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Résider en pension de famille : un logement individuel en collectivité pour les personnes fragilisées

Juliette HALIFAX - Docteure en démographie, Chercheure au Département d’études, de recherches et d’observation (DERO) de l’Association pour la professionnalisation, la recherche, l’accompagnement et le développement en intervention sociale (Apradis), Amiens
Marie-Véronique LABASQUE - Docteure en psychologie clinique, Responsable du Dero de l’Apradis, Amiens

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°71 – Habiter, co-habiter (avril 2019)

Un mode de logement original

« La résidence sociale dénommée ”pension de famille” est un établissement destiné à l’accueil sans condition de durée des personnes dont la situation sociale et psychologique rend difficile leur accès à un logement ordinaire » (art. L. 633-1 du Code de la construction et de l’habitation). Les pensions de famille – ou maisons relais – sont des structures relativement jeunes dans le paysage social qui permettent à des personnes fragilisées d’habiter autrement que dans des structures d’hébergement ou en logement diffus. Les résidents sont locataires d’un logement individuel, tout en ayant accès à des parties com­munes où sont proposés différents services et activités. Ils sont également accompagnés par un ou plusieurs professionnels, nommés hôtes. Ces derniers ont généralement une formation dans le domaine social ou de l’animation, voire pas de formation spécifique.

Au niveau social, les résidents bénéficient d’un accompagnement par les hôtes, à la fois une aide pour les démarches administratives et de la vie quo­tidienne et la proposition d’activités au sein ou en dehors de la pension de famille. Du fait des caractéristiques des résidents et de leurs problèmes de santé, nous verrons que les hôtes sont également amenés à leur proposer un accompagnement sanitaire.

Une étude sur les « besoins sanitaires et sociaux des résidents de pensions de famille », réalisée par l’Association pour la professionnalisation, la recherche, l’accompagnement et le développement en intervention sociale (Apradis) en lien avec la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale (DRJSCS) des Hauts-de-France met en avant les particularités de ce public et les nombreuses problématiques de santé des résidents (Boubert-Devos et Hali­fax, 2016). Dans un premier temps, l’ensemble des rapports d’activité des pen­sions de famille de l’ancienne région administrative de Picardie a été analysé afin d’avoir une vision globale des caractéristiques sociodémographiques et sanitaires des résidents, mais aussi des modes de fonctionnement de ces structures. Dans un second temps, des entretiens semi-directifs ont été menés au sein d’un panel de dix pensions de famille, soit la moitié des structures des départements étudiés (Aisne, Oise et Somme). Les entretiens avec les résidents se sont déroulés sur la base du volontariat, en deux temps : tout d’abord en entretien collectif, puis en entretien individuel afin d’approfondir les situations individuelles, notamment les questions de santé, de dépendance et de perte d’autonomie. Près de 80 résidents ont été interrogés, dont 38 en entretien individuel approfondi. De plus, 16 profes­sionnels intervenant au sein des pensions de famille ont participé à un entretien, les hôtes étant des personnes-ressources pour apporter des réponses aux besoins des résidents.

Un public fragilisé pour qui « habiter ne va pas forcément de soi »

L’étude a mis en exergue une hétérogénéité des parcours ayant conduit à un logement au sein d’une pension de famille : sorties de centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), hospitalisations en psychiatrie, sorties de prison, personnes à la rue, etc. En revanche, l’analyse de la situation actuelle des pen­sionnaires, fait ressortir un certain nombre de points communs, avec notamment :

  • une population masculine et âgée : quatre cinquièmes des résidents sont des hommes et deux tiers ont plus de 50 ans ;
  • un isolement social non négligeable, avec des liens familiaux peu fréquents et un réseau amical relativement restreint, voire inexistant ;
  • une grande précarité économique : très peu de pensionnaires travaillent et leurs principales ressources sont le revenu de solidarité active (RSA) et l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ;
  • des problèmes de santé importants, en lien notamment avec des questions d’ad­diction et des troubles psychiques ; la question sanitaire est, de loin, la problé­matique la plus récurrente, les résidents cumulant divers problèmes de santé et ayant, pour certains, des problèmes de santé graves.

