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Edito

Nicolas CHAMBON

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES, Psychologie, Sociologie, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°64 – Ces morts qui existent (Juin 2017)

Un constat résonne malheureusement comme une évidence : les inégalités de la vie se prolongent devant la mort. Les morts de la rue, « invisibles », (en témoigne la difficulté d’avoir des statistiques de décès représentatives) sont appréhendés comme le symptôme de la relégation sociale et des effets néfastes de l’individualisation. Les conséquences de la précarité, de la perte de liens, ne s’arrêtent pas après le décès : qui se soucie de la mort des plus précaires ? Au-delà d’une vision nostalgique où la communauté familiale et les proches étaient présents pour organiser les funé- railles, des collectifs se mobilisent aujourd’hui pour coordonner les obsèques de ces défunts, et surtout leur donner une visibilité. Il y a enjeu à socialiser la mort, les morts, notamment pour les plus exclus.

Ces morts sont aussi des évènements, souvent tragiques, parfois brutaux, ou qui s’inscrivent dans un long chemin plus ou moins prévisible… La « fin de vie » est devenue objet d’intérêt pour de nombreux acteurs, notamment soignants. Mais jusqu’où aller dans la médicalisation ? Pour Régis Aubry, finir sa vie à l’hôpital pour les plus précaires est problématique, car l’hôpital ne permet pas forcément un accompagnement digne pour ces personnes. Il appelle de ses vœux à la création de lieux adaptés. Pour les structures de réinsertion, le décès d’un usager peut être vu comme un échec de l’accompagnement. Comment, par exemple, concilier une visée de « réinsertion » ou de « réhabilitation » et d’accompagnement à la fin de vie ?

Accompagner, être là, donner du sens

Plusieurs articles l’abordent, l’accompagnement ne cesse pas avec le décès de la personne. Trois d’entre eux rendent ainsi compte des manières d’intervenir auprès de personnes ayant vécu la mort d’un proche. Pour les cliniciens du social, représentés par le Samu social, il s’agit d’être là, d’être présents, pour mieux « appréhender la mort », et de créer du « rite » pour que chacun puisse s’y inscrire.

Lors du comité de rédaction, notre surprise était grande d’entendre des cliniciens se considérer pas formés ou équipés face à la mort. Une autre surprise apparait à la lecture de l’article de Nadia Touhami, aumônière. Selon elle, la croyance d’une vie après la mort ne facilite pas forcément la fin de vie. Il ne serait donc pas question de compétence ou de croyance pour faire face à la mort. On comprend alors l’importance d’entendre et d’appréhender le décès comme faisant partie de la vie. C’est aussi le sens de l’intervention dans le cadre d’analyse des pratiques « post-mortem » proposée par Jean Furtos. Comme si la clinique rappelait alors à la vie, en liant les évènements et les sujets entre eux dans la « communauté des vivants », pour leur donner du sens et surtout faire d’un décès un évènement supportable pour les vivants.

Au sujet de la mort et de l’existence

Les deux contributions de psychologues cliniciens investissent la « frontière » entre la vie et la mort, comme objet clinique, où le passage doit être mis en sens. À l’appui d’une réflexion et d’une pratique psychanalytiques, René Roussillon caractérise une stratégie possible pour faire face à un traumatisme extrême : se retirer de la vie sociale pour continuer à « exister » psychiquement, mais au prix d’une perte de reconnaissance sociale. Pour ce psychanalyste, il ne suffit pas d’activer le social pour accompagner ces personnes, mais remonter aux sources du traumatisme. Avec le même référentiel théorique, Adrien Pichon nous amène à interroger comment les personnes disparues existent pour des sujets en situation d’incurie. « Animer » le vivant, c’est donner une « autre » valeur (différemment de la valeur d’usage et d’une forme de rationalisation objective des attachements) aux objets que ces personnes entassent. Prenant le contre-pied d’une définition normative du deuil, venir signifier l’attachement porté à ses objets – se rappeler à l’existence de ces êtres perdus – apparait alors comme une des conditions sine qua non pour envisager sur ce qu’il convient de débarrasser. Cet enseignement peut même nous permettre de faire face à nos angoisses de mort : nous existons pour l’autre, même une fois mort !

L’existence des morts

Les deux dernières contributions nous questionnent sur un autre plan : que nous disent ces morts ? Les disparitions massives en Méditerranée au cœur de l’article d’Évelyne Ritaine sont des évènements tragiques. Littéralement des personnes risquent leur vie pour migrer… Visibiliser ces morts apparait alors comme une proposition minimale alors que la disparition de ces migrants les réduit à n’être que des « fantômes ». Au-delà des statistiques, il s’agit encore une fois de mettre des noms sur ces morts, de retracer leur existence. Entendons aussi cette contribution comme un appel à considérer le vis-à-vis de la mort : ce qui fait une vie. Comment sommes-nous concernés ? À quoi sommes-nous tenus ? Les mots de la fin de ce numéro reviennent alors à Vincianne Despret qui nous invite à tisser des liens entre ceux qui sont ici et ceux qui sont ailleurs.

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