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Accompagner des personnes âgées précaires

Sabrina LALAOUI - Coordinatrice, éducatrice spécialisée, Équipe « Accompagnement vers le logement », Petits Frères des Pauvres, Marseille
Erik THIERIET - Coordinateur, assistant de service social, Équipe « Accompagnement vers le logement », Petits Frères des Pauvres, Marseille
Ludovic LEYDET - Responsable, Équipe « Accompagnement vers le logement », Petits Frères des Pauvres, Marseille

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Psychologie, TRAVAIL SOCIAL, PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°74 – Vivre le vieillissement (décembre 2019)

Les Petits Frères des Pauvres

Depuis 1946, l’association les Petits Frères des Pauvres lutte contre l’isolement des personnes âgées, prioritairement les plus démunies. Par ses actions, elle recrée des liens leur permettant de reprendre goût à la vie : partager des expériences, trouver avec eux des solutions à leurs problèmes, les aider à retrouver la joie, être soi, être libre de ses choix, rêver et oser réaliser ses rêves et se projeter à nouveau.

Les bénévoles sont les maillons essentiels de cette chaîne de solidarité. Par des visites régulières au domicile des personnes âgées (chez elles, en foyer logement, en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad], à l’hôpital, à la rue, soit tout ce qui fait domicile), ils leur permettent peu à peu de retrouver une dynamique de vie. À Marseille, ce sont 250 bénévoles qui accompagnent tout au long de l’année 400 personnes de plus de 50 ans. Au total, six équipes d’action territoriale interviennent sur le territoire marseillais, et deux autres accompagnent spécifiquement les personnes vers le logement et des personnes gravement malades ou en fin de vie.

Les Petits Frères des Pauvres à Marseille, c’est aussi une pension de famille, Labadié, située dans le 1er arrondissement. Celle-ci accueille 27 résidents en situation de très grande précarité. Un nouveau bâtiment acquis par l’Association en centre-ville de Marseille, qui est une extension de la pension de famille Labadié, accueille depuis fin septembre 2019 une dizaine de résidents. Ces derniers cohabitent avec des bénévoles et des salariés dont les bureaux sont implantés dans l’immeuble ainsi qu’avec d’autres locataires hors Petits Frères. L’Association s’occupe également d’une maison d’accueil à la journée, la campagne Le Manier, située dans le 12e arrondissement de la cité phocéenne, qui propose des repas, des ateliers ou des activités intergénérationnelles.

Créée en 1958, soit douze ans après la naissance de l’Association à l’échelon national, la Fraternité de Marseille a fêté en 2018 son soixantième anniversaire.

Au sein de notre équipe « Accompagnement vers le logement », nous, travailleurs sociaux salariés et bénévoles, accompagnons des personnes âgées isolées en situation de précarité sans chez-soi. Si la vieillesse peut générer des pertes et s’envisager notamment sous cet angle-là, les personnes que nous accueillons et accompagnons présentent, en plus, la caractéristique d’avoir eu un parcours de vie lui-même jalonné de pertes et de ruptures multiples. Cela induit-il quelque chose en termes d’approche et de posture professionnelle ? Accompagne-t-on différemment un public âgé, précarisé et un public constitué de personnes plus jeunes en situation de précarité ? Y a-t-il une frontière visible, au-delà de l’âge inscrit dans notre état civil ?

L’accompagnement de personnes en situation de grande précarité, en soi, peut s’avérer complexe pour de nombreuses raisons : des problématiques qui se cumulent et s’entretiennent mutuellement, une instabilité matérielle chronique qui rend difficiles les démarches de rétablissement… De surcroît, lorsque l’on s’adresse à des personnes vieillissantes, qui sont susceptibles d’éprouver certaines problématiques liées à la prise d’âge et qui, de fait, peuvent être marquées par des parcours d’errance plus longs et des années de rue plus nombreuses, cela impose de repenser le cadre que nous leur proposons et d’adapter nos pratiques.