Ainsi, les personnes qui résident en pension de famille sont pour la plupart des personnes qui ne pourraient pas se loger en milieu diffus, par manque de moyens matériel, social et/ou sanitaire. Les résidents trouvent au sein de la pension de famille un accompagnement pour leurs difficultés sociales et sanitaires, voire une simple présence, qui les rassure et leur permet de mieux gérer leurs troubles psychiatriques. C’est ce que nous dit, par exemple, cette résidente atteinte de troubles psychiques :

« Ici, on a cette chance-là d’être posé, c’est-à-dire on pose nos bagages et on prend le temps. On prend le temps de réfléchir à ce qu’on veut, on prend le temps de réfléchir aux erreurs qu’on a pu faire, à ne plus faire par l’avenir. On a vraiment cette opportunité d’avoir le temps et de découvrir avec les ateliers, à travers aussi les gens qu’on rencontre, qu’on ne connaît pas forcément, ben de réfléchir à notre situation : “Qu’est-ce que j’envisage ?” […] Il y a des encou­ragements personnels, voilà : “Ce que tu fais est bien, donc tu devrais continuer.” Il y a quelque chose, de l’ordre du moral, qui fait du bien. Il y a quelque chose qui est très intéressant. Et ben ça, mine de rien, ça donne beaucoup d’énergie pour se reconstruire. »

Peu d’articulations avec le champ social, mais une forte solidarité en interne

Les résidents verbalisent peu de besoins sanitaires et sociaux. Ayant eu des par­cours de vie très compliqués, ils sont en effet relativement satisfaits de leur situa­tion, ainsi que du fonctionnement de la pension de famille. Cependant, parmi les 38 résidents interrogés en entretien individuel, seuls 7 (18 %) déclarent être auto­nomes pour toutes leurs démarches administratives. Pour les démarches de la vie quotidienne, la majorité est autonome, mais 15 résidents (39 %) ont tout de même besoin d’une aide pour faire leurs courses et/ou la cuisine (difficultés à se déplacer ou à porter des choses lourdes, difficultés psychiques, etc.).

La circulaire DGAS/SDA n° 2002-59 régissant les pensions de famille spécifie que : « Toutes les personnes accueillies […] peuvent continuer à être suivies par le service social ou médico-social qui les a orientées vers la maison relais. Si tel est le cas, […] le partenariat local d’intervention sociale avec les services sociaux de secteur sera alors formalisé. » Cependant, peu de services sociaux interviennent au sein des structures et peu de partenariats sont formalisés avec des institutions et services extérieurs. Pourtant, la systématisation des partenariats permettrait davantage d’interventions au sein des structures et, par conséquent, de répondre aux besoins des résidents, de globaliser cette réponse pour les travailleurs sociaux ou institutions et de dégager du temps aux hôtes pour d’autres activités et/ou accompagnements.

Lors de l’enquête, seule une pension de famille sur les dix interrogées ac­cueillait dans ses locaux les assistants de service social (ASS) de secteur, dans un bureau dédié ou directement au sein des logements. Comme le dé­clarent les résidents lors de l’entretien collectif « les services se déplacent vers la résidence ». Ailleurs, le droit commun est peu mobilisé à l’intérieur des pensions de famille et ce sont les résidents qui se déplacent vers les services de proximité ou bien, comme le concède ce professionnel, ce sont les hôtes qui « proposent une aide dans les démarches administratives, à la demande des pensionnaires, même si normalement les ASS de secteur pour­raient ou devraient être sollicitées à cet effet ». Une autre structure a forma­lisé un partenariat avec la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), ce qui permet, si besoin, une ouverture des droits pour les résidents beaucoup plus rapide : « Ça prend un ou deux jours au lieu d’un mois. » Les profes­sionnels souhaitent faire la même chose avec la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Enfin, dans une troisième pension de famille, les services de tutelle et de curatelle sont associés à la rédaction des projets d’accompagnement individualisés.

En effet, sur les 38 résidents interrogés, 12 (32 %) ont une protection juridique de type tutelle, curatelle ou curatelle renforcée. Dans ces cas-là, le tuteur s’occupe des démarches administratives et/ou de la gestion de l’argent, ce qui n’empêche pas le résident de solliciter régulièrement l’hôte pour des demandes ponctuelles (dé­claration Pôle Emploi, demande de retraite, prise de rendez-vous, etc.). Les hôtes accompagnent également dans leurs démarches administratives la majorité des résidents qui ne sont pas sous protection juridique. Ces derniers s’adressent aux professionnels qui sont « très réactifs et efficaces » et auprès desquels ils trouvent des réponses à leurs demandes.

