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Santé Mentale et Mondialisation : survivre ensemble ?

Michel-Henry BOUCHET - professeur de finance internationale, SKEMA Business School
Jean FURTOS - Psychiatre ONSMP

Année de publication : 2011

Type de ressources : Rhizome

Télécharger l'article en PDFRhizome n°42 – L’Age post-thérapeutique (Septembre 2011)

Les anglo-saxons ont un seul mot (« globalisation ») pour décrire le passage d’un modèle politique et économique centré sur l’Etat-nation vers un nouveau système qui doit beaucoup à la dérégulation de l’après-guerre et au caractère apatride des acteurs financiers et économiques. La langue française nous donne l’opportunité de distinguer deux phénomènes très différents, bien qu’intriqués : Mondialisation et Globalisation.

La Mondialisation est un processus de très longue période qui résulte de la croissance des flux migratoires et d’informations à travers les frontières physiques et politiques, fruit du besoin et du désir d’échange au-delà du territoire de proximité. Il prend son essor au Moyen-âge, se développe avec les progrès technologiques et s’intensifie avec la révolution numérique. Ce phénomène prend aujourd’hui la dimension d’un « Village planétaire » où l’autre est mon voisin. C’est une véritable conscience mondiale qui émerge aujourd’hui et qui revendique une meilleure gouvernance et une nouvelle citoyenneté. Ce défi est certes périlleux mais vital à relever.

La Globalisation, elle, représente la prédominance absolue de l’économie de marché, fondée sur la compétitivité et le profit, dans tous les pays et sur toutes les activités de production et d’échange de biens et des services. Ce qui devient global, c’est le champ de l’économie marchande qui recouvre l’ensemble des activités socio-économiques (industrie, finance, santé, éducation, art et culture…) et les transforme en transactions. Depuis une trentaine d’années, la dérégulation a consacré le triomphe du marché sur l’Etat, mais surtout celui de l’Hyperfinance avec une double émancipation, celle de l’économique par rapport au politique, et du financier par rapport à l’économique. La sphère financière s’est de plus en plus « déconnectée » de la base réelle de la sphère économique. La crise systémique de 2007-2011 est l’illustration la plus dramatique de cette finance en roue libre, dans un marché sans horizon social ni temporel.

La Globalisation est souvent ressentie et considérée comme un processus irréversible sur lequel l’individu, et même l’Etat-nation, n’ont pas prise ; mais en même temps, de plus en plus d’interrogations et d’informations stimulent une pensée critique et un refus devant une sorte de Gorgone économique, aveugle et tentaculaire, dont les manifestations sont toutes marquées par un effet d’échelle: l’unité de mesure est le milliard de dollars, le million de chômeurs et le Méga octet. Elle peut être interprétée comme le triomphe de l’ambition libérale de la création d’un système autorégulé grâce à la rationalité et l’efficience du marché et dans lequel l’initiative individuelle est le véritable et unique pivot du progrès et de la richesse des nations.

C’est précisément l’interaction entre l’individu et le collectif, et donc le lien social, qui sont de plus en plus menacés par la marchandisation. Aliéné et réduit à son pouvoir de consommation, l’être humain voit son identité menacée de consomption. L’hypothèse du Congrès des 5 Continents est que cette idéologie marchande a des effets psychosociaux péjoratifs, qu’il convient de répertorier et d’évaluer en termes de santé mentale, dans ce champ qui inclut la psychiatrie sans se confiner à elle. Pour reprendre la différence des termes déjà évoquée, il conviendra de discriminer, à travers un programme riche et original, et des intervenants de tous les continents, ce qu’il faut penser des effets psychosociaux du village planétaire versus ceux de la globalisation dérégulée. Dans le premier cas, le risque est que l’information de tous sur tout génère une empathie abstraite, à défaut d’une solidarité active et efficace. Dans le second, le risque non négligeable est que « les mains invisibles du marché » donnent des effets qui peuvent « nous rendre fous », au sens ordinaire de ce terme : fou d’angoisse et d’incertitude quant à la fiabilité des liens sociaux, avec une fragilisation de l’assise symbolique des personnes et des cultures. Chacun sans appétence d’avenir ni d’échange.

Le Congrès de Lyon ne veut pas se situer du côté de la dénonciation, bien qu’il s’agisse de dire et de décrire les processus en cours, dans leur toxicité effective, si elle est observée ; avec les manières d’y répondre sur le plan clinique, mais pas uniquement, et avec le souci constant de respecter les différences de contextes, de cultures et de pratiques dans un monde où nous sommes liés et reliés. On comprend que ce congrès de santé mentale a aussi une ambition politique : il proposera des perspectives pour l’avenir, et, en fin de travaux, la « Déclaration de Lyon » entendra solliciter la conscience collective et celle des décideurs sur les effets psychosociaux de toute décision économique et politique. Il n’y a de fatalité dans l’aliénation et la marchandisation que par l’abdication du choix politique et le refus de l’engagement solidaire.

A l’idéologie hyperlibérale de l’atomisation de l’individu, soumis à une obligation d’autonomie progressivement invalidante en terme de lien social, il sera proposé d’y substituer, d’y retrouver une autre vision : celle où la précarité humaine, et le prendre soin qu’elle appelle, ont une place constituante dans notre commune humanité, qui respecte autant la nécessité de la liberté et de l’autonomie que celle de la solidarité. Sans quoi l’écologie du lien humain n’est plus viable, tout simplement.

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