On peut observer que nombre de personnes coïncidant à ce profil et ayant pu expérimenter un accompagnement au sein de structures parfois très contraintes par des files actives particulièrement longues sont susceptibles d’avoir des difficultés à se retrouver dans un contexte où l’individualisation est peu aisée. Cela est particulièrement notable lorsque les personnes sont diluées dans des collectifs ayant un rayonnement important, ce qui peut avoir tendance à rendre peu audibles leurs demandes lorsqu’elles existent, voire à les invisibiliser purement et simplement. À cet égard, il y a alors un réel enjeu, d’une part, à initier des démarches d’« aller vers » pour travailler avec les personnes un projet d’accompagnement quel qu’il soit, alors qu’elles ne sont pas forcément inscrites dans un parcours institutionnel ou qu’elles n’émargent à aucun dispositif, et, d’autre part, à leur proposer un cadre d’accueil à même de garantir une écoute bienveillante, susceptible de favoriser au mieux leur expression.

Le repli sur soi de certaines personnes âgées est une réalité. Or ce contexte d’isolement peut avoir des conséquences dramatiques, au premier rang desquelles une prise en charge médicale trop tardive, par exemple. De même, voir une personne tous les jours parce qu’elle fréquente une structure ne doit pas nous empêcher de nous poser la question de ce qu’elle vient y faire, de ce qu’elle y recherche, a fortiori lorsque la réponse paraît évidente : bénéficier d’une aide matérielle. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faille être pressant avec les personnes, mais que, a minima, nous leur garantissons le fait qu’elles ont la possibilité de nous le dire, à leur rythme et selon leurs mots, même si c’est compliqué. C’est un équilibre à trouver dans la relation que nous entretenons avec elles.

Une tendance observable, mais heureusement de moins en moins fréquente conduit à des comportements d’infantilisation des personnes âgées, à l’image de ce que l’on peut observer en ce qui concerne la petite enfance. Les contextes d’accompagnement sont des espaces où l’on pourrait être tenté de se dire que nous savons, mieux que les personnes elles-mêmes, ce qui est bon pour elles. Au-delà de poser un problème éthique évident, ce serait nier les parcours extrêmement riches de ces hommes et ces femmes ainsi que la diversité de leurs expériences de vie, qui constituent un vrai bagage et qui sont source de potentialités, permettant aux personnes in fine de se positionner, de s’exprimer, de donner leur avis, sous réserve que le cadre qu’on leur propose le permette. L’ex­périence a son corollaire, l’habitude. Là encore, il faut être prudent avec cette notion derrière laquelle on peut se réfugier un peu trop rapidement et qui voudrait que les personnes âgées soient enfermées dans des habi­tudes (on ne parle pas de rituel). Si cela peut être le cas, cela ne l’est pas plus que pour tout un chacun et, bien souvent, il s’agit surtout de faire preuve de souplesse afin de ne pas induire de radicalité dans notre approche pouvant, le cas échéant, être perçue comme brutale par les personnes.

Les phénomènes d’isolement et de précarité ont tendance à conduire à un entre-soi, dans lequel les personnes sont enfermées, et qui font qu’elles ne côtoient, au quotidien, que des personnes plus ou moins dans leur situation. De même, elles côtoient un ensemble d’intervenants avec qui les échanges tournent bien souvent exclusivement autour de ce qui fait problème pour elles. Dès lors, il apparaît fondamental de pouvoir les amener à sortir de ces logiques.

Notre projet associatif place l’engagement bénévole au cœur de son action. En complément d’un volet social technique qui peut être porté par des travailleurs sociaux salariés, les personnes âgées ainsi accompagnées sont également en lien avec des bénévoles, sans autre enjeu a priori que celui de la relation. Cette entrée relationnelle constitue une plus-value dans le sens où elle permet de réinscrire les personnes dans une dynamique de lien social et des réseaux de proximité, ce qui a un réel impact sur l’image qu’elles peuvent avoir d’elles-mêmes. La sensation de pouvoir profiter du quotidien « comme tout le monde » (boire un café en terrasse, aller à un spectacle, être invité et attendu quelque part, par quelqu’un), en dépit de sa situation matérielle, contribue alors à créer un cercle vertueux à même de renforcer l’estime de soi. Les personnes sont ainsi dans de meilleures dispositions pour se saisir des dispositifs ou (ré)activer leurs droits, par exemple.

