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Thérapie communautaire intégrative au Brésil et ailleurs

Adalberto BARRETO - Psychiatre et Ethnologue, Professeur à la Faculté de Médecine de l’Université Fédérale du Ceará (Brésil), Créateur de la méthode « Thérapie Communautaire Intégrative »

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Anthropologie, Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°45 – La mondialisation pour une écologie du lien social (Octobre 2012)

Face au défi représenté par les effets délétères de la mondialisation, et les nombreuses personnes touchées par la précarité psychique, nous avons pen- dant ce congrès des cinq continents déjà entendu de nombreuses réponses et des expériences très enrichissantes. Je vais vous présenter maintenant notre expérience brésilienne, comment nous avons répondu à ces problèmes, quelles solutions, ou pistes nous avons trouvées.

Issu d’une famille modeste du Nordeste brésilien, imprégné de la culture du sertão des savoirs traditionnels magico-religieux, j’ai intégré une première forme de représentation du monde, de la maladie et de la souffrance. Plus tard j’ai eu la chance de faire des études de médecine à l’université, ce qui m’a donné d’autres outils pour appréhender la maladie, les souffrances et les soins. Je me suis rendu compte que ces deux modèles de représentation, apparemment différents, s’avéraient ségrégatifs excluaient l’autre et tout ce qui était différent.

J’ai eu la chance dans la période difficile de la dictature des colonels de venir faire des études en Europe. Tel un chercheur d’or, je pensais que l’Europe représentait une mine inépuisable de richesse intellectuelle, de savoirs et de compétences universitaires. J’ai donc fait ma spécialité de psychiatrie à Lyon où j’ai eu le plaisir de rencontrer mes amis Jean Furtos   et Jean Guyotat, et j’ai passé le doctorat d’ethnologie avec comme professeur François Laplantine. Enfin, j’ai suivi et validé des études de philosophie et théologie à Rome et d’Ethno- psychiatrie à Paris avec Georges Devereux.

Tout en continuant à creuser les mines d’or, à la recherche de pépites de plus en plus pures, je me suis rendu compte progressivement que ces mines cachaient des manques relationnels de chaleur et d’humanité dont l’expression était pourtant très courante dans ma culture nordestine(1). En rentrant au Brésil, bardé de médailles de savoirs européens, on m’a tout de suite proposé une chaire de professeur de santé communautaire et des consultations de psychiatrie à l’hôpital universitaire.

Dans ces temps de consultations, je recevais de plus en plus de personnes provenant de la favela, adressées par mon frère avocat du Centre des droits de l’homme. Elles souffraient d’exclusion, victimes de violences familiales, ou d’abandon. Face à cet afflux de gens présentant les mêmes difficultés existentielles, j’ai pris conscience que ma position et mes compétences touchaient leurs limites. Face à ces défis j’ai décidé d’aller sur place pour mieux comprendre la situation de ces consultants et leur contexte. J’avais surtout l’idée qu’au sein même de cette communauté, il y avait des ressources, des savoirs, et que mon rôle pouvait être de les aider à reconnaître ces capacités, les mutualiser et les mettre en commun.

Lors de la première rencontre, trente personnes m’attendaient dans la favela : j’ai proposé que ceux qui le voulaient prennent la parole pour évoquer la difficulté qui les perturbait. Parmi les situations-problèmes présentées, c’est celle de l’insomnie apportée par une mère célibataire de trois enfants qui a été retenue par le groupe. Plutôt que d’apporter ma « science », mon diagnostic, proposer mes médicaments, j’ai demandé si d’autres personnes avaient vécu une situation comparable et ce qu’elles avaient fait pour l’améliorer ou la résoudre. C’est alors qu’à travers les expériences vécues relatées par les personnes présentes, est apparu une grande variété de solutions et de façons de faire : tisanes, sports, prières, rire, promenades, médicaments…

A partir de là, une réflexion a été menée sur ce que les habitants de cette communauté pourraient faire collectivement pour lutter contre l’insécurité et la violence dans la favela.

