvenirs traumatiques où il apprend peu à peu à « enrober » les reviviscences de scènes terrifiantes avec de bons souvenirs du passé et à se projeter dans l’avenir.

On pense à la phrase de Musset « un souvenir heureux en des temps de malheur, est peut être plus vrai que le bonheur ».

Le symptôme, lui, a disparu dès que Khalil a fait le lien entre la perte de connaissance de son père à l’intrusion des terroristes dans la maison et ses propres pertes de connaissance.

Le père n’avait-il pas indiqué par là, au fils, la voie d’une moindre souffrance?

« L’efficacité » traumatogène de l’événement ne se situe pas uniquement dans l’ordre d’un réel quantifiable il implique d’autres facteurs intrinsèques en résonance avec l’histoire personnelle de l’enfant et celle du groupe.

C’est dire que l’impact du traumatisme et les possibilités optimales de sa gestion dans un cadre et une relation thérapeutiques sont tributaires d’un certain nombre de facteurs concomitants :

  • La qualité narcissique d’estime de soi de l’enfant
  • La valeur de son ancrage identitaire
  • L’efficacité du «  holding » familial et plus généralement des ressources mobilisées par le corps social qui l’environne, en réponse à la situation traumatique

C’est dire donc pour conclure, l’intérêt d’une prise en compte de la temporalité dans la démarche d’accompagnement des enfants traumatisés.

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