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« Aller vers… » en psychiatrie et précarité : l’opposé du « voir venir… » !

Alain MERCUEL - Chef de pôle interétablissement « GHT-Psychiatrie-Précarité », GHT « Psychiatrie et neurosciences » de Paris, Centre hospitalier Sainte-Anne, Paris

Année de publication : 2018

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°68 – « Aller vers »… d’autres pratiques ? (juin 2018)

La circulaire de mars  1960 mettant en place la politique de secteur et celle de mars  1990 ont posé les bases et les valeurs du dispositif de soins psychiatriques. Elles insistent bien sur la polyvalence des équipes pluridisciplinaires et sur leur vocation à répondre à toute demande émanant du corps social concernant la souffrance psychique des personnes qui le composent. La psychiatrie de secteur s’est donc positionnée d’emblée comme une psychiatrie d’accueil, de parcours, d’accompagnement. Elle assure des consultations les plus ouvertes possibles dans les centres médico-psychologiques (CMP), véritables pivots de la pratique de secteur psychiatrique, et non pas l’hôpital comme on l’imagine trop souvent encore. Le CMP représente par cette ouverture le premier pas d’une démarche d’«  aller vers  » en psychiatrie de secteur.

Le second pas est celui vers la Cité dans son ensemble, avec toutes les structures sanitaires, sociales et médico-sociales qui y sont implantées, et dans lesquelles les patients déjà suivis –  ou pas  – en psychiatrie, ou ayant besoin de soins psychiatriques, peuvent y être rencontrés  : en hôpital général, soit dans les services généraux (de l’accueil aux urgences, à la psychiatrie dite «  de liaison  », quels que soient les services de médecine, chirurgie ou obstétrique), en établissement spécialisé, par exemple au sein d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), en milieu pénitentiaire, dans les structures d’aval d’une hospitalisation à visée de stabilisation, de réinsertion, de réhabilitation et, de façon plus générale, dans tout lieu où les besoins de ces personnes s’expriment ou sont repérés. Plus encore, certains secteurs proposent des permanences délocalisées (mairies, centres associatifs…) ou mobiles (bus de consultations…).

Enfin, des pratiques d’«  aller vers  » se sont déployées auprès de publics cibles tels que les précaires et grands exclus. Ainsi, depuis la fin des années  1990, les équipes mobiles psychiatrie-précarité (EMPP) se sont étendues sur tout le territoire national, comme une antenne avancée des secteurs. Rares sont celles qui ne sont pas portées par une équipe de service public  ; dans ce cas, ce sont des personnels détachés des secteurs de psychiatrie qui, par convention, assurent leurs missions aux côtés des acteurs associatifs. La circulaire du 23  novembre 2005, relative à la prise en charge en santé mentale des personnes en grande précarité et en exclusion, a permis de formaliser et de pérenniser les expériences amorcées une décennie plus tôt. Les principes d’action sont exposés de façon précise, dont la dynamique d’«  aller vers  »  ; celle-ci est donc une forme de pratique qui tente de réduire les inégalités d’accès aux soins, ce que la psychiatrie n’a pas su réaliser suffisamment malgré le postulat initial  : pas de discrimination  ! Autrement dit  : «  En cas de besoin, si tu ne viens pas au secteur, le secteur ira à toi  !  » Plus précisément, l’«  aller vers  » est une pratique basée sur une décision médicale et paramédicale, portée bien souvent par les acteurs de pratiques avancées. Or si c’est une décision, pour ne pas dire une prescription, cela suppose qu’il y ait des indications et, en corollaire, des contre-indications. Certaines indications paraissent évidentes  :

  • «  aller vers  » tout lieu de vie lorsque la personne ne peut se déplacer vers un lieu de consultation, et ce, quelles qu’en soient les raisons  : impossibilité physique ou psychique (refus, déni…), situation clinique de non-demande (enfants, adolescents reclus, personnes âgées, syndrome de Diogène, état d’inhibition…), lorsqu’un tiers ne peut accompagner la personne en souffrance…  ;
  • «  aller vers  » lorsqu’il semble important de prendre en compte l’environnement réel et le contexte entourant les aspects cliniques  : évaluation sociale et élargissement des acteurs possibles, maintien sur le lieu de vie et prévention des phénomènes d’exclusion/expulsion des lieux de vie, de soins ou d’accompagnements concernés  ;
  • «  aller vers  » des populations plus spécifiques et ayant des difficultés à accéder aux soins offerts  : gens du voyage, toxicomanes, prostituées, jeunes en errance, sans domicile fixe (SDF) et grands exclus, précaires, migrants…

À l’opposé, les contre-indications pourraient se résumer à toute situation pouvant induire la mise en danger de soi ou d’autrui (patient, entourage, équipe, partenaires…)  : persécuteur désigné, patient armé,  etc. Dans ce cas, l’«  aller vers  » n’est pas interrompu mais requiert l’intervention d’autres dispositifs.

«  Aller vers  », pourquoi  ?