Dès cette première séance, j’ai pu constater qu’ils avaient des problèmes mais qu’ils avaient également des solutions venant de leur culture et des apprentissages acquis à partir des difficultés vécues. Un des axes de notre intervention était de valoriser les compétences de chacun et du groupe. Si à cette première séance, il y avait une trentaine de personnes, de semaine en semaine, le nombre de participants n’a fait qu’augmenter. Les sujets de réflexion ont concerné l’alcool, la drogue, la violence dans la famille, l’éducation des enfants, les conflits dans le couple.

Mais chacun de ces thèmes était abordé, non comme une question intellectuelle mais comme une réflexion et un partage d’expériences à partir d’une situation émotionnellement vécue : par exemple, le thème n’était pas l’alcoolisme qui pourrait appeler à une question de cours, mais la souffrance et les difficultés exprimées par une mère comme : « tous les soirs j’ai peur pour mes enfants, quand mon mari rentre saoûl à la maison ».

La richesse des échanges nous a amené assez rapidement à enregistrer les séances afin d’améliorer, à partir de la pratique, cet outil d’intervention psychosocial et à mettre en place un travail de recherche sur les effets et les répercutions individuelles et collectives de ces séances de parole régulières. Ainsi, progressivement, les étudiants en médecine et en psychologie sont venus m’accompagner à ces séances dans la communauté déshéritée de la Favela de Fortaleza, nommée Quatro Varas.

Au fur et à mesure des séances, nous avons dû aménager le dispositif pour ne pas retomber dans le modèle d’aliénation sociale privilégiant le pouvoir et la parole de certains, ainsi que les relations verticales. Nous avons cherché à développer la reconnaissance de la richesse de chacun dans des relations horizontales. Il nous est apparu rapidement qu’il fallait protéger la parole de chacun et les échanges des tentatives de prise de pouvoir, des donneurs de leçon, du désir d’imposer ses idées ou d’aider l’autre. Un groupe de paroles ou une communauté sont bénéfiques quand la qualité des relations qui s’y instituent favorise la croissance de chacun.

Le premier écueil à prendre en compte était celui de ma participation. Comment me déprendre de l’aura et de ma position de spécialiste, détenteur du savoir universitaire ?

Venu au départ par devoir, pour rendre service et exercer  autrement  ma  profession,  je me suis rendu compte que je n’étais pas que partie offrante ; je trouvais un intérêt personnel plus qu’universitaire dans les résonnances que suscitait l’évocation des expériences des autres participants. Je venais pour moi et comme les autres, j’étais partie prenante de ce qui s’échangeait. J’ai découvert, à partir de ces séances, que la précarité était aussi en moi. Je venais prendre un bain d’humanité, de simplicité, qui soignait mon aliénation universitaire, et me permettait de retrouver « l’indien qui est en moi ». Ces prises de conscience ont facilité l’abandon de ma position hiérarchique et de savoir incompatible avec ces groupes de parole, privilégiant l’horizontalité des échanges, tels qu’ils nous paraissaient pertinents.

Comment créer des échanges de paroles sans domination ? C’est à cette question qu’ont répondu le déroule- ment des différentes phases de la thérapie com- munautaire et les règles qui ont été mises en place. C’est ce qui garantit que la communauté est libératrice et non un espace de domination, de massification de l’individu.

Ainsi des règles et un déroulement très précis ont été institués pour garantir la liberté de parole, le respect des différences et la mise en valeur des savoirs que chacun, quel qu’il soit, a tiré de ses expériences de vie. Ce qui nous intéresse c’est le vécu et les expériences de vie de chacun et non le statut social ou la spécialité de chacun.

Quelques éléments du contexte de notre action

Les transformations qui découlent des nouvelles technologies, de la globalisation et des guerres, obligent des populations entières à se déplacer. Ces phénomènes migratoires déclenchent une série de pertes. On perd le lien avec sa terre, avec sa communauté, sa famille et avec les valeurs de sa propre culture. Ces pertes privent le groupe des éléments fondamentaux qui nourrissent l’identité culturelle, et garantissent la cohésion de la communauté.

