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Modernité de la transmission aux internes en psychiatrie

Edouard LEAUNE - Interne DES en psychiatrie, hôpital du Vinatier, Bron. Représentant de l’AFFEP (Association Fédérative Française des Etudiants en Psychiatrie)

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SANTE MENTALE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°46-47 – Compétence en humanité précaire et passage de relais (Décembre 2012)

« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-le pour le posséder » Goethe

De tous temps, les internes en psychiatrie se sont interrogés sur la teneur et la qualité de la transmission de l’art psychiatrique qui leur était prodiguée, questionnement largement parcouru par les modifications survenues au sein de leur formation.

A ce titre, une enquête récente de l’Association Fédérative Française des Etudiants en Psychiatrie portant sur la question de la formation psychothérapeutique a montré que les internes souhaitent vivement être formés à la psychothérapie, mais qu’ils entendent avant tout ce terme au pluriel (« les psychothérapies ») et attendent ainsi de leur formation qu’elle soit profondément marquée par la diversité des approches, évoquant le refus de clivage et de hiérarchisation entre les courants théoriques actuels et préférant une vision éclectique leur offrant des « outils thérapeutiques » variés. Autre conclusion le sentiment exprimé d’appartenance de la psychiatrie à la médecine, au même titre que les autres spécialités, s’avère intéressant car inverse à celles d’études plus anciennes. Le dernier résultat pouvant paraître inquiétant est la perception consensuelle d’une insuffisance de la formation, notamment sur la question de la psychothérapie. Plusieurs conclusions, à priori fort différentes les unes des autres, ressortent donc et dont il convient de tenter de proposer un modèle explicatif intégratif en s’interrogeant sur ce qu’elles peuvent porter de commun et comment elles s’intègrent à une vision moderne de la discipline et de sa transmission.

Dans cette optique, un passage par le rapport de mission des docteurs Piel et Roelandt de 2001 introduisant le concept de « santé mentale », en tant que basculement de la psychiatrie vers ce champ nouveau du soin psychique semble nécessaire. Cette utopie, voulue comme révolution psychiatrique (terme utilisé dans le rapport), repose sur le principe d’accès inaliénable aux soins psychiques, associé à celui des 4 « dès » : désinstitutionalisation, désenclavement, destigmatisation et déspécification de la psychiatrie et de ses usagers. Suivant de quelques mois ce rapport, l’amendement Accoyer de 2003, régulant le droit d’accès au titre de psychothérapeute définissant « les psychothérapies » comme « des outils thérapeutiques » en a limité le droit d’accès à des professionnels bien identifiés. De nombreux auteurs ont ainsi évoqué une remédicalisation de la vulnérabilité et de la souffrance psychique, Alain Ehrenberg ayant utilisé le terme de « retournement hiérarchique », la maladie mentale n’étant selon lui devenue qu’un aspect minoritaire de la santé mentale, balayant au passage le concept d’altérité de la folie avancé par Foucault.

Force est de constater l’étonnant parallèle entre les modifications en cours du champ psychiatrique et la vision que s’en font les internes : diversité des approches, libéralisation et destigmatisation de la spécialité, utilisation d’outils thérapeutiques consensuels. Dans l’optique de réfléchir à la relation entre transmission et contexte, nul doute que la formation des internes en psychiatrie représente un excellent lieu de réflexion.

La transmission avance en effet la question de l’héritage, des générations et de fait des origines mêmes, ou comme le dit Hervé Bokobza, « qui dit savoir dit histoire et culture ». Du point de vue étymologique, on retiendra la signification de « trans- » en latin, évoquant la notion d’ « au-delà », pouvant être entendu comme un ailleurs, entre autre social ou politique, de la relation duelle d’apprentissage. Il serait alors illusoire de croire qu’il n’en est pas de même dans la transmission faite aux internes, de s’imaginer qu’ils pourraient être « désenclavés » du contexte dans lequel se fait leur enseignement.

L’idée n’est pas d’entamer un mouvement réactionnaire à l’égard de l’enseignement actuel ; il semble pourtant nécessaire d’interroger cette apparente interconnexion entre ce que les internes souhaitent se voir enseigner et l’évolution du soin, de questionner l’essence même de la transmission en pointant qu’elle est avant tout filiation, ancrage générationnel et contextuel.

Introduire la notion « d’interne en santé mentale » pourrait alors apparaître opportun, en ce qu’elle permettrait d’intriquer à la fois le sentiment de précarisation de la transmission et ses modalités nouvelles en les resituant dans la vision actuellement portée sur le soin psychiatrique et ses institutions.

Ce nouvel interne serait voué à devenir le défenseur d’une psychiatrie moderne, plurielle, éclectique et éclairée, le risque principal étant de se muer en un praticien du syncrétisme embrouillé et du consensus mou, un médecin oubliant sa spécificité au prix d’outils thérapeutiques épars et libéralisés dans lesquels il ne trouverait aucune identité, débat que nous ne trancherons pas ici.

Toujours est-il qu’il ne sera jamais désaffilié ni désenclavé d’un contexte paradigmatique précis qu’il lui faudra appréhender et analyser afin de trouver sa juste place au sein de cet « au-delà » qu’est l’histoire de la psychiatrie et de ses (re)pères, afin qu’il puisse réinterroger ce statut « d’interne en santé mentale », en faire une assimilation cohérente et réfléchie.

Sans doute est-ce dans la création d’un lien transgénérationnel plus appuyé et de la prise en compte d’une histoire complexe que réside la solution à ce sentiment de précarisation de la transmission, afin d’éviter l’écueil de la déréliction professionnelle en permettant l’émergence d’un sentiment d’appartenance et de filiation ainsi que la réappropriation d’un héritage. A ce titre, la proposition faite par certains internes d’une supervision par un ou plusieurs psychiatres séniors, bien identifiés et offrant un lien de proximité tout au long de l’internat, laissant la possibilité à d’autres rencontres professionnelles et à une pluralité des approches, pourrait s’avérer une piste à envisager avec sérieux.

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