Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°60 – Sexualités (Juin 2016) // Entretien avec Hélène Le Bail

Entretien avec Hélène Le Bail

Lotus BUS - Co-responsable de mission Lotus Bus à Médecin du monde Paris

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC MIGRANT, Santé publique, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°60 – Sexualités (Juin 2016)

Le Lotus Bus est un programme de Médecins du Monde (MDM) de promotion de la santé et des droits des travailleuses du sexe chinoises à Paris. Sa mission est de réduire les risques liés aux pratiques prostitutionnelles et de favoriser l’accès des femmes aux soins et aux droits. Les migrantes chinoises travailleuses du sexe cumulent les facteurs de vulnérabilité et sont exposées à de multiples risques liés à leur activité prostitutionnelle et à leur situation de migrantes. L’équipe du Lotus Bus est composée d’une trentaine de bénévoles, professionnels médicaux, sinophones, chauffeurs, et de quatre postes salariés : un coordinateur, une travailleuse sociale, une animatrice de prévention, et une juriste chargée de la thématique « violences ».

Rhizome : À partir de quels constats est né le dispositif du Lotus Bus ?

Hélène Le Bail : Le programme est né en 2004 pour répondre à deux constats soulevés par les équipes de Médecins du Monde : d’un côté la présence croissante des travailleuses du sexe chinoises à Paris avait été repérée depuis deux ans, et d’un autre côté aucune association du territoire qui intervenait auprès des travailleuses du sexe ne proposait de l’interprétariat en chinois à destination de ces femmes. Beaucoup d’entre elles ne parlaient pas du tout le français et avaient très peu de connaissance sur tous les risques de santé, en particulier au sujet des IST1. De ce constat est née l’idée de faire un programme médical, qui s’inscrit dans le domaine de la réduction des risques, à destination de ces femmes avec de l’interprétariat en langue chinoise. Le nombre de travailleuses du sexe chinoises à Paris avait effectivement augmenté depuis une dizaine d’années, mais les chiffres diminuent depuis un an.

La majorité des femmes que nous recevons ne sont pas clandestines, puisqu’elles arrivent sur le territoire avec un visa et leur situation devient irrégulière après l’expiration de celui-ci. Les passages clandestins sont quant à eux plus rares. De nombreuses femmes en arrivant doivent rapidement rembourser les dettes qui leur ont permis de se rendre en France (les billets d’avion, le visa, le passeur…). Très souvent les femmes ne sont pas endettées auprès de leur passeur, mais auprès de leurs proches, notamment leurs familles qui leur ont prêté de l’argent pour le voyage et qui ne sont pas informés de leur activité de prostitution. Les femmes ont souvent d’autres emplois, à une époque dans le domaine du textile, plus récemment dans celui de la garde d’enfant ou du ménage au sein de la communauté chinoise ou autre. Celles qui ne gagnent pas assez d’argent, qui perdent leur travail, ou alors qui n’en trouvent pas, car depuis quatre, cinq ans c’est de plus en plus difficile, finissent par savoir qu’elles peuvent aussi se prostituer. Le cas de femmes qui arrivent en France et qui se prostituent du jour au lendemain est un phénomène vraiment récent et qui reste rare. En général, les migrantes sont dans des situations précaires à cause des dettes qu’elles ont contractées au pays. Certaines se prostituent pour subvenir aux besoins de leurs enfants en leur payant des études supérieures ou leur logement. La précarité dans laquelle elles se trouvent est donc souvent relative, peu d’entre elles travaillent pour manger le lendemain.

Aujourd’hui, le Lotus Bus rencontre environ mille personnes différentes annuellement. Malgré le fait que le dispositif ait été, au départ, créé à destination des femmes chinoises, le Lotus Bus est ouvert à toute personne. Si un homme ou une transsexuelle se présentent du matériel leur sera fourni. D’ailleurs, actuellement certaines permanences accueillent plus de femmes d’origine nigériane que chinoise. Toutefois, l’accompagnement individuel des femmes avec traduction en dehors des permanences, est limité à la traduction en langue chinoise.

Rhizome : Quelles sont les problématiques des femmes migrantes chinoises que vous rencontrez ?