Notons également que deux personnes ont déclaré formuler leurs demandes au représentant des résidents. Bien que ce ne soit pas son rôle, celui-ci est en capacité de les aider sur toutes les démarches administratives et éprouve une certaine fierté à le faire. De même, parmi les 14 résidents n’étant pas autonomes pour faire leurs courses, la moitié trouve de l’aide auprès de l’hôte, les autres étant accompagnés par un auxiliaire de vie (4), de la famille (1) ou un autre pensionnaire (2). Nous retrouvons ici, comme dans l’extrait suivant, un témoignage de la forte solidarité qui existe entre les résidents :

« On est régulièrement en bas à discuter, échanger. On discute des choses qui vont, des choses aussi qui ne vont pas. […] Même s’il y a parfois des hauts et des bas, comme dans tout lieu collectif, il y a beaucoup de solidarité, il y a vraiment beaucoup de solidarité. […] C’est important l’entraide, la solidarité, soutenir quelqu’un qu’est pas bien, d’aller vérifier quand quelqu’un est malade la nuit et que les veilleurs sont pas forcément là, ben on laisse la porte ouverte qu’on puisse voir si la personne elle est bien. […] Moi il y a beaucoup de choses qui me plaisent, parce que moi j’ai vécu sans que… Il peut arriver [en milieu dif­fus] qu’on ne sorte pas de chez-soi pendant une semaine, il n’y a aucun voisin qui vient voir si ça va. Je veux dire, ça, ça n’existe pas ici. Et ça c’est quelque chose qui pour moi est important. Et ça devrait être comme ça partout en fait. C’est pas une obligation d’aller frapper chez le voisin pour savoir comment il va, mais en tout cas pour nous c’est juste naturel. Donc, oui, pour moi, la solidarité, enfin en tout cas veiller l’un sur l’autre, pour moi je trouve ça.vraiment, je pense que ça devrait être comme ça partout. Franchement, ça devrait être comme ça partout. Mais pas entrer dans l’intimité des gens, c’est-à-dire juste pour savoir si tout va bien. Et l’entraide aussi.“Est-ce que t’as pas un peu de sucre”, ça existe ça aussi et c’est vachement agréable. Ou même des petites attentions. Ça m’est arrivé d’avoir des petites attentions, qu’on m’apporte un gâteau alors que j’avais absolument rien demandé : “Coucou, j’ai pensé à toi, c’est Pâques, tiens voilà un gâteau.” Enfin, c’est des trucs qu’on n’a pas forcément, enfin qu’on n’a pas en milieu diffus. Et ça on l’a ici et c’est quelque chose que j’aime énormément. Quand je vais partir d’ici, je vais avoir beaucoup de tristesse, ça c’est clair. Beaucoup, beaucoup de tristesse. […] Et en partant d’ici, je pense que je partirai aussi avec certaines richesses, avec certains fonctionnements, autres que ce que j’avais avant. Je vais avoir peut-être des réflexes qui seront différents de ceux que j’avais avant. »

Cette forte solidarité entre les résidents ainsi que la présence de l’hôte au sein de la pension de famille permettent de compenser le manque d’articulation avec le champ social. Ce n’est pas le cas avec le champ sanitaire alors que les besoins des résidents sont multiples.

Des échanges avec le champ sanitaire compliqués, malgré des besoins importants

Les résidents ont des problèmes de santé importants : sur les 38 que nous avons rencontrés, seuls 6 s’estiment en bonne santé ; les autres rencontrent pour la plu­part des problématiques relativement lourdes. On retrouve une prédominance des problèmes psychologiques, avec la moitié des personnes concernées (19), essen­tiellement pour des dépressions chroniques, mais aussi de la schizophrénie ou des troubles bipolaires. Les autres problèmes de santé sont relativement nombreux et variés : 27 résidents ont des problèmes de santé autres que psychologiques et la plupart cumulent plusieurs difficultés.

