Introduction
C’est d’une Europe des Nations en plein agitation (révolutions de juillet 1830 en France
et de 1848 en France et en Allemagne) que sont nés le concept de psychose en Allemagne et les
premières lois sur l’immigration en France. En effet, en réaction à l’empirisme des Lumières, le
médecin viennois Ernst von Feuchtersleben (Nicolas Dewez, 2009) désigne l’aliénation mentale
par le terme de psychose (du grec psyché, âme et –ose, anomalie) dès 1845. Dans le même temps, et devant l’afflux de nationalistes polonais exilés (Blanc–Chaléard Marie–Claude, 2001), la loi du 3 décembre 1849 encadre les premières procédures d’expulsion des étrangers représentant un danger pour l’ordre public, et prélude ainsi des futurs va–et–vient entre une tradition d’accueil et une politique migratoire de plus en plus sélective.
Alors que le terme de psychose se développe en contre–pied des névroses, tantôt comme
sous–catégorie, tantôt comme synonyme de maladie mentale, la psychiatrie fait ses premiers pas en tant que discipline médicale.
A partir de 1914, la psychiatrie, comme les politiques migratoires, connaissent de
profonds bouleversements, car comme l’explique Marie–Claude Blanc–Chaléard, « la Grande
Guerre est une guerre des nations et tout natif d’une contrée ennemie est un adversaire à
neutraliser. » Une chasse aux étrangers s’installe donc, en même temps que la remise en
question de l’idéal patriotique lorsque les soldats reviennent du front traumatisés par les combats. « Car ce sont avant tout les qualités morales prêtées aux traumatisés, leur supposé sens civique ou patriotique, leur faiblesse de personnalité et le soupçon pesant sur leur condition médicale qui déterminent les pratiques sociales et médicales qui se mettent en place durant les années de guerre » (Didier Fassin et Richard Rechtman, 2007). Parallèlement aux soupçons qui pèsent sur ces soldats simulateurs, ces « déserteurs psychiques» (Ibid.), la surveillance s’installe aussi envers les étrangers qui ont vocation à offrir leur force de travail à la France ou à rentrer chez eux. Alors que les médecins traitent les névroses de guerre avec des décharges électriques à forte intensité, on invente la carte de séjour (décret du 2 avril 1917) afin de mieux contrôler les travailleurs immigrés. Les colonies sont alors sollicitées pour offrir de la chair à canon et une main d’œuvre peu exigeante, que l’Etat se gardera bien d’intégrer, de peur d’en perdre le contrôle. « Lorsque des troubles sont constatés chez ces soldats venus des colonies, ils sont interprétés comme des manifestations psychotiques (éliminant de ce fait tout lien causal possible entre l’événement et les symptômes) et les patients sont renvoyés dans leur pays, ce qui élude la question des indemnisations » (Ibid.) Les colonies sont considérées comme autant de réservoirs d’hommes, ce qui pose les premiers jalons de l’immigration choisie. Parallèlement, le terme de schizophrénie, découverte par Bleuler en 1911, prend le pas sur la psychose et rencontre un véritable succès, malgré des désaccords et contradictions sur ses limites.