Il y a eu des postes ouvert en 98 sur des contrats emplois jeunes pour une durée de 5 ans. J’ai postulé pour celui d’accompagnatrice vers la vie de quartier. L’intitulé du poste a beaucoup changé : d’accompagnatrice à médiatrice culturelle, je suis aujourd’hui animatrice. Le directeur du Centre Hospitalier à l’époque avait dit « ce sera de nouveaux métiers, des créations. A vous d’inventer, de lister les formations attenantes et de développer ce travail d’interface entre l’hôpital et la ville ». A Villeurbanne, j’ai été recrutée pour développer les activités du Comité Des Fêtes et des Loisirs (CDFL) qui fonctionnait comme un club thérapeutique, pour l’ensemble du service, sur le principe de la cogestion (soignants/soignés).
Les structures de soins extrahospitalières se réunissaient régulièrement sur des temps de réunion (une fois par mois) dans des locaux municipaux et organisaient des loisirs : 4 grandes sorties à l’année, un loto et une fête de fin d’année qui a été le point d’orgue de l’association. Celle-ci s’est modifiée dans son contenu. Les sorties ont changées aussi, certaines ont même été supprimées. Cette « pseudo-association » était surtout portée par l’équipe du centre de jour ; les infirmiers avaient déjà une conception des soins particulière où tout ne doit pas se passer dans les lieux de soins.
Je suis arrivée dans ce mouvement-là et on m’a demandé de développer l’accompagnement social et de loisir sur des temps autres que ceux du soin, et aussi d’impliquer l’équipe du CATTP des personnes âgées qui n’était pas du tout présente sur les activités.
Je n’étais pas dans une logique d’horaire 9h-17h, car toutes mes expériences professionnelles étaient dans le champ de l’animation et des vacances ; j’ai donc toujours travaillé en décalé, les dimanches, jours fériés… Tout le temps, on m’a défini par la négative : j’étais « non soignante », je n’étais pas infirmière, pas médecin… Il y a eu de longs débats sur le fait que le CDFL était quand même thérapeutique ; on ne pouvait pas dire que c’était une activité thérapeutique, mais on pouvait le penser.
Ma place, je la définis plutôt bien. Je sais où je me situe et les patients aussi savent me situer, à quel moment j’interviens, avec mes références à l’univers du social, de la culture, des loisirs… Je ne suis pas une intervenante extérieure mais j’apporte l’extérieur, la vie sociale et culturelle à l’intérieur des lieux de soins.
Comment nommer les personnes dans ce contexte-là ? J’utilise différents termes selon qui j’ai en face de moi. Quand je parle à quelqu’un de l’institution, ce sont des patients. Quand je parle à des responsables associatifs, ce sont des adhérents, personnes en soin, pour préciser, mais rarement « patients » à l’extérieur. Eux-mêmes ont évolué dans ce dispositif-là. Parfois ils précisent qu’ils sont suivis sur telle ou telle structure de soins. D’autres disent clairement « je suis un patient », ou « je suis sur l’hôpital ». Parfois, ils parlent du rattachement aux soins, citent le nom des médecins, parlent de leur pathologie…
Mais plus ils investissent le CDFL et plus ils quittent cette présentation de malade pour celle d’adhérent, de secrétaire, de co-trésorier… même si souvent la valeur du titre est purement symbolique. On reste dans le jeu du faux semblant.
Une association se crée: Envol&Compagnie
Des infirmiers, des patients impliqués, chacun jouait un rôle. Ils étaient en binôme (un malade et un pas malade…). Chacun partageait un poste à responsabilité. Il y avait deux présidents, plusieurs secrétaires, plusieurs trésoriers. On a toujours gardé ce modèle-là en l’enrichissant, en essayant de l’ouvrir aussi à toutes les structures de soins du secteur, de développer les petites sorties sans présence infirmière. Et puis on a créé une vraie association afin d’être reconnus, mais aussi pour avoir de nouveaux budgets. Avec le recul, c’était davantage une histoire de reconnaissance, d’appartenir légalement et donc réellement au monde associatif, d’avoir une identité, de moins faire semblant, parce que, finalement, on n’a jamais fait de demande de subventions.
On a travaillé ça avec le même esprit de collaboration, de co-animation, donc toujours soignant/soigné, avec ma présence qui faisait lien. Ces statuts respectaient ce qui existait auparavant. On a pu préciser aussi des choses, re-débattre des contradictions (la question de l’alcool au cours des sorties, l’adhésion et la participation financière des infirmiers…) qui n’ont pas été résolues non plus, mais on a pu mener ce travail d’écriture à terme et déposer les statuts.