Bien que la majorité des résidents se trouve dans un état de santé relativement dégradé, ces derniers identifient mal leurs besoins sanitaires. En outre, la prise en charge de leur santé peut être quelque chose de difficile à gérer pour eux. La prise d’initiative est compliquée, que ce soit pour faire des démarches admi­nistratives, où chaque étape est source d’anxiété et prend une importance consi­dérable, ou encore pour s’emparer du suivi de leur santé. Pour exemple, 3 rési­dents ont déclaré prendre divers médicaments, sans savoir pour quelle pathologie : « C’est le médecin qui sait. »

Les préconisations relatives au fonctionnement des pensions de famille énon­cées dans la circulaire précitée sont également valables pour le secteur sanitaire : « Il doit en aller de même pour les personnes ayant des problèmes psychiques, pour lesquelles un partenariat avec les secteurs et intersecteurs psychiatriques devra être organisé. » Là encore, malgré les problèmes de santé des résidents, ces parte­nariats sont loin d’être formalisés et/ou effectifs. Ils sont cependant plus fréquents que dans le secteur social : sur les dix structures interrogées, la moitié a établi des partenariats – le plus souvent non formalisés – avec des structures de soin locales.

Une professionnelle travaillant dans une structure où il n’y a « pas du tout » de partenariat, nous explique les difficultés auxquelles elle et les résidents sont confrontés : « On a beaucoup de mal à travailler avec le “corps médical” on va dire, le corps médical au sens large. Enfin, les infirmières, ça reste abordable, on a quelques médecins traitants où on a un bon lien, avec des résidents qui sont suivis depuis des années, mais sinon….Un résident qui arrive, par exemple, c’est super compliqué de lui trouver un médecin traitant, parce qu’en plus ils sont un peu stigmatisés. Elle [la pension de famille] n’est pas identifiée par tous, par les partenaires extérieurs. En général, enfin je vais le dire comme ça sort –, c’est les “cassos” de [nom de l’association], donc ils ne font pas du tout la distinction entre la pension de famille qui reste du logement et le CHRS et puis le FJT [foyer de jeunes travailleurs] où ça reste des prises en charge plus courtes. Après, sur le côté psychiatrique, ça reste aussi très compliqué. Sur les hospitalisations, […] le lien est un peu compliqué. Les psychiatres, en cas de changement de traitement ou si on observe quelque chose, ben on n’est pas du corps médical donc on ne nous écoute pas du tout. »

Comme évoqué dans ce témoignage, l’articulation avec le secteur sanitaire peut parfois s’avérer problématique, bien que des liens existent avec certains profes­sionnels de santé.

  • Sans qu’il y ait de partenariat spécifique, les relations avec les infirmiers de la commune ou du quartier semblent le plus souvent bonnes. En effet, ceux-ci sont nombreux à intervenir au domicile des résidents, certains ayant besoin d’une intervention médicale jusqu’à trois fois par jour.
  • De même, lorsque les médecins généralistes consultent à domicile, des échanges sont possibles avec l’hôte sur les besoins des personnes ou la dégra­dation de leur état de santé. Cependant, les configurations où les médecins acceptent de se déplacer à la pension de famille, voire de devenir le médecin traitant d’un résident sont de plus en plus rares. Ce manque de médecins est lié, d’une part, au désert médical touchant certains territoires et, d’autre part, au fait que les troubles psychiatriques et les addictions des résidents en font un public difficile à accompagner avec, par exemple, des résidents qui n’honorent pas leurs rendez-vous.
  • Concernant le secteur psychiatrique, les avis sont quasiment unanimes pour dénoncer la complexité des relations que créent le manque de compréhension entre les secteurs social et sanitaire ainsi que le manque de reconnaissance et de légitimité, par des professionnels de santé notamment les psychiatres, envers le corps social.

Au niveau psychiatrique et, plus largement, au niveau de la prise en charge de la santé, deux pensions de famille ont, au niveau local, des partenariats formalisés et trois autres des partenariats non formalisés. Ces partenariats sont établis avec des centres hospitaliers, des centres médico-psychologiques (CMP) et, plus rarement, des centres de psy­chothérapie, des associations de soins à domicile ou des services de soins de suite et de réadaptation (SSR). Deux structures ont également un partenariat avec un Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), bien que l’une d’entre elle constate que ce partenariat est établi « pour des situations qui nécessiteraient un accom­pagnement sur le plan psychique ». Les hôtes observent que les relations sont facilitées lorsqu’un professionnel des structures de soin s’est déjà rendu dans les locaux de la pension de famille, comme l’assistant social, par exemple. Notons également qu’une pension de famille ayant des par­tenariats formalisés organise des temps de synthèse avec les partenaires, en présence des usagers.

