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Vivre avec notre maladie

Dominique LAURENT - Présidente de l’Association Destination Avenir

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°10 – La psychiatrie publique en questions – 3ème volet : Au milieu du gué (Décembre 2002)

Les patients de la psychiatrie se groupent de plus en plus en associations. Ils unissent leurs compétences, leurs talents souvent insoupçonnés.

Je vais vous parler d’une association d’usagers de la psychiatrie dont les pratiques pourraient servir de réflexion sur une psychiatrie à venir, c’est à dire un relais fait par des malades stabilisés recevant, échangeant, partageant leurs souffrances, leurs difficultés, leur mal-être, mais aussi leur formidable amour et grandeur de cœur sans lesquels aucune entreprise, quelle qu’elle soit, ne peut fonctionner.

Je suis une personne que l’on nomme  » pudiquement  » usager de la psychiatrie.

En fait, cela fait maintenant plus de vingt ans que je côtoie les structures de la psychiatrie. J’ai connu les longs séjours et les portes fermées. Mais à cette époque j’ai rencontré un médecin psychiatre qui me proposait un séjour court (pas plus d’une dizaine de jours) dans un hôpital général de la région. C’était en Saône-et-Loire et le médecin s’appelait le Docteur Jakubowicz. Je constate que j’ai bénéficié d’une formidable chance et que cela était rare. Je connais toujours la souffrance psychique et la difficulté de vivre avec la dévalorisation de soi. J’ai rencontré aussi d’autres personnes souffrant comme moi.

Ce long parcours m’a conduit à Argelès-sur-Mer où je suis présidente d’une association de personnes en souffrance psychique (toute pathologie confondue) que nous avons baptisée : Destination Avenir.

Nous possédons un atelier théâtral, un atelier d’arts plastiques, un atelier d’écriture et pratiquons des activités sportives : aquagym, tennis, randonnée.

Nous utilisons notre potentiel, nos qualités, nos compétences, car il y a en chacun de nous des possibilités à exploiter.

L’intérêt de notre structure est qu’elle se situe dans la cité. Nous exerçons notre art en oubliant notre particularité. Nous vivons avec nos difficultés comportementales en faisant accepter ces dérangements par notre environnement.

Nous diffusons nos créations lors de rencontres amateurs, sans faire état de notre  » étiquette  » de malades mentaux. Ainsi, nous médiatisons et faisons connaître ces maladies un peu  » folles  » sous des aspects non diaboliques.

Le plaisir partagé dans notre travail artistique ou sportif nous permet d’avoir un regard moins négatif sur nous-mêmes et grâce à nos responsabilités au sein d’un travail de groupe, nous prenons davantage en main notre maladie.

En effet, la personne se trouve revalorisée et dans cette confiance retrouvée se gère mieux. Elle est enfin acteur et même auteur de sa vie.

En vivant au milieu de nos amis, au cœur de notre ville, en citoyen et non plus en personne souffrante, nous nous donnons plus de chance pour stabiliser notre état, malgré nos fragilités.

Cette solidarité, cet échange, cette bienveillance à l’égard d’un autre malade transforment notre quotidien.

Nous sommes souvent sans activité professionnelle, soit parce que nous avons été classés  » invalide « , soit parce que les années de soins n’ont laissé aucune place aux études ou au travail, et nous avons ainsi perdu nos compétences professionnelles.

Grâce à nos ateliers, nous vivons notre maladie à travers des journées bien remplies sans cette impression d’oisiveté qui amplifie le mal-être et la notion négative que nous ressentons de ne rien pouvoir faire.

Nous avons des projets, des rendez-vous auxquels nous nous rendons sans contrainte (alors que notre nature fait qu’il est difficile d’entreprendre notre journée) ; notre vie se transforme et notre maladie reste en sommeil.

Ceci est un témoignage d’alternatives, des perspectives, des solutions nouvelles à apporter au système de santé car la première chose souhaitée par tous les usagers, c’est sortir de l’hôpital, retrouver une autonomie et une certaine liberté.

A l’association Destination Avenir, les adhérents sont des patients des CMP, CATTP, et Hôpitaux de jours. Nous sommes partenaires et nous accueillons dans nos ateliers les personnes qui fréquentent ces structures.

Notre association fonctionne bien et notre expérience devrait se multiplier car le travail fait ensemble (malades, association et soignants) porte ses fruits.

Des associations d’usagers ont trouvé un certain intérêt à se rencontrer au niveau national, ce qui leur permet de découvrir d’autres expériences, d’échanger des connaissances, pour un enrichissement mutuel. Certaines sont fédérées à la Fnap psy1.

Toutefois, je tiens à signaler un danger : nous devons toujours être attentifs à ne pas recréer des rapports hiérarchiques de pouvoir, de paternalisme etc., et nous ne devons pas confisquer la parole de nos usagers les plus timides, les plus introvertis. Nous devons fonctionner à l’humain, et nous sentir le plus humble possible.

Le risque de dérive, de manipulation qui existe déjà dans toute association est également présent, voire plus encore, dans notre association où les personnes sont très vulnérables.

Et cela serait lamentable si les usagers ne se retrouvaient pas en toute confiance car il ne faudrait pas que certains en fassent souffrir d’autres.

Et ça, hélas, c’est la vie…

Notes de bas de page

1 Fédération nationale des associations de patients et ex-patients de psychiatrie. 24, rue de Maubeuge 75009 Paris Tel 01 45 26 08 37.

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