En psychiatrie et précarité, il s’agit bien souvent de s’approcher des personnes pour distinguer celles qui nécessitent d’instaurer un soin. Vaste débat sur le fait que ces premières rencontres modèlent un temps préthérapeutique et que, derrière ce «  prendre soin  », s’installe déjà du soin. L’«  aller vers  » les personnes en souffrance psychique compose cette pratique facilitante qui consiste à provoquer la rencontre, à tenir le lien pour, au minimum, décoder une demande implicite et au mieux faire formuler une demande explicite, puis si possible poursuivre par un accompagnement vers des lieux où des soins sont offerts. En ce sens, ce pourrait être aussi, et pourquoi pas, un groupe homogène de pratiques. Les pratiques d’«  aller vers  » pour «  maintenir un lien  » crispent les adeptes d’une «  extrême  » neutralité de l’éthique. Ceux-là balaient cette démarche proactive d’un «  C’est leur choix  ! Foutez-leur la paix  ! », ou encore d’un diktat de l’autonomie qui peut se résumer ainsi  : «  l’homme est libre.  » Certes… mais la folie aliène d’abord. Les théories, les dogmes et les positions idéologiques éloignent de la réalité du quotidien et du contact avec la souffrance psychique «  en live  ». A contrario, les interventionnistes à tous crins, par des actions non préparées, non annoncées ou non acceptées au moins par les acteurs partenaires, peuvent charrier des effets nocebo, voire des effets iatrogènes (refus secondaire, vécu d’ingérence, fuite suicidaire…). Ainsi, l’«  aller vers  » n’a pas à échapper à l’évaluation de sa pertinence.

«  Aller vers  », à quelle vitesse  ?

Les demandes en urgence de la part du public entraînent avec elles celles des tiers porteurs de cette demande. Ces derniers influent sur la temporalité de l’«  aller vers  », soit en le freinant soit, le plus souvent, en tentant de l’accélérer. L’«  urgentisation  » du rapport au monde déteint sur les individus et leurs attentes.

Il est incontestable que certaines situations cliniques nécessitent l’intervention de services d’urgence (15, 17, 18, 115…) et notre pays ne manque pas de tels dispositifs d’accès aux soins. Mais quid d’un patient porteur d’un Diogène vivant dans la rue, d’un alcoolique chronique reclus en centre d’hébergement, d’un adolescent hikikomori cloîtré dans un hôtel, ou encore d’un appelant «  blacklisté  »  ? C’est dans cette temporalité-là que les liens de partenariat montrent leur efficacité, c’est-à-dire quand tel acteur de la Cité (commissaire, commerçant, membre d’une association, citoyen engagé…) a repéré une personne qui l’inquiète sur le plan psychique et qu’il sollicite alors les équipes appropriées. En quelque sorte, c’est un lanceur de fusée de détresse, autrement appelé «  signaleur  ». Dès lors peut se mettre en place conjointement avec ce signaleur une action d’«  aller vers  », réfléchie, cohérente et coordonnée. Or la coordination des acteurs est bien le talon d’Achille du secteur. De fait, l’«  aller vers  » se prépare  : qui fait quoi, comment, pourquoi, pour qui, avec qui  ? Une fois la réponse trouvée à toutes ces questions interdépendantes, une décision commune peut alors être prise. Il ne s’agit donc pas d’établir une «  maraude psychiatrique  » pour, au hasard des rencontres, traquer la psychose dans la rue, mais plutôt de répondre aux lanceurs de fusée de  détresse de la Cité.

«  Aller vers  », jusqu’où  ?

Jusqu’à la construction d’un espace commun qui serait donc à mettre en place afin que chaque intervenant, sanitaire et social, y trouve le minimum de sécurité dans l’accomplissement de son travail de «  professionnel  », tout en apportant à la personne aidée une énergie suffisante et constructive. L’«  aller vers  » implique de trouver la bonne distance dans la relation ainsi créée  ! Se tenir «  ni trop loin  », comme les théoriciens, «  ni trop près  », comme les «  addicts  » du sauvetage humanitaire. Ainsi, l’«  aller vers  » devient une «  fonction passerelle  », un passage tout au long duquel sont informés, sensibilisés, voire formés les intervenants. La psychiatrie pratiquée par les EMPP est une psychiatrie interstitielle qui vient occuper tous les espaces vides d’écoute spécialisée afin de promouvoir un dépistage précoce des souffrances psychiques des exclus. «  Aller vers  » est une psychiatrie «  sociale  »  : coordinations avec les services sociaux, participations aux conseils locaux de santé mentale, informations, formations et régulations (groupes Balint, supervisions, intervisions…).

«  Aller vers  », avec quels moyens  ?

D’aucuns s’empressent de clamer que nous n’avons pas les moyens d’en faire plus… Est-ce bien «  réseau-nable  »  ? Déjà certains hèlent les nouveaux métiers, du service civique aux médiateurs de santé pairs en santé mentale. Mais cela suppose une formation pour laquelle le temps imparti est prélevé sur les actions de soins. Dans un contexte où la psychiatrie de secteur, confrontée à une diminution sévère de ses moyens (restrictions budgétaires, pénurie de psychiatres, fermeture de lits sans création suffisante de structures alternatives), tente de surnager, il ne reste plus alors qu’à élargir les dispositifs. Pour ce faire, l’«  aller vers  » s’élargit aussi, par la création de nouveaux partenariats équilibrés mettant en exergue des actions de réciprocité avec les acteurs sociaux (logement, emploi, culture, services sociaux, droits de l’homme…).

Les EMPP démontrent bien que la permanence du lien par un «  aller vers  » prévaut sur la permanence du lieu. Par leur «  savoir faire  » face à des personnes porteuses de pathologies et/ou de souffrances du lien et de troubles de l’attachement, ces équipes invitent au lien médiatisé, au lien en confiance, au lien durable. Par cette démarche proactive d’«  aller vers  », elles proposent un «  accueil dehors  ».
Tenir le lien d’abord  ! Binding first  ?

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