  • Enfin, au regard du nombre de médicaments pris par la plupart des résidents, les pharmaciens peuvent aussi être sollicités. Les relations ne sont pas toujours évidentes, mais une pension de famille a tout de même réussi à formaliser un partenariat avec une pharmacie de proximité. Chaque jour, celle-ci prépare les médicaments pour les résidents. Deux autres structures ont des relations privi­légiées avec un tel établissement. Ainsi, sans qu’il y ait de partenariat formel, la pharmacie de proximité peut préparer les piluliers à la journée ou à la semaine, selon la demande de chacun.

L’accompagnement à l’autonomie en question

La préparation des piluliers peut paraître anecdotique ; elle reflète cependant des fonctionnements internes et des postures professionnelles des hôtes extrême­ment variés quant à l’accompagnement sanitaire proposé au sein des pensions de famille. Le spectre des fonctionnements va d’une autogestion complète de leur santé par les résidents à une prise de rendez-vous et un suivi des traite­ments médicamenteux quasi systématique par les hôtes. Le plus souvent, les résidents sont tout de même autonomes dans la prise de leurs rendez-vous ainsi que pour se rendre aux consultations. En cas de besoin, pour les personnes dépendantes ayant des difficultés à se déplacer, les hôtes les accompagnent en voiture, ce qui leur permet éventuellement d’avoir un échange avec le praticien rencontré. De même, pour les personnes n’étant pas en capacité psychique de le faire seules, les hôtes peuvent se charger de prendre les rendez-vous des résidents et de leur rappeler leur engagement le jour même.

Revenons toutefois sur les deux fonctionnements plus atypiques : le suivi systé­matique et l’autogestion. Dans le premier cas, les professionnels ont un regard sur l’ensemble du parcours médical des résidents, y compris ceux qui sont en capacité de gérer seuls leur santé : « Ceux qui sont autonomes pour aller chez leur médecin, ils vont chez le médecin, ils reviennent avec un nouveau rendez-vous, ils nous le donnent, comme ça nous on le note dans l’agenda et on peut les prévenir du prochain rendez-vous. Pour tout ce qui est rendez-vous médicaux, on a le suivi. » Les professionnels disposent également des ordonnances, des traitements et du suivi de ces traitements, avec notamment une distribution quotidienne des médicaments pour la quasi-totalité des résidents, excepté ceux qui en ont formulé la demande et qui sont en capacité de gérer leur traitement. Dans une autre structure où, certains résidents doivent se rendre chaque jour dans un autre bâtiment pour obtenir leurs médicaments, une situation conflic­tuelle existe. D’un côté, les professionnels estiment qu’un résident a un trai­tement trop lourd pour pouvoir être laissé à disposition et, de l’autre, celui-ci préférerait gérer ses médicaments et s’en sent capable : « Il faut que j’aille les chercher là-bas tous les matins. Ça ne me convient pas trop car je pourrais me débrouiller tout seul. »

À l’inverse, une autre structure est dans l’autogestion complète par les résidents. La position des professionnels est la suivante : « On n’accompagne pas, volontai­rement ; notre objectif, il ne faut pas l’oublier, c’est quand même l’autonomie, donc on ne peut pas non plus leur tenir la main sans arrêt. » Ainsi, ils n’interviennent ni dans le suivi des rendez-vous, ni dans l’accompagnement physique, ni dans la prise de médicaments. Si, pour atteindre l’autonomie, il semble nécessaire de laisser un peu de libre arbitre aux personnes, cette position interroge sur la dis­tinction entre l’autonomie acquise et l’accompagnement à l’autonomie. En effet, les professionnels témoignent des difficultés auxquelles sont parfois confron­tés les résidents pour gérer psychiquement un déplacement en transports en commun ou encore que « souvent, dans les moments où ils sont un peu dans la déprime, ils ne vont pas à leur rendez-vous ». Des résidents témoignent égale­ment des tentations auxquelles ils sont soumis lorsqu’ils se rendent seuls à un rendez-vous médical (alcool, drogue, etc.). Certes, l’acquisition de l’autonomie prend du temps, mais il semble nécessaire que celle-ci puisse être davantage accompagnée afin de ne pas – trop – mettre en difficulté les résidents et ne pas risquer des ruptures de soins.