Dans ce nouveau groupe, ils n’ont plus à leur tête un gardien “un père,” un chef, qui veille à la sécurité de tous.

Alors émerge le sentiment d’être abandonné, d’être orphelin. Cela génère chez certains individus et dans certaines familles une situation de misère et d’exclusion sociale inenvisageable dans leur communauté d’origine.

Devant les fractures des liens sociaux qu’entraînent ces situations,  les  solutions  ne peuvent plus être l’œuvre d’une seule personne, qu’elle soit leader politique, religieux ou scientifique. En plaçant son espoir dans un “sauveur de l’humanité”, le peuple devient son otage et est victime de ses manipulations. Ceci dit, il ne s’agit pas d’éliminer le “spécialiste” car il a un rôle très important dans notre société. Il est un partenaire de plus.

Il s‘agit de “récupérer” le capital “socio culturel” du groupe, pour que celui-ci soit co-participant des décisions et des politiques sociales. Cela réclame de rompre avec le modèle qui concentre les informations et le pouvoir entre les mains d’une seule personne, pour passer à un modèle qui valorise les ressources du groupe et permet à l’information de circuler.

Ces contextes exigent la création de nouveaux paradigmes capables de promouvoir une action thérapeutique créative et effective, qui nous permet :

1.   D’appréhender l’homme et sa souffrance au sein d’un réseau relationnel.

2.   De voir, au-delà du symptôme, “celui qui regarde le doigt qui pointe une étoile ne verra jamais l’étoile.”

3.   De ne pas tant identifier la gravité de la pathologie que le potentiel de celui qui souffre.

4.   De faire que la prévention et la promotion de la santé soit une préoccupation constante et l’œuvre de tous.

La communauté agit là où la famille et les politiques sociales sont défaillantes. Nous affirmons que la solution est dans le “collectif” et ses interactions, dans le partage, dans les identifications à l’autre, dans le respect des différences. Nous privilégions le travail de groupe, pour qu’ensemble nous partagions problèmes et solutions. Le groupe fonctionne comme un “bouclier protecteur” pour les plus vulnérables. Il devient un moyen d’agrégation et d’insertion sociale.

La cible de l’intervention, c’est la souffrance, jamais la pathologie. Les thérapeutes doivent être partie prenante de cette construction. Communauté et thérapeutes en tirent bénéfice.  La communauté développe autonomie et insertion sociale et les thérapeutes se soignent autant de leur “autisme institutionnel et professionnel” que de leur “aliénation universitaire”.

Tout ce savoir-faire que nous avons très pro- gressivement mis en pratique représente fonda- mentalement un changement de paradigme, un changement de lunettes qui nous invite à :

• Aller au-delà de l’individu pour toucher le collectif, le public ;

• Voir au-delà des carences, déficiences pour s’appuyer sur les compétences acquises par l’expérience de vie, et faire surgir le potentiel de celui qui souffre ;

• Sortir d’un modèle qui engendre la dépendance, pour un modèle qui nourrit l’autonomie et la coresponsabilité ;

• Sortir de la verticalité des relations pour l’horizontalité ;

• Déconstruire une attitude de méfiance envers l’autre et croire davantage dans les capacités de l’autre ;

• Rompre avec l’isolement du savoir scientifique et du savoir traditionnel ;

• Passer de « la solution vient d ‘ailleurs » à « la solution se trouve dans la personne, la famille, la communauté » ;

• Rompre avec un modèle clientéliste et pro- mouvoir une conscience critique et citoyenne.

Le point de départ, une « situation problème »

Dans la thérapie communautaire, nous invitons les personnes à exprimer leurs émotions et sentiments sans risque d’être jugées, ce qui permet de défouler les tensions causées par le stress.

