Dans le champ de la lutte contre les exclusions coexistent une pluralité d’acteurs et de dispositifs qui accueillent, accompagnent et hébergent les personnes sans-abri. La spécificité des maraudes et des Samu sociaux, également appelés « équipes mobiles », est d’intervenir directement là où vivent les personnes à la rue, que ce soit dans l’espace public ou dans un lieu qui n’est pas destiné à l’habitation (parkings, hôpitaux, gares, etc.). C’est en ce sens que les maraudes se distinguent fondamentalement de l’intervention sociale dans les murs d’une institution.
L’inconditionnalité de « l’aller vers »
En tant que premier maillon de la veille sociale, les maraudes jouent un rôle déterminant dans la prise en charge des personnes sans-abri qui ne sollicitent pas ou plus les services de droit commun (domiciliation, soin, hébergement), en « allant vers » ces dernières, en favorisant leur accès aux droits et en amorçant un parcours d’insertion. « Aller vers » les personnes sans-abri sans distinction ni discrimination au regard de leur état de santé, genre, orientation sexuelle, appartenance religieuse, nationalité, situation administrative, etc. constitue un principe éthique au fondement de l’action des maraudes. Il s’agit d’aller à la rencontre et de se rendre disponible sans condition auprès des personnes les plus exclues. En prenant l’initiative d’une rencontre, les maraudes sont actrices de la création et du maintien du lien social avec les personnes les plus fragilisées de notre société, la création de lien n’étant pas une finalité en soi mais pouvant devenir un support pour faire émerger une demande (soin, hébergement, logement, etc.), orienter et accompagner ces personnes. L’errance, la vulnérabilité sociale et le non-recours sont ainsi au fondement de l’action d’« aller vers » qui constitue une posture physique tout autant qu’une disposition d’esprit. La libre adhésion, le respect de la temporalité et du projet de vie de la personne sont au c?ur des valeurs portées par les maraudes. La sortie de rue ne peut constituer en ce sens l’objectif premier de leurs interventions, mais elle peut néanmoins s’apparenter à un « projet » que ces équipes entendent concourir à faire aboutir. Nous considérons que l’accompagnement des personnes sans-abri n’est pertinent que si, et seulement si, il se réalise dans le respect des choix et du projet de vie de la personne. S’appuyer sur les compétences et le « pouvoir d’agir » des personnes, dans une perspective de coconstruction de leur accompagnement, est le gage d’une insertion durable qui cherche à « raccrocher » celles et ceux qui ne croient et ne sollicitent plus les dispositifs de droit commun. Essuyer des refus, respecter et accepter qu’une personne ne souhaite pas engager une conversation, recevoir une aide ou une prestation quelconque ne doivent pas être perçus ni vécus comme un échec, mais bien comme une dimension intrinsèque à l’intervention de rue, dans sa dimension intrusive de l’« aller vers ». Il s’agit d’obtenir le consentement de la personne, de se rendre disponible pour échanger avec elle lorsqu’elle en manifeste la demande ou le besoin.
Formation et outillage
Face à la diversité, à l’évolution et à la massification des situations d’exclusion et de sans-abrisme (personnes victimes de violences, de la traite des êtres humains, femmes ou hommes en situation de prostitution, familles ou individus exilés, mineurs non accompagnés, personnes souffrant de troubles psychiques ou vieillissantes, usagers de drogues, etc.), la formation des intervenants sociaux demeure indispensable pour apporter des solutions adaptées et accompagner les personnes sans-abri. Aujourd’hui, il existe une pluralité de maraudes qui interviennent dans l’Hexagone, dont la composition des équipes, les qualifications, les pratiques d’intervention, les prestations et services proposés, le périmètre géographique d’action, les moyens humains techniques et financiers, etc. peuvent différer. Par ailleurs, nombreux sont celles et ceux qui souhaitent agir auprès des plus démunis. Le développement de maraudes bénévoles sur l’ensemble du territoire témoigne de cet engagement citoyen et solidaire. Celui-ci nous commande néanmoins d’outiller et de former ces personnes qui se mobilisent chaque jour, leur permettant d’adopter une posture juste, de développer leurs compétences et d’asseoir leur légitimité.
Un référentiel
Ce référentiel1 a pour objectif de rappeler le cadre éthique d’intervention et les valeurs portées par les maraudes et les Samu sociaux2, garantir la qualité des actions et prestations réalisées et offrir un outil d’évaluation des pratiques dans une perspective de réflexion, d’analyse et d’évolution des pratiques, afin d’apporter des réponses adaptées aux besoins des personnes rencontrées. Néanmoins, il n’a pas vocation à imposer une vision normative de l’intervention de rue et ne s’oppose pas, à ce titre, à la diversité des projets associatifs et des modes d’action mis en place. Il se compose des 13 missions principales qui constituent le c?ur du travail des maraudes et Samu sociaux : aller vers la personne ; créer un lien avec elle ; évaluer sa situation ; faire émerger sa demande ; accompagner la personne ; orienter celle-ci vers les dispositifs et acteurs adéquats ; alerter les partenaires, les acteurs locaux et les pouvoirs publics ; restituer son activité auprès des partenaires, des financeurs ; participer à l’observation sociale des besoins ; sensibiliser ; travailler en partenariat ; (se) former et (s’)informer ; appliquer et respecter les droits et libertés de la personne.
Notes de bas de page
1 Pensé et construit collectivement par des équipes de maraudes, le référentiel de missions et d’évaluation des maraudes et Samu sociaux est le fruit d’un travail partenarial animé par la Fédération nationale des Samu sociaux (FNSS) et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Ce référentiel est le fruit d’une démarche participative et d’un travail sur le long cours : tout d’abord, lors de réflexions préliminaires dans le cadre des Journées nationales « Maraudes et Samu sociaux », organisées en 2015 et 2016, puis approfondies au sein du groupe de travail « Maraudes et Samu sociaux » co-animé par la Fédération des acteurs de la solidarité et la Fédération nationale des Samu sociaux. Le référentiel de missions et d’évaluation des maraudes et Samu sociaux est disponible sur le site des deux fédérations. Sa publication est accompagnée de journées inter-régionales de présentation, d’appropriation et de formation à cet outil.
2 La charte « Éthique et Maraude », parue pour la première fois en 2008 et actualisée cette année, rend compte de cette préoccupation tout autant que de la nécessité « de formaliser les valeurs et principes partagés par les différents intervenants auprès de personnes particulièrement vulnérables ».