Le vieillissement constitue un facteur aggravant de la précarité des personnes. L’inverse est également vrai. Il va sans dire qu’il vaut mieux vivre une vieillesse dans des conditions matérielles et de confort, si ce n’est optimales, du moins acceptables, plutôt que dans des conditions instables, précaires, indignes. La vieillesse n’est pas une maladie, mais les fragilités qu’elle induit chez les personnes sont une réalité objective. Ces fragilités viennent se surajouter aux difficultés psychosociales préexistantes chez les personnes en situation de grande précarité, d’errance et peuvent complexifier la prise en charge de ces situations et les réponses qu’on peut leur apporter.

Au sein de notre équipe « Accompagnement vers le logement », nous, travailleurs sociaux salariés et bénévoles, accompagnons des personnes âgées isolées en situation de précarité sans chez-soi. Si la vieillesse peut générer des pertes et s’envisager notamment sous cet angle-là, les personnes que nous accueillons et accompagnons présentent, en plus, la caractéristique d’avoir eu un parcours de vie lui-même jalonné de pertes et de ruptures multiples. Cela induit-il quelque chose en termes d’approche et de posture professionnelle ? Accompagne-t-on différemment un public âgé, précarisé et un public constitué de personnes plus jeunes en situation de précarité ? Y a-t-il une frontière visible, au-delà de l’âge inscrit dans notre état civil ?

L’accompagnement de personnes en situation de grande précarité, en soi, peut s’avérer complexe pour de nombreuses raisons : des problématiques qui se cumulent et s’entretiennent mutuellement, une instabilité matérielle chronique qui rend difficiles les démarches de rétablissement… De surcroît, lorsque l’on s’adresse à des personnes vieillissantes, qui sont susceptibles d’éprouver certaines problématiques liées à la prise d’âge et qui, de fait, peuvent être marquées par des parcours d’errance plus longs et des années de rue plus nombreuses, cela impose de repenser le cadre que nous leur proposons et d’adapter nos pratiques.

On peut observer que nombre de personnes coïncidant à ce profil et ayant pu expérimenter un accompagnement au sein de structures parfois très contraintes par des files actives particulièrement longues sont susceptibles d’avoir des difficultés à se retrouver dans un contexte où l’individualisation est peu aisée. Cela est particulièrement notable lorsque les personnes sont diluées dans des collectifs ayant un rayonnement important, ce qui peut avoir tendance à rendre peu audibles leurs demandes lorsqu’elles existent, voire à les invisibiliser purement et simplement. À cet égard, il y a alors un réel enjeu, d’une part, à initier des démarches d’« aller vers » pour travailler avec les personnes un projet d’accompagnement quel qu’il soit, alors qu’elles ne sont pas forcément inscrites dans un parcours institutionnel ou qu’elles n’émargent à aucun dispositif, et, d’autre part, à leur proposer un cadre d’accueil à même de garantir une écoute bienveillante, susceptible de favoriser au mieux leur expression.

Le repli sur soi de certaines personnes âgées est une réalité. Or ce contexte d’isolement peut avoir des conséquences dramatiques, au premier rang desquelles une prise en charge médicale trop tardive, par exemple. De même, voir une personne tous les jours parce qu’elle fréquente une structure ne doit pas nous empêcher de nous poser la question de ce qu’elle vient y faire, de ce qu’elle y recherche, a fortiori lorsque la réponse paraît évidente : bénéficier d’une aide matérielle. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faille être pressant avec les personnes, mais que, a minima, nous leur garantissons le fait qu’elles ont la possibilité de nous le dire, à leur rythme et selon leurs mots, même si c’est compliqué. C’est un équilibre à trouver dans la relation que nous entretenons avec elles.