De quoi parler ? Des soucis du quotidien, de ce qui nous tracasse, nous empêche de dormir, de ce qui nous préoccupe au niveau de l’éducation des enfants, des relations familiales, du chômage, des violences subies à la maison, au travail ou dans la société. La thérapie communautaire n’est pas le lieu pour confier les grands secrets.

La “situation-problème” présentée par quelqu’un et choisie par le groupe, est un point de départ. C’est à partir de cette situation que les animateurs cherchent à favoriser la croissance de l’individu et des personnes de son environnement, pour acquérir un plus grand degré d’autonomie, de conscience et de coresponsabilité. La  question-clé qui déclenche la réflexion est : « Qui de vous a déjà vécu quelque chose de semblable et qu’avez-vous fait pour vous en sortir? » Il s’agit de mettre des mots sur les maux. Dans la thérapie communautaire, la parole est le remède, le baume apaisant, calmant, la boussole aussi bien pour celui qui parle que pour celui qui écoute. C’est dans le partage d’expériences de chacun que la douleur des personnes souffrantes est soulagée et que peuvent apparaître de nouvelles pistes pour surmonter les problèmes. Cela permet à la communauté de trouver en elle-même les solutions à des problèmes qu’isolément, la personne, la famille et les services publics n’ont pas été capables de trouver. Le groupe devient espace d’accueil et de soin où l’on veille attentivement au respect des lois suivantes : faire silence, ne pas donner de conseils, ne pas juger, ne pas faire d’interprétation ou de généralité, parler à la première personne, proposer des chansons, des poésies, des histoires, en rapport avec ce qui est dit.

Je vous présente brièvement et en résumé le dispositif que nous avons construit en 25 ans de pratique.

Les six étapes d’une séance de thérapie communautaire

Accueil : Fonction et sens

• “Chauffer” le groupe en vue du partage.

• Mettre les participants à l’aise.

• Garantir un dialogue respectueux.

• Structurer l’échange qui doit avoir lieu sans jugement.

• Rappeler les règles :

– silence

–  parler  en “JE”

–  pas de conseils

–  pas de jugements

–  pas d’interprétations

–  pas de discours

–  proposer chansons, proverbes, histoires, poésies…

Les règles : ont une fonction structurante pour le groupe car elles garantissent l’écoute respectueuse et protègent des manipulations idéologiques.

Le silence : est une règle d’or. Il permet l’écoute active. On s’écoute soi-même quand l’autre parle de lui.

Parler de soi à la première personne : cela permet à l’individu de prendre conscience de l’importance de son vécu et de sa singularité. Renforcer son identité personnelle et culturelle lui donne une plus grande capacité d’agir.

La célébration des anniversaires et des dates significatives : valorise les personnes et les évènements et favorise la formation des réseaux après la séance de TC.

Les musiques : ont pour fonction d’accueillir et de contenir les émotions qui émergent dans le groupe. Elles aident à sortir de la souffrance individuelle par le soutien collectif. Elles dédramatisent les situations et permettent, sous forme de métaphores, de nommer les émotions.

Choix du thème : Fonction et sens

Encourager à parler : il est important d’aider les personnes à parler, à s’exprimer en faisant appel aux proverbes issus de la culture des participants.

Pourquoi parler avec la bouche ? “Quand la bouche se tait les organes parlent, quand la bouche parle, les organes guérissent” ou mettre en “mots” nos “maux”. Nous allons parler avec la bouche pour ne pas exprimer notre mal-être à travers une maladie comme la dépression, la gastrite, des douleurs…

De quoi parler ? De ce qui nous empêche de dormir. Par exemple, “en tant que mère ou père, ce qui nous préoccupe au niveau de l’éducation de nos enfants, le manque de sécurité, la violence… “

La TC (thérapie communautaire) n’est pas le lieu où on livre les secrets.

Qui désire parler dit son prénom et sa souffrance en quelques mots.

• Le thérapeute doit noter les prénoms et faire une petite synthèse de chaque histoire présentée. Ex : “Laissez-moi voir si j’ai bien  compris  …  votre souffrance, c’est la peur d’être volé ?” Cela permet la recherche de la syntonie dans le groupe (d’être sur la même longueur d’onde) : le respect et la restitution fidèle de ce qui a été dit sont indispensables pour construire une signification commune qui facilite les identifications et structure le partage des expériences.

