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Perte de la transmission vive des savoirs : danger

Evelyne VAYSSE - Psychiatre, EPS de Ville Evrard

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°23 – Danger, dangerosité et peurs : récuser le pouvoir prédictif (Juillet 2006)

Il y a trente ans les infirmiers psychiatriques expérimentés et en nombre apprenaient aux jeunes internes à repérer les attitudes et les situations dangereuses : des détails inoubliables comme ne pas porter de foulard (autour du cou), ne pas laisser son adresse dans la corbeille, demander une issue de secours dans un nouveau local…Les risques faisaient partie du quotidien dans tout lieu de soin, le savoir faisait partie du métier. Aujourd’hui les conditions de travail ont changées ; les risques sont-ils accrus ? Les réflexes sont-ils conservés ? Notre préoccupation portera sur le CMP, « le pivot du secteur » encore pour quelque temps, avec une allure de dépôt de bilan.

Pour les risques, certes la société est globalement plus violente, les files actives plus importantes, la consommation de toxiques massive, les obligations de soin (pour violence) frappent à nos portes et nombre de patients sont contrôlés dehors pour leur mesure de placement. Il y a du monde au portillon. Mais deux facteurs nouveaux mettent à mal les stratégies habituelles de lutte contre la violence en psychiatrie, ils touchent l’organisation même du travail ; ce sont la baisse des effectifs infirmiers et parallèlement la sollicitude de l’administration.

En CMP, seule structure de proximité à soin gratuit qui attire tant la demande alentours des médecins, des travailleurs sociaux et directement de la population, la réduction du nombre des infirmiers de secteur est un facteur indéniable de vulnérabilité. Comment continuer à assurer les multiples tâches qui leur sont dévolues et qui ont trait à la sécurité ? Accueil et connaissance de tous les consultants, bonne marche de la salle d’attente, surveillance et fonctionnement des locaux, intendance, (sans parler des soins et des suivis proprement dits ! ), quand ils ne sont que trois ou deux ? La raréfaction de l’équipe diminue les regards, les transmissions orales, le repérage des situations à risque et l’énoncé des paroles anticipatrices. Le filet de protection du dispensaire se relâche. Tout travail hors du dispensaire aggrave encore plus la pénurie, VAD et accompagnements sont comptés, reportés, voire impossibles. Les tâches transversales comme les appartements associatifs, les placements familiaux, sont un casse tête du planning. Sortir du dispensaire devient problématique. Et pourtant  ça ne serait pas de refus, quelques journées de formation non plus.

Si un clash se produit, l’administration intervient généreusement et le piège tend à se refermer. En effet les consignes sont de remplir une fiche « d’événement indésirable » et ce faisant entraînent la confusion et l’évaporation des données. Car toute violence psychiatrique est dénaturée au titre de n’importe quelle nuisance ; et l’expertise administrative promet un retour, mais imprécis. Mieux, on peut selon le protocole accompagner l’ «  indésirable » d’un dépôt de plainte au commissariat, obligatoirement nominatif ; ce faisant tout soignant est isolé, judiciarisable, pourquoi pas fautif, en attendant victime avec mise à disposition bienveillante à la médecine du travail d’un psychologue ad hoc, et d’un conseil pour arrêt de travail si besoin.

Cette sortie du collectif tend à rendre aléatoire la culture du milieu psychiatrique qui justement est sous-tendue par le travail d’équipe. C’est sur le champ et dans le lieu même que l’analyse de la pathologie, de la relation avec le patient, des défauts d’organisation et de cohérence des soignants, que cette discussion clinique à la base permet la compréhension et l’anticipation des situations à risque. C’est elle qui donne sens et justifie notre travail. C’est cette réflexion qui nous rend forts. A l’heure qu’il est, court-circuitée, manquant de présences et de temps, elle semble en passe d’être abandonnée. Danger.

Si nous ne pouvions plus exercer collectivement dans le service public, comment ferions- nous ?

Il serait bon de garder l’efficacité de ce filet fait de mémoires, transmissions vives, regards et adresses de paroles, qui nous protège tous les uns et les autres. Il serait bon d’entendre la fonction d’accueil des infirmiers, éminemment intellectuelle et si peu comptabilisée en informatique, alors que les déplacements visibles qui mobilisent la musculature sont valorisés. Il serait bon que tous les corps de métiers soient attentifs à ce que font journellement les infirmiers, les consultants dans leur bureau, les animateurs dans leur groupe, la secrétaire au secrétariat, et les patients dans la salle d’attente ; tous défendent le bien commun qu’est le lieu de soin, participent, se signalent, interviennent.

En psychiatrie, c’est la présence et la parole qui contiennent et ordonnent.

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