Etant consultant indépendant en santé publique, j’ai pu conduire depuis plusieurs années un certain nombre de travaux d’évaluation interne et externe de réseaux de santé (notamment des réseaux ayant pour finalité la facilitation de l’accès aux soins et à la prévention des publics socialement vulnérables, la prise en charge de publics consommateurs de produits psycho actifs, et de soins palliatifs), ainsi que des missions d’accompagnement méthodologique et de formation d’acteurs engagés ou souhaitant s’engager dans cette nouvelle forme de travail.
L’évaluation externe des réseaux de santé est une composante de l’évaluation des politiques publiques de santé
Dans cette perspective, il semble donc indispensable que les institutions de tutelle définissent précisément ce qu’elles attendent des réseaux de santé en général et de chaque réseau thématique en particulier, afin que ces organisations puissent, à leur tour, situer leurs pratiques et rendre compte de leurs résultats de manière positive, en adhérant pleinement au projet de l’évaluation.
Il semble ici important de rappeler que le processus de développement institutionnel des réseaux de santé a plus de vingt ans, et des nombreuses évaluations ont été financées pour accompagner ce processus, au point qu’un véritable champ d’activités s’est développé, et un marché s’est constitué autour de nombreux « experts ». Cependant, les finalités de ces demandes d’évaluations, la qualité et l’usage des résultats restent souvent confidentiels, et leur intérêt difficile à apprécier dans une perspective d’évaluation des politiques publiques.
Afin de préserver la crédibilité de cette exigence, il semble indispensable de présenter clairement dans les cahiers des charges de l’évaluation externe des réseaux de santé, la manière dont celle-ci sera considérée dans la perspective d’évaluation des politiques de santé publique, les modes de contrôle de la qualité des prestations et les conséquences de responsabilité qu’une telle démarche entraîne pour les parties engagées dans la démarche.
L’évaluation externe des réseaux de santé ne doit pas stériliser le potentiel d’innovation et de réforme du système de santé de ces organisations, qui en constitue à mes yeux la principale valeur ajoutée de leurs contributions
Les réseaux de santé s’inscrivent dans le processus de modernisation du système de santé, en apportant une forme d’organisation nouvelle, qui opère à deux niveaux, en fonctionnant, d’une part, comme un dispositif ad hoc qui permet d’optimiser la cohérence, l’efficacité et l’efficience du système en place, et d’autre part, comme un espace d’innovation et de transformation des pratiques sociales en santé, dans lequel les acteurs : (soit les effecteurs publics et privés, les financeurs et les consommateurs/citoyens/usagers du système), reformulent concrètement les problématiques de santé publique et réinventent ensemble des stratégies nouvelles capables de répondre à la complexité des questions posées.
L’évaluation externe des réseaux de santé doit prendre en compte ces deux niveaux afin de pouvoir apprécier leur véritable « valeur ajoutée » : c’est ce qui motive et permet de donner sens à l’engagement des acteurs, sans qui le réseau n’existe pas, et sans lequel l’innovation et la modernisation du système de santé ne pourra pas être envisagée de manière positive. Or, l’expérience montre que si le premier niveau apparaît relativement clairement exposé dans les cahiers des charges, conventions et autres protocoles qui « cadrent » le financement des réseaux, force est de constater que le second niveau est en général peu ou mal pris en considération, et ce défaut de compréhension de ce qui se «joue» dans les réseaux, explique les décalages qu’on constatera à l’heure de l’évaluation.
Il semble donc indispensable que les cahiers des charges d’évaluation des réseaux considèrent cette dimension, et donnent la possibilité d’intégrer dans la démarche d’évaluation un temps d’élaboration qualitative, afin de bien appréhender le sens et la portée de ce qui est produit au sein des réseaux.
L’évaluation externe des réseaux de santé doit contribuer à la promotion d’une culture de l’évaluation positive et démocratique
L’expérience montre qu’une partie des réticences (résistance) des acteurs se fonde sur l’ambiguïté des intentions des institutions qui l’exigent.
En effet, lorsqu’on évoque « l’efficience » des réseaux de santé, il semble qu’en matière d’évaluation économique de ces modes d’organisation il soit possible d’avoir une exigence particulièrement grande (que l’on ne retrouve pas toujours ailleurs dans le champ des soins pour des dispositifs moins complexes). Or, cela rentre en contradiction avec l’expérience en matière d’évaluation économique des réseaux de santé ces dernières années, qui montre la difficulté rencontrée à la réaliser, et les limites des approches utilisées essentiellement comptables (par définition cette forme d’évaluation ne considère pas les finalités des actions évaluées, mais seulement les conditions d’utilisation des ressources alloués, au regard d’indicateurs qui ne reflètent que ce que l’ont sait et que l’on peut compter). Dans cette perspective, nous voulons signaler ici qu’il nous semble indispensable qu’en matière d’évaluation économique des réseaux de santé, les cahiers des charge de l’évaluation externe déterminent de manière très rigoureuse les zones sur lesquelles il pourra être « exigé » des résultats précis, celles où il est encore nécessaire de progresser dans la connaissance et dans l’élaboration de standards de référence (y compris pour ouvrir des espaces de recherche au sein même des dispositifs d’évaluation), et celles où il y a débat.
Cette posture scientifique et non dogmatique de l’évaluation des réseaux, contribue à la promotion d’une culture de l’évaluation positive, dans laquelle les institutions responsables du système de santé assument la vocation démocratique de l’évaluation et préservent, par ce biais, l’espace politique de la santé, au croisement des pratiques sociales et des savoirs technocratiques qui s’expriment dans le champ. Ce positionnement de l’évaluation contribue à la réduction des stratégies d’occultation ou de travestissement des données, si fréquentes dans les exercices « d’évaluation » d’un champ qui, par la spécificité de ses objets et sa culture, a du mal a intégrer les nouveaux standards de management fondés sur la « qualité » (logique industrielle) et les « résultats » (logique comptable).
L’évaluation externe des réseaux de santé doit considérer le point de vue des usagers
Il est « facile » et de bon ton de décréter que les usagers doivent être « au centre » du réseau et pouvoir « participer » pleinement aux activités de celui-ci. L’expérience pratique montre à quel point ceci est difficile, non pas parce que les usagers ne sont pas qualifiés ou disposés à le faire, mais parce que les enjeux de la participation sociale dans le champ de la santé sont souvent « importants» et risquent de mettre en cause l’homéostasie du système.
A l’heure de la démocratie sanitaire, quand l’exigence de transparence et de qualité des services est un leitmotiv des nouvelles politiques de santé, il semble indispensable que les cahiers des charges de l’évaluation externe des réseaux soient aussi un espace d’expression des usagers, qui permette l’appréciation raisonnée et subjective de cette partie du système de santé. Dans cette perspective, en plus de l’ouverture du dispositif d’évaluation aux méthodes qualitatives proposées par les sciences sociales, il semble possible d’envisager l’inclusion des organisations de consommateurs et de représentants des usagers du système de santé tels que reconnus par la loi du 4/II/2004 notamment.