Le GEM : on n’arrive pas avec une petite valise de désirs
Chemin faisant, cette association avance. Dans l’héritage, elle aboutit à la création d’un Groupe d’Entraide Mutuelle (GEM)1.
C’est bien parce qu’il existait un collectif et parce qu’il y a eu toute cette histoire à Villeurbanne, que l’on a pu devenir un GEM. Quand on regarde les textes, ces usagers (c’est-à-dire des personnes en situation d’isolement et de souffrance psychique) doivent être à l’origine de la constitution du GEM, mais ils doivent aussi trouver un parrain (une association ou un centre hospitalier) qui leur facilite la tenue des comptes, en tout cas dans un premier temps. Ils peuvent salarier quelqu’un et trouver un local, mais ils doivent à terme gérer seuls ce budget-là. Ce montage crée des contradictions. C’est souvent le parrain qui gère la fiche de paie, qui s’occupe du salarié, par exemple.
Pour moi, c’est une opportunité que d’être un GEM, c’est sûr : davantage de budget, une plus grande place accordée aux patients, une reconnaissance nationale. Mais salarier quelqu’un, ce n’est pas simple, c’est un métier. Il est dommage de charger, en termes de responsabilités, les usagers de cette tâche-là.
Ce qui est important, à mon sens, c’est de créer de bonnes conditions et favoriser l’émergence de l’envie du patient car celui-ci, l’usager, n’arrive pas forcement avec une demande, une envie. On n’arrive pas avec une petite valise de désirs. Avoir un espace, et grâce au GEM, un local, c’est avoir un endroit pour se donner le temps de la rencontre, pour que les envies des uns soient porteuses, voire contagieuses. Il faut prendre en compte les difficultés, pour mieux s’en détacher, en essayant d’être dans la subtilité, accompagner discrètement et individuellement, laisser le temps qu’il faut pour que la personne investisse des activités et arrive à se faire plaisir, tout simplement.
Le GEM Envol&Compagnie, parrainé par le Centre Hospitalier Le Vinatier, apporte une rupture avec les anciennes pratiques. Avant, on avait vraiment une implication des infirmiers. Là, les infirmiers ne doivent plus participer au programme d’activités. On a constaté que ce n’est pas pour lui, mais pour faire plaisir à l’autre qu’un patient s’engage dans une activité. Or, l’autre, quand les personnes souffrent, c’est souvent l’infirmier. Je l’ai vu dans la pratique. Les personnes ne viennent pas comme ça parce qu’on leur dit qu’un GEM existe, qu’il faut y aller, que ça leur fera du bien, et que c’est elles qui décideraient de tout.
Maintenant, comment va t-on travailler ce lien-là ? Comment va t-on amener ces personnes à venir dans un collectif qui est censé être le leur ? Avec le GEM, il faut que ce soit elles qui le portent et qui le créent dans un principe d’exclusion des soignants.
Pour mettre en route le GEM, à un moment donné, les décisions doivent se prendre aussi avec les usagers. A ce jour, à Villeurbanne, c’est assez harmonieux avec les adhérents puisque l’on fonctionne depuis longtemps comme ça ; ils sont porteurs de cette histoire-là et porteurs de cette pratique. Ce que faisaient les infirmiers avant, ce sont les anciens adhérents qui arrivent à le transmettre. C’est une des contradictions qui existent dans les GEM. Alors là ça tombe bien, car l’histoire nous aide.
C’est la contradiction, le paradoxe qui a rendu possible l’existence puis l’évolution de ce collectif, de cet espace intermédiaire entre l’univers du soin et l’univers du social. Le contexte actuel a tendance à vouloir clarifier et séparer les choses, les lieux, les fonctions… Mon poste incarne pourtant cette contradiction : salariée de l’hôpital, je travaille pour un GEM qui n’est pas, avant tout, un lieu de soins. Mais après tout, je ne suis pas soignante !
Propos recueillis par Christian Laval à partir d’une interview de Nathalie Roche de Jerphanion, animatrice d’un GEM
Notes de bas de page
1 Cf. Circulaire DGAS/3B n° 2005-418 du 29 août 2005 relative aux modalités de conventionnement et de financement des Groupes d’Entraide Mutuelle pour personnes souffrant de troubles psychiques.