Dans le débat sur la maîtrise des dépenses de santé, il est parfois facile d’opposer une logique administrative, budgétaire et comptable, par définition contraignante et bureaucrate, d’une logique de soins humaine, optimale, et répondant aux besoins. Ce débat n’est pas propre au milieu hospitalier, et, étudiant en finances publiques, j’avais eu à méditer cette adage célèbre, caractéristique des finances classiques « il y a des dépenses, il faut les couvrir ».
Force est de constater que le milieu hospitalier reproduit ce principe « il y a des besoins, il faut les financer », qui correspond à un vieux débat sur les finances publiques, reprenant sans le savoir, la formule attribuée à J. Bodin en 1576 « les dépenses publiques sont toujours une bonne chose, cela fait circuler l’argent ».
Inversement, dès l’apparition d’un contrôle démocratique (J. Bodin justifiait, par cette maxime, la dépense royale), la question de la pertinence de la dépense, et donc de l’impôt, s’est posée (article 1 de la constitution des US, article 13 de la déclaration des droits de l’homme).
L’hôpital reproduit ce débat, toute dépense ou proposition de dépense n’est pas « a priori » justifiée et selon la formule d’un des fondateurs des finances publiques, Gaston Jèze, « la dépense publique ne peut avoir pour objet que l’utilité publique ».
Ceci dit, comment juger « l’utilité publique » d’une dépense à l’hôpital ? Et distinguer, puis classer les projets, et selon quelles grilles les analyser ?
Face à des interrogations légitimes sur la pertinence des demandes de moyens, la démarche d’un Directeur d’hôpital doit être de s’interroger à partir des 3 principes qui légitiment la structure qu’il représente.
Si les acteurs internes à l’hôpital sont conscients que l’intérêt du service public prédomine à leur logique interne, ils peuvent s’accorder sur le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité du service public.
En ce sens, une des grilles de lecture des demandes de moyens doit répondre à ces 3 principes :
1- principe d’égalité : en quoi ce projet participe-t-il à une meilleure prise en charge et répond-t-il à une égalité dans l’accès aux soins,
2- principe de continuité : le projet peut-il répondre à cet objectif, et assure-t-il une permanence ?,
3- principe d’adaptabilité : le projet s’inscrit-il dans une évolution de l’organisation médicale, incluant à la fois des alternatives à l’hospitalisation comme l’ouverture de l’hôpital.
Ces principes font souvent l’objet d’indications ministérielles sur les plans de santé publique ; ils constituent aussi la première grille d’analyse.
Passée cette première phase, le Directeur Général utilise d’autres critères, aussi institutionnels.
– niveau d’unité du projet : concrètement, ce projet a-t-il éclairé, par les avis des instances, CME, dans son aspect médical mais aujourd’hui, conseil exécutif dans la nouvelle gouvernance
– niveau de compatibilité avec le projet d’établissement qui doit rester l’armature globale de différents projets. Il ne s’agit pas d’exiger la conformité, item trop réducteur, mais une compatibilité entre le projet d’établissement et les demandes.
Par définition décider, c’est arbitrer des conflits et faire des choix, sinon la décision devient une évidence !
Dans un contexte budgétaire contraint par l’intérêt national de limiter les déficits nationaux, dans un environnement social, médical, exigeant, dans une dynamique technologique souvent inflationniste, les choix et les décisions ne sont pas faciles et le dogme de complexité est à la mesure de la confiance faite par l’institution au Directeur Général. A travers les grilles d’analyse précédentes, il importe de souligner la nécessaire concertation préalable, l’exigence de motivation de la décision prise et son évaluation. En effet, une insuffisance apparaît aujourd’hui dans l’analyse de la dépense publique : son évaluation.
En interne, comme en externe, la procédure actuelle repose plus sur une définition des moyens demandés que sur l’analyse des résultats. Le temps consacré à l’allocation de moyens et le peu de temps à l’analyse des résultats obtenus reflète bien cette insuffisance.
Le développement du contrôle de gestion est aujourd’hui nécessaire, comme une évaluation financière, sociale, sanitaire, au terme d’un contrat passé entre la direction et le responsable du projet.
L’Etat, en redéfinissant une nouvelle organisation financière par la mise en place de la LOLF, s’est inscrit dans une dynamique forte.
L’hôpital n’échappera pas avec la mise en place de la TAA, de la nouvelle gouvernance, de la définition des pôles, à une nouvelle analyse de la décision publique.
Dans une perspective facilement imaginable, où la contrainte budgétaire se heurtera aux besoins toujours croissants des demandes comme aux exigences que l’Etat impose en matière de sécurité, qualité et principe de précaution, les arbitrages devront être concertés, explicités et évalués. C’est l’objectif de la nouvelle gouvernance de fournir les instruments juridiques, non de nier l’opposition mais de rejeter le concept de conflit.