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Le « migrant précaire » PASSe à l’hôpital psychiatrique

Nicolas CHAMBON - sociologue Orspere-Samdarra CH Le Vinatier Centre Max Weber Lyon 2
Gwen LE GOFF - coordinatrice Réseau Samdarra CH Le Vinatier
Pierre COCHET - étudiant en sociologie Université Lyon 2

Année de publication : 2013

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sociologie, PUBLIC MIGRANT

Télécharger l'article en PDFRhizome n°48 – Le migrant précaire entre bordures sociales et frontières mentales (Juillet 2013)

Le 1er janvier 2010, une Permanence d’accès aux soins de santé (Pass) a été créée au Centre Hospitalier Le Vinatier, une structure bien identifiée des migrants précaires qui fréquentent la structure. Elle est même considérée comme un « phare dans la tempête » dans leurs parcours selon les mots d’un médecin.

Les étrangers représentent la quasi totalité de la file active1 du dispositif qui s’adresse aux précaires afin de « faciliter l’accès au système de santé des personnes en situation de précarité, et à les accompagner dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits2 ». Au sein du Réseau Samdarra3 nous menons actuellement une enquête grâce à un financement du Conseil Scientifique de la Recherche de l’hôpital. L’étude, dans une dynamique de recherche opérante, vise à comprendre les problèmes du dispositif et à engager une perspective de résolution de ces problèmes. Ici nous souhaitons simplement documenter l’activité de la Pass.

Les patients qui viennent à la Pass du Centre Hospitalier Le Vinatier sont quasi exclusivement des migrants et ce, depuis son ouverture. Il est difficile de préciser les statuts administratifs du public, mais il apparaît qu’une grande majorité est en demande d’asile ou de titres de séjour. Ce que le public a de commun, c’est la situation de vulnérabilité. Les usagers sont confrontés à l’extrême précarité. On constate, selon les statistiques du service pour l’année 2012, que pour 550 patients dont la situation vis-à-vis du logement est connue, 34% sont « sans domicile », et 28,5% sont en « hébergement provisoire ». La structure, qui a pour mission4 de « permettre un accès aux soins effectif à l’ensemble de la population » devient de fait un dispositif de soins pour les migrants précaires.

Ici le dispositif est caractérisé par le bas seuil d’exigence pour y accéder. Il n’y a pas de conditions pour être reçu, il suffit de connaître l’endroit. La plupart du temps les usagers sont orientés par des partenaires. La Pass a une activité à la croisée du médical et du social, et les professionnels qui reçoivent les patients sont une assistante sociale, des médecins, des infirmières, des psychiatres et une psychologue. Mais même pour l’assistante sociale, qui reçoit seule en première intention, c’est la santé qui est en première ligne : elle s’occupe de « patients ». Elle établit un premier bilan de la situation du patient en fonction de sa santé, de sa situation sociale et des démarches administratives en cours, en particulier concernant la couverture médicale universelle (CMU) ou l’aide médicale de l’État (AME). C’est elle qui oriente ensuite les patients selon leurs besoins. De ce fait, elle est inévitablement amenée à poser une forme de diagnostic qui va au-delà de la situation sociale, et qui déborde largement sur le médical.

Du côté médical, les professionnels sont confrontés à la difficulté de réorienter. Alors qu’une des missions de départ est de pouvoir réorienter vers le droit commun, il y a une impossibilité aujourd’hui à pouvoir le faire, faute de trouver des partenaires qui acceptent ce public. De fait, les professionnels soignants sont amenés à soigner – ce qui apparaît aujourd’hui coûteux pour l’hôpital – occasionnant aussi des problèmes aux professionnels. Une psychiatre de la Pass nous confie « c’est le problème d’orientation de ces patients (…) On est avec des patients pour des avis, ces patients nécessitent une prise en charge psychiatrique, un suivi, des traitements, et on ne peut les orienter la plupart des cas vers aucun dispositif de soin, faute d’absence de domicile, faut d’absence de […] maniement de la langue française. Voilà, on nous [les] refuse…».

Il apparaît aussi que ce public demande beaucoup de temps – les pathologies ne correspondent pas forcément à des catégories nosographiques identifiées – sollicite le soignant – par exemple pour des demandes de certificats médicaux – et demande des moyens (un interprète par exemple). Aujourd’hui c’est même aux urgences, à l’Unité Médicale d’Accueil, que ce public est vu, par manque de temps de psychiatre sur la Pass.

Nous travaillons actuellement à explorer deux questions qui se posent au dispositif. Quel est son rôle au sein de l’hôpital public ? Nous prenons le parti de dire que la Pass est un dispositif et donc le lieu de l’adaptation de l’institution5, plus conciliant, localisé, à échelle plus réduite, plus proche des usagers. Ce qui s’expérimente dans ce lieu rend compte aussi de problématiques qui traversent aujourd’hui l’institution dans sa globalité. Doit-on accueillir ? Orienter ? Soigner ? Ainsi ce sont trois modèles qui se raccrochent à différentes politiques institutionnelles, et qui appréhendent le sujet de manière singulière. Accueillir le tout venant ? Orienter vers le droit commun les usagers de la Pass ? Où soigner les précaires ? Il nous apparaît important de clarifier ce point, au risque d’être dans une situation où les professionnels se retrouvent en concurrence, alors que les temps d’équipe sont aussi réduits.

L’autre question qui se pose porte sur les manières de soigner. Comment mettre en pratique la clinique psychosociale ? Comment évaluer la souffrance, repérer les pathologies de ce public et apporter une réponse ? Autant de pistes que nous continuerons d’explorer dans cette enquête en cours. Aujourd’hui il existe des écarts entre ce que font les professionnels et leurs prérogatives, entre ce que viennent chercher les usagers et ce qu’on peut leur offrir, et enfin entre les attentes des institutions et la réalité de l’activité du dispositif.

Notes de bas de page

1 Et même la totalité selon deux professionnels interrogés sur une file active d’environ 800 patients par an depuis 2010

2 Comme le définit la loi d’orientation n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions

3 Un sociologue, la chargée de mission du Réseau, un étudiant en sociologie

4 Issue de la circulaire du 17 Décembre 1998

5 Ion Jacques, Ravon Betrand, « Institutions et dispositifs » in Le travail social en débat(s), La découverte, 2005, p.71- 85. Et donc prendre le contre pieds de la thèse de Dubet sur le déclin de l’institution.

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