Dans la restitution, se concentrer sur l’émotion et non sur le problème.

Ex : Votre souffrance, c’est la peur de la rechute ? Votre souffrance, c’est votre impuissance à aider votre mère ?

Demander au groupe de bien prêter attention car il va devoir choisir l’un des thèmes énoncés. Quand tous ont parlé, le thérapeute doit restituer la synthèse au groupe et demander que des personnes disent chacune quel thème elles vont choisir parmi ceux présentés ce jour-là et pourquoi. Justifier son choix est un prétexte pédagogique important : on apprend à argumenter ses choix et options. Aujourd’hui pourquoi choisir telle problématique et demain pourquoi choisir tel ou tel homme politique ?

Puis on passe au vote. Pouvoir voter est un – exercice démocratique – apprendre à se positionner, à défendre son point de vue et devenir “sujet” de son histoire personnelle. En réalité, à travers le choix de tel thème, c’est ma souffrance que j’accueille. “Je ne reconnais en l’autre que ce que je connais chez moi.”

Le thérapeute s’adresse aux personnes dont le thème n’a pas été choisi, demande leur compréhension et se met à leur disposition à la fin de la séance de TC, pour proposer une orientation ou définir un type d’accompagnement approprié.

Contextualisation : Fonction et sens

“Un phénomène devient incompréhensible quand le champ d’observation n’est pas suffisamment vaste pour qu’en lui soit inclus le  contexte.”  (P. Watzlawick)

• On demande à la personne dont le thème a été choisi de parler de son souci, d’apporter plus d’éléments.

• Rappeler que tous les participants peuvent poser des questions et que la personne dont le thème a été choisi a le droit de ne pas répondre.

•   A la fin, remercier la personne  qui  a apporté la situation-problème lui dire qu’à partir de maintenant elle reste en silence et écoute les témoignages des participants.

•  Pendant que la personne parle, noter les mots- clés qui serviront à formuler la question-clé pour la prochaine étape de la thérapie communautaire.

Quels types de questions poser ?

• Des questions qui favorisent la réflexion sur soi et sur ses liens familiaux, professionnels, sociaux. Eviter les questions investigatrices (qui cherchent trop “ la petite bête ”).

• Des questions qui ont trait au processus et non aux résultats. Exemples :

– Qu’est-ce qui fut le plus douloureux dans cette perte ?

– Qu’avez-vous fait pour la surmonter ?

– Quelles valeurs et croyances vous ont aidé ?

– Qu’est-ce que la mort n’a pas détruit de la personne qui vous a quitté ?

Des questions qui facilitent la compréhension du problème, qui éclairent ses relations et la vision que la personne a d’elle-même et qui permettent « d’ouvrir des portes » pour le futur. Dépasser les préjugés, re-signifier, redonner sens au vécu, sor- tir du conseil, de la faute, pour parvenir à la coresponsabilité. Rendre possible la prise de conscience de sa responsabilité dans toute relation.

Problématisation (partage d’expériences de vie) – Fonction et sens

La situation apportée par le protagoniste fait émerger des situations semblables déjà vécues et les stratégies respectives par lesquelles la difficulté a été surmontée. Poser la question clef : “qui a déjà vécu une situation semblable et qu’est- ce que vous avez fait pour vous en sortir ?”, permet de :

• rendre visible une souffrance cachée

• re-signifier la profondeur de sa douleur, de sa souffrance en découvrant que ces dernières sont celles de beaucoup.

• sortir du sentiment de solitude et faire croître le répertoire des différentes possibilités d’insertion.

• mettre en évidence et légitimer les ressources socioculturelles disponibles dans le réseau.

• respecter les différences qui s’expriment dans les multiples codes d’expression et faire surgir des solutions et des stratégies novatrices.

