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Nécessité et intérêt d’une évaluation critique de nos organisations de soins

Alain GOUIFFÈS - Psychiatre, UMAPPP – RRAPP[1], Rouen

Année de publication : 2009

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°34 – Mesurer… les effets de l’évaluation (Mars 2009)

Si nous n’avions pas accepté dans les années 1995-2000 d’évaluer le travail expérimental que nous menions dans un lieu social du centre ville de Rouen, l’équipe mobile psy-précarité de l’agglomération rouennaise, UMAPPP, n’aurait pas vu le jour. Evaluer ce travail médical, psycho, infirmier, mesurer la file active, les rendez-vous et leurs modalités, dénombrer les contacts avec nos partenaires, les rencontres de formation et de soutien, établir un rapport annuel détaillé, réunir un comité de pilotage annuel très élargi a validé ce qui était au départ une expérience militante volontariste. C’est ce qui a permis pendant cinq ans de 1999 à 2004 d’obtenir le financement de postes assuré par l’Etat via la DRASS, l’Assurance Maladie via l’ARH et le Département via le Conseil Général avant d’obtenir en 2005 la garantie d’un financement pérenne.

L’UMAPPP1 de Rouen est né grâce au dispositif PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé) et au soutien convaincu de responsables des tutelles départementales et régionales. C’est par la démonstration de l’intérêt et la pertinence de ces expériences locales menées à Paris, Lyon, Lille, Marseille, Rouen… relayées au niveau national et régional dans des groupes de travail au ministère de la Santé et de l’Action Sociale que la circulaire du 23 novembre 2005 relative à la prise en charge des besoins en santé mentale des personnes en situation de précarité et d’exclusion et à la mise en œuvre d’équipes mobiles spécialisées en psychiatrie a pu paraître. En ce début 2009, près d une centaine d équipes mobiles de ce type existent.

La légitimité du principe de l’évaluation n’est pas contestable. Les modalités de dépense de l’argent public, le financement de projets, le maintien d’activités doivent répondre à des justifications et critères rationnellement objectivables et partageables. Contre le laisser-faire du marché, c’est-à-dire accepter les inégalités territoriales et sociales telles qu’elles existent, autant expliciter ce qui justifie les différences de traitement.

Alors que la France serait encore le deuxième pays au monde pour le nombre de psychiatres rapporté au nombre d’habitants, comment justifier de tels écarts d’équipements dans le service public (1 à 10) et dans le privé (1 à 30), notamment entre le centre des très grandes villes et les zones sub-urbaines et rurales de nombreuses régions ?

Evaluons ce qui dépend des finances publiques. Rien n’empêchera un patient en demande d’analyse ou de psychothérapie de dépenser son argent personnel auprès du psychanalyste ou psychothérapeute de son choix. Il ne s’agit pas de mesurer le désir, la quantité de plaisir ou la pertinence de choix amoureux.

L’évaluation, c’est aussi ce que nous acceptons de mesurer face à des tiers qui nous demandent des comptes. Le non-mesurable existe, heureusement. Ce n’est pas un argument définitif pour affirmer que ce qui relève de la psy n’est pas évaluable.

Pourquoi l’évaluation ne serait-elle pas une aide éclairée à la prise de décisions et à des choix de meilleure organisation des soins ? Comment défendre la pertinence du maintien en hospitalisation temps plein plus d’une dizaine d’années ou accepter que les délais de rendez-vous en CMP puissent être très longs ? Une réflexion soignante, avant d’être comptable, est nécessaire.

L’évaluation peut être intelligente ou non, synonyme alors de normes, standardisation, protocoles, bureaucratie bête et méchante. Ce n’est pas simple, mais elle est aussi ce que nous en faisons en étant capables de proposer des critères d’évaluation alternatifs si nécessaire. Bien sûr, il existe une logique financière de mise à mal du service public et de mise en concurrence avec le moins coûtant du privé. Bien sûr, il existe aussi une mise en question d’un ordre soignant ayant sa logique par un ordre administratif aux règles différentes. Ces tensions existent. Elles n’empêchent pas de continuer à chercher des réponses.

Au niveau régional Haut-Normand, nous avons échangé et confronté pendant de nombreuses années nos hypothèses de travail et nos projets dans des commissions d’échanges et d’évaluation avec les tutelles départementales et régionales, fourni des dossiers épais à la limite du découragement, accepté un cahier des charges contraignant. Mais c’est à ce prix que nous avons réussi à obtenir un financement du Réseau Régional Psy Précarité. Le Fonds d’Intervention pour la Qualité et la Coordination des Soins (FICQS), par le biais de l’URCAM et de l’ARH de Haute-Normandie, a ainsi financé pour trois ans un mi-temps de psychiatre, un mi-temps de cadre et un quart-temps de secrétaire pour soutenir et développer ce travail psy-précarité dans la région, en lien avec les 4 équipes mobiles existantes dans les territoires de santé de Dieppe, du Havre, d’Evreux et de Rouen.

Notes de bas de page

1 U.M.A.P.P.P : Unité Mobile d’Actions Psychiatriques pour Personnes Précarisées. Adresse : 49 rue des Augustins, Rouen. Le RRAPP est le Réseau régional haut normand.

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