Ainsi, un partenariat avec une pharmacie locale prenant en charge la gestion des médicaments des résidents qui le souhaitent permet, par exemple, de confier la préparation des piluliers à des professionnels de santé, tout en déchargeant les hôtes de cette responsabilité. De même, des partenariats avec des infirmiers permettraient une meilleure coordination des interventions sanitaires au sein de la pension de famille.

Intégrer de nouvelles compétences sanitaires au sein des pensions de famille ?

Toutes ces questions relatives à la prise en charge sanitaire sont à mettre en rela­tion avec l’évolution du profil des résidents. Du fait d’une perte d’autonomie due à la fois aux problèmes de santé et au vieillissement, les résidents des pensions de famille ont des besoins sanitaires importants. Cela nécessite des réponses médicales plurielles, avec diverses consultations auprès de généralistes et de spécialistes, mais aussi des interventions à domicile très régulières.

De fait, les besoins sanitaires et sociaux des résidents nécessitent de nouvelles compétences au sein des pensions de famille. En dehors de la circulaire du 10 décembre 2002, il n’y a pas de reconnaissance de la fonction d’hôte. Or, on observe actuellement un décalage entre les missions des hôtes telles que définies dans cette circulaire et la réalité effective du terrain. Ceux-ci ont un profil leur permettant de proposer un accompagnement social, mais pas d’accompagnement sanitaire. Ils expriment beaucoup d’interrogations sur les contours de leur travail et ont besoin que leurs missions soient délimitées pour ne pas les mettre en difficulté. Les points de vigilance sont les suivants :

  • une augmentation du public concerné par la perte d’autonomie qui entraîne un travail d’accompagnement pour un maintien à domicile, mais surtout une réflexion sur l’après, lorsque la dépendance sera trop importante pour rester dans le loge­ment et qui s’avère presque toujours très compliqué à mettre en place. De plus, il n’existe pas de solutions pour certains publics, comme les moins de 60 ans ;
  • une difficulté à définir la place et le rôle des hôtes dans l’accompagnement à la santé des résidents, le curseur allant d’un suivi systématique de toutes les démarches à une autogestion complète de leur santé par les résidents ;
  • une difficulté, pour les hôtes, à gérer les situations de rechutes liées aux addic­tions et à accompagner les résidents concernés, y compris en partenariat avec des professionnels spécialisés.

Au-delà de ces questions, cette étude met clairement en avant les bienfaits des pensions de famille pour des personnes fortement désocialisées, rencontrant des difficultés sociales et/ou sanitaires importantes. Ainsi, les résidents interrogés ont une perception globalement positive, voire très positive, de la structure d’accueil, du logement occupé et de l’accompagnement proposé. L’utilité sociale de ces structures est telle que la plupart des résidents ne souhaite pas en partir et que les durées de présence y sont relativement importantes. Ainsi, près de la moitié des résidents interrogés souhaite finir leur vie au sein de la pension de famille. C’est l’un des revers de la médaille : victimes de leur succès, le taux d’occupation est important et les pensions de famille manquent de fluidité pour accueillir de nou­velles personnes (le taux de sortie est de seulement 16 % par an).

Par ailleurs, le fonctionnement même des pensions de famille semble adéquat. La possibilité pour les résidents de pouvoir être logés sans limitation de durée, assortie d’un accompagnement humain et social, leur permet de se reconstituer, de restaurer des liens sociaux et d’accéder à l’autonomie. Dans ces structures, le taux de sorties positives est élevé : deux tiers des sortants déménagent dans un logement autonome, chez des amis ou de la famille ou en maison de retraite et seule une sortie sur dix peut être considérée comme négative : hospitalisation psychiatrique, hébergement social, incarcération ou sans domicile. Les liens créés entre les résidents et la solidarité observée ne sont pas pour rien dans cette réas­surance et la capacité des résidents à habiter leur logement ou se projeter vers un nouveau lieu de vie.

Bibliographie

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Boubert-Devos, M. et Halifax, J. (2016). Inclusion sociale et dépendance : besoins sanitaires et sociaux des résidents de pensions de famille en Picardie. Amiens : APRADIS, Étude financée par la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale (DRJSCS) Hauts-de-France.

Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal) (2015). Les pensions de famille et résidences accueil : du modèle aux réalités d’aujourd’hui. Paris : Dihal.

Duplat-Saunier, D. et Hontaa, V. (2011). Pour un logement durable des personnes en situation de précarité.Guide des maisons relais et pensions de famille, de la région Midi- Pyrénées. Paris : Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars).

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