• apprendre à penser ensemble et établir un espace de construction collective sous une forme participative et démocratique.

• renforcer le réseau des identifications qui va entrer en scène après la séance de TC.

• renforcer la vie et fortifier les initiatives d’humanisation déjà présentes.

La TC est régie par l’éthique des relations au service des valeurs de la vie, de l’égalité, de la justice et de la citoyenneté.

Clôture : Fonction et sens

C’est un moment spécial où se révèlent l’étendue, la profondeur des apports des expériences vécues. C’est ce qui va faciliter le renouvellement et le changement en soi et chez les autres.

Objectifs : les rituels d’agrégation sont un moment de synthèse humanisant où les participants se tournent les uns vers les autres, pour exprimer leur gratitude et leur admiration face au courage et aux qualités qui ont émergés à travers les paroles entendues et pour partager ce qu’ils ont appris au cours de la séance de TC. Faire la ronde : le fait de s’appuyer les uns sur les autres, dans un climat d’affectivité et d’intimité, renforce le sentiment d’union et de soutien mutuel dans un même mouvement de recherche d’équilibre harmonieux.

Les paroles d’identification, dites auparavant, s’expriment maintenant dans une attitude corporelle de soutien et de construction d’un réseau  humanisant.

Connoter positivement les interventions de tous : le thérapeute communautaire reconnaît, valorise et remercie pour l’effort, le courage, la détermination et la sensibilité de la personne dont le thème a été choisi et des participants qui ont présenté leurs difficultés. C’est une manière de réfléchir à la portée transformatrice des échanges.

Demander que les participants expriment aussi ce qu’ils ont appris en écoutant l’histoire de cette personne ou qu’ils disent ce qui les a le plus touchés dans tous les témoignages entendus. Les   personnes   présentes   sont   invitées  à témoigner de ce qu’elles ont vécu à partir des questions comme : « Qu’est ce que je retiens de ces échanges, avec quoi je repars ? ».

La Thérapie Communautaire étant terminée, c’est alors que commence la construction du réseau de soutien social.

Quelques réflexions pour terminer

Quels changements et quelles différences les séances de thérapie communautaire ont amené pour chacun et pour la communauté ?

Pour l’individu : une réconciliation avec sa parole, une élévation de l’estime de soi en se rendant compte que sa propre expérience et les acquis de son existence peuvent être intéressants et utiles aux autres, le sentiment d’appartenance à un groupe, la constitution de liens, un soutien social et une reconnaissance de son existence et sa valeur. Pour la communauté : on a pu constater la construction de réseaux solidaires et relever dans les recherches effectuées, des effets non négligeables sur les déterminants sociaux de la santé.

Pour les professionnels : humanisation des relations, valorisation des compétences person- nelles et valorisation des ressources culturelles, conscience des ses limites, plus grande flexibilité et disponibilité pour le travail d’équipe.

Il est évident que la santé est la synthèse d’une multitude de processus et le produit de l’interaction des différents déterminants sociaux. Cette compréhension nous ouvre des horizons. Elle fait de la santé un territoire public, pluriel, un processus dynamique où nous sommes tous appelés à intervenir préventivement dans un ensemble de facteurs, dans une dialectique mobilisatrice des acteurs sociaux et des différents savoirs. Tous les acteurs sociaux sont appelés à intervenir à différents niveaux où chaque personne devient protagoniste de sa santé et acteur dans le groupe.

Cette compréhension clarifie notre intervention et nous empêche de vouloir :

• Médicaliser les problèmes sociaux,

• Socialiser les problèmes médicaux,

• Donner des réponses individuelles à des problèmes collectifs,

• Agir comme des sauveurs de l’humanité,

• Tout attendre des décisions gouvernementales.

Il est nécessaire de trouver des solutions participatives en intégrant des savoirs et en renforçant des réseaux solidaires. La TCI a représenté dans notre expérience une grande force venant de la diversité de la culture.