Une tendance observable, mais heureusement de moins en moins fréquente conduit à des comportements d’infantilisation des personnes âgées, à l’image de ce que l’on peut observer en ce qui concerne la petite enfance. Les contextes d’accompagnement sont des espaces où l’on pourrait être tenté de se dire que nous savons, mieux que les personnes elles-mêmes, ce qui est bon pour elles. Au-delà de poser un problème éthique évident, ce serait nier les parcours extrêmement riches de ces hommes et ces femmes ainsi que la diversité de leurs expériences de vie, qui constituent un vrai bagage et qui sont source de potentialités, permettant aux personnes in fine de se positionner, de s’exprimer, de donner leur avis, sous réserve que le cadre qu’on leur propose le permette. L’ex­périence a son corollaire, l’habitude. Là encore, il faut être prudent avec cette notion derrière laquelle on peut se réfugier un peu trop rapidement et qui voudrait que les personnes âgées soient enfermées dans des habi­tudes (on ne parle pas de rituel). Si cela peut être le cas, cela ne l’est pas plus que pour tout un chacun et, bien souvent, il s’agit surtout de faire preuve de souplesse afin de ne pas induire de radicalité dans notre approche pouvant, le cas échéant, être perçue comme brutale par les personnes.

Les phénomènes d’isolement et de précarité ont tendance à conduire à un entre-soi, dans lequel les personnes sont enfermées, et qui font qu’elles ne côtoient, au quotidien, que des personnes plus ou moins dans leur situation. De même, elles côtoient un ensemble d’intervenants avec qui les échanges tournent bien souvent exclusivement autour de ce qui fait problème pour elles. Dès lors, il apparaît fondamental de pouvoir les amener à sortir de ces logiques.

Notre projet associatif place l’engagement bénévole au cœur de son action. En complément d’un volet social technique qui peut être porté par des travailleurs sociaux salariés, les personnes âgées ainsi accompagnées sont également en lien avec des bénévoles, sans autre enjeu a priori que celui de la relation. Cette entrée relationnelle constitue une plus-value dans le sens où elle permet de réinscrire les personnes dans une dynamique de lien social et des réseaux de proximité, ce qui a un réel impact sur l’image qu’elles peuvent avoir d’elles-mêmes. La sensation de pouvoir profiter du quotidien « comme tout le monde » (boire un café en terrasse, aller à un spectacle, être invité et attendu quelque part, par quelqu’un), en dépit de sa situation matérielle, contribue alors à créer un cercle vertueux à même de renforcer l’estime de soi. Les personnes sont ainsi dans de meilleures dispositions pour se saisir des dispositifs ou (ré)activer leurs droits, par exemple.

Le vieillissement constitue un facteur aggravant de la précarité des personnes. L’inverse est également vrai. Il va sans dire qu’il vaut mieux vivre une vieillesse dans des conditions matérielles et de confort, si ce n’est optimales, du moins acceptables, plutôt que dans des conditions instables, précaires, indignes. La vieillesse n’est pas une maladie, mais les fragilités qu’elle induit chez les personnes sont une réalité objective. Ces fragilités viennent se surajouter aux difficultés psychosociales préexistantes chez les personnes en situation de grande précarité, d’errance et peuvent complexifier la prise en charge de ces situations et les réponses qu’on peut leur apporter.

À savoir

En France, une personne âgée sur quatre souffre d’isolement.

On dénombre 300 000 personnes de plus de 60 ans en état de « mort sociale », privées de liens et des plaisirs simples et essentiels de la vie1. Les nouveaux rythmes de la vie contemporaine conduisent malheureusement à une fragilisation du lien familial, social et à un nombre croissant de personnes âgées isolées, la pauvreté venant aggraver ce phénomène.

Pour les Petits Frères des Pauvres, chaque personne âgée devrait pouvoir vivre pleinement sa vie jusqu’au bout en maintenant le lien social indispensable à son bien-être et à sa sérénité. Une personne âgée isolée est une personne en souffrance et pour nous, cette situation est inacceptable.

Notes de bas de page

1 Institut CSA (2017). Solitude et isolement quand on a plus de 60 ans en France en 2017. Les Petits Frères des Pauvres.

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