Hélène Le Bail : Suite aux deux ans de débats au sujet de la loi de lutte contre la prostitution2, la prostitution se fait de moins en moins dans la rue. Les femmes ont observé que le nombre de clients à très clairement chuté pendant et après le vote de la loi, et que la répression policière à Paris augmentait pendant ce laps de temps. Depuis un an et demi on constate que le travail se développe autrement. D’une part, via les offres sur internet et par téléphone. D’autre part, on remarque également que beaucoup de femmes quittent Paris pour se rendre en province, notamment à cause de la répression policière et le ras-le-bol de se faire arrêter régulièrement3. Si le travail sur internet ou en province se développe, le travail de prévention santé du Lotus Bus devra être repensé. Nous réfléchissons donc depuis un an aux moyens de faire évoluer nos actions de réduction des risques via internet ou via d’autres liens quand ces femmes quittent Paris.

Nous nous sommes rendus compte avec d’autres associations que la difficulté majeure que l’on rencontrait était le soutien psychologique des travailleuses du sexe, et en particulier pour les personnes victimes de violences dans le cadre de leur travail. Nous ne faisons pas forcément référence ici au proxénétisme ou au fait que les personnes soient forcées de se prostituer, mais à toutes les autres violences qu’elles peuvent vivre et qui comprennent un immense panel. Le taux de violences graves, coups et viols, est extrêmement élevé dans notre programme4. Les vols, les insultes dans la rue et le sentiment d’être harcelées par la police sont également élevés et reviennent très souvent dans le discours des femmes. Les violences de tout type, des plus graves aux plus stigmatisantes, sont un problème hégémonique relevé par toutes les associations. De ce constat est né le programme « Tous en marche contre les violences faites aux travailleuses du sexe » en septembre 20155, porté par Médecins du Monde et l’association Les amis du bus des femmes6. Le but étant également pour les différentes associations d’accompagnement de créer un maillage de professionnels ressources qui peuvent soutenir les femmes sans porter de jugements. À ce sujet, une de nos plus grandes difficultés actuelle est de trouver des psychologues qui acceptent de travailler avec interprète ainsi que des interprètes capables de faire ce travail en étant formés aux problématiques de victimes et à l’interprétariat en santé mentale. À cette difficulté s’ajoutent les barrières culturelles des migrantes chinoises qui sont très réticentes à être suivies par un psychologue ou un psychiatre.

Notes de bas de page

1 Infections sexuellement transmissibles (IST).

2 La loi adoptée le 13 avril 2016 vise à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner  les personnes prostituées.

3 Aujourd’hui, le délit de racolage est abrogé, mais certaines femmes étaient arrêtées fréquemment.

4 Une étude réalisée par le Lotus Bus entre 2010 et 2012 auprès de 86 personnes révèle une exposition aux violences alarmante. Plus de 86 % des femmes ont rencontré au moins une forme de violence depuis leur arrivée en France, dont 63 % des retraits de préservatif non-consentis, 55 % des violences physiques et 38 % des viols. La majorité des victimes, y compris de viols, n’a pas recours aux soins suite aux violences et n’a pas recours à la justice.  Médecins du Monde. (2009).  Lotus Bus : Enquête auprès des femmes chinoises se prostituant  à Paris (Dossier de presse). ;  Médecins du Monde. (2014). Lotus Bus (Rapport d’activité).

5 Le programme vise à renforcer les capacités des travailleurs-euses du sexe, favoriser l’accès aux soins des victimes et garantir leur accès aux droits. Il est destiné à l’ensemble des travailleurs-euses du sexe en Île de France.

6 Les amis du bus des femmes est une association communautaire créée en 1990 par et pour les prostituées à Paris. Ses actions principales sont la prévention du VIH, des hépatites et des IST, l’accueil et l’accompagnement, la lutte contre l’exclusion et les discriminations ainsi que l’accès aux droits fondamentaux. http://www.lesamisdubusdesfemmes.org/

Publications similaires

A propos de l’autocensure sur le lieu de naissance dans les dossiers psychiatriques

psychiatrie publique - migration - discrimination

Saïda DOUKI DEDIEU - Année de publication : 2008

Recours à l’interprétariat dans les services publics de psychiatrie en Seine-Maritime

transculturel - psychiatrie publique - migration - interprétariat

Carole LEBRUN et Sandra GUIGUENO - Année de publication : 2015

Partenariats en santé mentale à partir de l’école

santé mentale - accès aux soins - aller vers - accès aux soins - accès aux soins - éducation - prévention - Covid 19 - réseau de santé - pédopsychiatrie