La thérapie communautaire n’est pas une expérience unique, exotique et brésilienne. D’autres acteurs engagés dans le champ sanitaire ou social ont perçu les limites de leur action et ont mis en place des outils reposant sur les mêmes valeurs que la thérapie communautaire intégrative et intégrant ces séances dans des associations d’entre-aide. Je citerai pour mémoire mon ami Jean–Pierre Boyer à l’hôpital Saint Egrève à Grenoble, en Suisse, Ricardo Rodari, dans l’école de hautes études sociales (HETS), Nicole Hugon à Marseille et beaucoup d’autres collègues à Lyon, à Romans, à Strasbourg, qui ont fait le constat qu’il ne suffisait pas de savoir traiter les maladies mentales ou avoir des outils sociaux pour lutter contre la précarité, mais qu’il fallait inventer d’autres formes d’action complémentaires pour favoriser la resocialisation, lutter contre l’isolement et l’exclusion en s’appuyant sur les ressources des personnes dites en précarité. De plus, les multiples études d’évaluation de l’impact de la TC sur les personnes et les groupes montrent une élévation de l’estime de soi, l’apport d’un soutien social, d’une reconnaissance, avec constitution de réseau relationnel, et sentiment d’appartenance à un groupe. C’est la raison pour laquelle la TC se développe non seulement au Brésil (30 000 personnes formées, 46 centres de formation), mais aussi en France où des formations sont organisées (IFTS) ainsi qu’en Suisse (HETS), en Allemagne, en Afrique et en Amérique latine.

La TCI n’est pas une panacée mais une pratique s’appuyant sur des valeurs. D’autres formes sont à développer, à faire connaître ou à inventer, notamment dans le domaine artistique ou créatif. Comme le rappelle la fable qui existe dans toutes les cultures : “ après avoir beaucoup voyagé à la recherche du trésor, c’est en revenant chez soi et en soi qu’on finit par le trouver ”. Comme cela fut mon cas, je pense qu’il est nécessaire d’y penser pour les victimes des crises de la mondialisation.

Qu’est-ce que nous avons appris de cette expérience et quelles sont les perspectives qui se dessinent?

1  – L’homme ne peut se développer que dans des relations qui le lient à l’autre.

2    – Toute approche de la précarité doit prendre en considération les ressources personnelles et celles qui existent autour de lui. La mine d’or est à l’intérieur de chacun.

3   – La précarité et la richesse sont partout. Elles sont des composantes de tout être humain et de tout groupe humain. La richesse n’appartient pas seulement aux riches mais aussi à la base ; l’académie n’a pas l’hégémonie de la production de la connaissance (modèle sauveur de l’humanité….).

4 – La diversification des ressources personnelles culturelles doit être développée.

5  – Il faut investir plus dans les liens qui intègrent que dans les lieux qui excluent et stigmatisent.

6   – Ce que les institutions ne peuvent apporter, c’est la solidarité, l’affection, l’idée de liberté de parole et de reconnaissance.

7  – Il faut passer d’un modèle vertical à un modèle horizontal.

8  – Il faut sortir d‘un modèle qui génère la dépendance pour aller vers un modèle qui promeut l’autonomie.

Cela exige :

1.  De mettre en question nos certitudes, car toute certitude est une prison.

2.  Faire une rupture épistémologique ; valoriser une alternative non concurrentielle mais complémentaire et équilibratrice au savoir universitaire.

3.  De rompre tant avec l’isolement du « savoir scientifique » qu’avec celui du « savoir populaire » et respecter ces deux formes de savoir.

4.  D’œuvrer dans une perspective de complémentarité sans rompre avec la tradition et sans nier les apports de la science moderne.

5.  De mettre en pratique une « écologie de l’esprit » et de respecter les diversités culturelles et leurs systèmes de représentation.

6.  De reconnaître la valeur du partage (écoute active). Nous sommes partie donnante mais aussi partie prenante.

7. De redécouvrir la notion de communauté et d’appartenance à un groupe pluriel, où sont respectées et valorisées les différences.

Notes de bas de page

1 Au Nord Est du Brésil (note de la rédaction)

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