« Avoir un toit c’est essentiel, avoir une adresse postale l’est tout autant ».
Pour déposer une demande d’asile, pour obtenir l’Aide Médicale de l’État (AME), pour ouvrir un compte en banque, renouveler ses papiers, la domiciliation est le sésame de l’accès aux droits. L’objet de la domiciliation est d’offrir aux bénéficiaires une adresse qui leur permettra d’engager les démarches vers les droits. La loi DALO du 5 mars 2007 visait à clarifier les règles de la domiciliation administrative en proposant un dispositif unique placé sous le pilotage des préfets de département. Cependant, les articles L264-1 et suivants du Code de l’Action Sociale et des Familles, codifiant cette loi, ont exclu du cadre « généraliste » les démarches de domiciliation liées à la demande d’asile. La prise en charge des domiciliations pour la demande d’asile est organisée dans le cadre de dispositifs « spécifiques». Assurée en majorité par des associations agréées par la préfecture qui disposent de compétences adaptées, la domiciliation des demandeurs d’asile représente une activité à part entière.
À Digne-les-Bains, l’association Adoma assurait jusqu’alors la domiciliation et l’accompagnement des demandeurs d’asile dans le cadre d’une convention avec les services de l’État. Cette mission était financée grâce à une dotation globale de fonctionnement allouée par l’État. La prise en charge de la domiciliation des demandeurs d’asile par cette association spécialisée offrait aux primo-arrivants un accueil et un accompagnement de qualité pour l’ensemble des démarches d’accès aux droits. Par ailleurs, cet interlocuteur privilégié assurait aux travailleurs sanitaires et sociaux locaux une interface pour prendre en charge les situations complexes. Ce service de domiciliation, d’accueil et d’accompagnement donnait aux primo-arrivants les outils nécessaires pour initier l’ensemble des démarches prévues dans le cadre de la demande d’asile et réduisait de fait considérablement la précarité de ces personnes.
Récemment, suite à la baisse récurrente de ses crédits de fonctionnement, l’association Adoma a cessé ses activités de domiciliation, d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile. Cette rupture brutale a replacé la question de l’accès aux droits des étrangers au coeur du débat local.
En effet, la loi prévoit qu’en l’absence d’association agréée sur le territoire, les Centres Communaux d’Actions Sociales (CCAS) peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, organiser la domiciliation dans le cadre de la demande d’asile.
Jusqu’alors le CCAS de Digne-les-Bains assurait exclusivement les domiciliations du cadre « généraliste ». Depuis l’arrêt du service par Adoma, les demandeurs d’asile se sont tournés vers le CCAS pour demander la domiciliation mais également l’accueil et l’accompagnement jusqu’alors assurés par Adoma.
Les élus locaux ont donc été amenés à se positionner sur le caractère exceptionnel de la situation locale et à examiner la possibilité de développer ce service au sein du CCAS. Considérant que la cessation du service par l’association Adoma était liée à des contraintes budgétaires imposées par l’État et que le CCAS de Digneles- Bains n’avait ni la compétence ni l’organisation adaptée pour assurer ce service, les élus n’ont pas souhaité se substituer au service jusqu’alors assuré par Adoma. Ils ont cependant interpellé le Préfet pour que soient envisagées des réponses adaptées (à minima pour couvrir le besoin de domiciliation).
Près de deux mois après la cessation de la domiciliation par Adoma aucune réponse n’a été organisée par les services de l’État, en charge de cette organisation.
Le public en demande d’asile se retrouve donc sans adresse administrative, baladé d’un service à l’autre, sans qu’aucune réponse ne soit donnée à sa demande de domiciliation. Les structures de domiciliation les plus proches sont situées à plus de 150 kilomètres de Digne-les-Bains, elles sont pour la plupart saturées de demandes et ne peuvent donc assurer la domiciliation des demandeurs d’asile d’autres territoires.
Dans ce contexte, la problématique des demandeurs d’asile commence par la question de la domiciliation et se poursuit par l’impossibilité à faire valoir ses droits. Déjà fragilisés par l’exil, par les conditions d’hébergement, par la barrière de la culture ou de la langue, par l’isolement, l’absence d’adresse postale empêche les exilés d’accéder aux procédures de demande d’asile, elle entrave gravement leur accès aux soins en limitant leur accès à une couverture sociale, elle diffère leur accès éventuel aux allocations spécifiques, au droit au travail… Elle place les demandeurs d’asile dans une situation paradoxale : tandis que les textes relatifs au droit d’asile prévoient l’accueil et la possibilité de demander l’asile, le prérequis de la domiciliation administrative indispensable pour initier ce parcours n’est pas organisé.
Outre le paradoxe opposé aux demandeurs d’asile, cette illustration témoigne du dilemme dans lequel se trouvent les organismes domiciliataires en question, Adoma ou le CCAS : faute de moyens dédiés à l’organisation de la domiciliation des demandeurs d’asile, les services ne peuvent plus être rendus, impactant directement des populations qui ne peuvent faire valoir leurs droits. Alors que l’accompagnement vers l’accès aux droits est au cœur de nos missions, nous, travailleurs sociaux, sommes pris en otage d’une organisation qui nous empêche de faire notre travail et nous indigne !
Face à l’urgence des situations des demandeurs d’asile présents sur notre territoire, à leur colère ou leur désarroi, face à cette brèche qui s’est ouverte dans l’accès aux droits de ces populations ; considérant les besoins des personnes avant l’organisation administrative ; le partenariat local assure, dans l’attente d’une coordination des services de domiciliation des demandeurs d’asile par la préfecture, la continuité d’un service indispensable. Adoma et le CCAS travaillent de concert pour permettre aux personnes de poursuivre leurs démarches d’accès aux droits… avec les moyens disponibles !
Au-delà de cet exemple local, il apparaît, qu’en fonction des territoires, l’accès à la domiciliation des demandeurs d’asile dépend d’une organisation départementale laissée à l’appréciation des préfets et soumise aux aléas des volontés politiques territoriales et de l’engagement du secteur associatif.