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De l’excès de pouvoir à la mutualité

Jean FURTOS - Psychiatre des hôpitaux honoraires, Lyon, Directeur honoraire de l’Orspere-Samdarra

Année de publication : 2015

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°58 – La participation des usagers en santé mentale (Novembre 2015)

Rhizome : En tant que psychiatre, que vous évoque la thématique de la participation des usagers en santé mentale ?

Dr Jean Furtos : En préalable, je souhaiterais apporter deux précisions. La première reprend un de vos a parte de tout à l’heure : que peut avoir à dire sur la question un psychiatre qui a décrit l’auto exclusion des gens de la rue (et de bien d’autres) : tout au plus ces gens participeraient à leur propre exclusion ! Je rappelle que ce syndrome n’est pas une maladie mais un processus paradoxal de survie ordinaire dont le but est de rester vivant ; il doit être connu dans ses effets psychosociaux pour un accompagnement efficace qui permette que le sujet soit respecté pour de vrai (et pas idéologiquement) dans sa personne et ses potentialités.

La seconde précision est corrélée à la première : je ne rencontre pas d’usagers dans ma pratique, pas plus que des « maladies » telles que celles décrites dans les livres. Je rencontre des personnes, souvent qualifiées de patients dans le cadre d’interventions. Il m’arrive de rencontrer des usagers qui se présentent comme tels lorsqu’ils sont membres d’associations ayant comme objectif de les représenter. Le combat des usagers pour leur reconnaissance vient d’un processus de pouvoir excessif des soignants dès lors que ces derniers pensent qu’eux seuls savent et décident pour ceux qu’ils sont censés aider, soigner. L’antidote normal à cet excès de pouvoir ne l’ayant pas tempéré, il a bien fallu une forme de révolte qui s’est manifestée par et dans les associations d’usagers.

Le combat des usagers pour leur reconnaissance vient d’un processus de pouvoir excessif des soignants dès lors que ces derniers pensent qu’eux seuls savent et décident pour ceux qu’ils sont censés aider, soigner. L’antidote normal à cet excès de pouvoir ne l’ayant pas tempéré, il a bien fallu une forme de révolte qui s’est manifestée par et dans les associations d’usagers.

Rhizome : Pourriez-vous préciser quel est selon vous cet antidote ?

J.-F. : Selon moi, la participation des usagers est un appel à ce que soit mis en acte dans les pratiques aidantes et thérapeutiques ce que j’appelle l’éthique de la rencontre en vulnérabilité partagée. La rencontre aidante est certes asymétrique : il y a le professionnel et la personne en demande directe ou indirecte d’aide, de soin, et c’est cette asymétrie qui permet un travail pour le bien. Si l’aidant n’avait pas un pouvoir effectif pour soigner, accompagner, aider, à quoi servirait-il, pourquoi le paierait-on ? Mais l’exercice de ce pouvoir, de cette compétence, doit être tempéré au sein d’une rencontre en vulnérabilité partagée qui permet à tous les protagonistes d’exister en égale dignité et de participer. Sinon, c’est la lutte justifiée pour la reconnaissance des droits de l’usager.

Rhizome : Qu’entendez-vous au juste par la vulnérabilité des professionnels ? Comment mutualiser deux types d’expériences différentes, celle du malade et celle du soignant ?

J.-F. : Je définis la vulnérabilité comme la capacité d’un individu à être blessé par la vie, par les traumatismes et par autrui. La vulnérabilité, c’est savoir pour de vrai que nous sommes tous des êtres blessables par perversité, manque d’amour, de reconnaissance, par abandon, par rejet, par peur de ne pas être aimé, par notre fragilité devant la maladie, par notre propre mortalité, par tous les traumatismes. Il s’y associe la mutualité de la bonne précarité : face à cette fragilité, nous avons tous besoin d’autrui pour vivre, quels que soit notre statut et notre position. Un médecin, un soignant, un travailleur social qui se sait vulnérable et précaire écoutera avec intérêt, respect et humilité ce que lui dit le sujet aidé, il n’aura pas l’arrogance du déni de la compétence ni du savoir de l’autre ; si bien que la question de la participation ne se poserait pas dans un monde régi par cette mutualité interhumaine qui accepte cependant l’asymétrie fonctionnelle de position. Mais nous ne sommes pas dans ce monde idéal, pas tout le temps en tout cas, d’où l’émergence des associations d’usagers.

Il est vrai qu’en tant que soignant, il est vital d’écouter l’expérience, les feed-back et les critiques des usagers. Les professionnels du soin qui sont en position haute sur le plan de la proposition d’action, doivent être en mutualité de vulnérabilité et de précarité d’un point de vue interhumain sans laquelle il n’y a pas de relation équitable. C’est ce que je tente de faire pour aider les gens à rester humain et pour que moi aussi je reste dans la commune humanité. La mutualité de la précarité est le secret de la relation d’aide, à charge pour les associations d’usagers de la reconnaître eux aussi. Il est non moins vrai que les patients, les usagers, ont le droit de se retrouver entre soi, comme les médecins le font, par exemple, pour partager leur expérience et leur savoir.

Rhizome : Est-il arrivé qu’un mouvement mené par des usagers vous ait conduit à changer votre pratique ?

J.-F. : Oui, tout à fait. J’ai changé dans un créneau de ma pratique après avoir découvert le Mouvement international sur l’entente de voix, Intervoice1. Dans certains pays nordiques et anglo-saxons, des appels à témoignage ont été transmis par radio en demandant aux auditeurs qui entendaient des voix de se manifester. Au total, dans certaines régions, 7 % de la population – de mémoire – a répondu positivement, tout en sachant qu’une petite partie seulement des personnes pouvait être étiquetée schizophrènes, et que peu d’entre elles avaient déjà consulté pour des soins en psychiatrie. Il y a des explications dans l’histoire de l’homme que je ne reprendrai pas ici2. Ces constats m’ont véritablement amené à changer ma pratique. Maintenant, quand une personne me parle de ses voix, je lui réponds : « Vous savez, 7 % de la population entend des voix et la majorité n’est pas soignée. Il semble que vous faites partie de ces 7 % ». Les personnes se sentent rassurées dans leur appartenance à la commune humanité. La question véritable est de chercher à comprendre les effets de ces voix sur la vie des personnes et de leur entourage : sont-elles une gêne faible, moyenne, considérable ? Comment faire pour les apprivoiser ? Comment leur répondre ? Peut-on les faire partir ? J’ai fondamentalement compris qu’entendre des voix fait partie d’un dialogue interne que l’on vit à l’extérieur de soi. Je travaille donc différemment grâce à ce qui a été découvert par Intervoice en termes de connaissance et de pratique. J’ai des patients qui ne troqueraient pas leurs voix contre autre chose, leurs voix font parties d’eux-mêmes et s’ils les perdaient ils en seraient déprimés. On voit que les associations d’usagers, les chercheurs, les cliniciens contribuent à la santé mentale dans une mutualité de connaissance.

Notes de bas de page

1 Nous vous invitons à aller sur le site du mouvement international sur l’entente de voix, Intervoice : http://www.intervoiceonline.org/ et du Réseau français sur l’entente de voix (REV) : http://www.revfrance.org/.

2 Jaynes, J. (1976). The origin of consciousness in the breakdown of the bicameral mind. Mariner Books.

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