Ce premier numéro d’un Rhizome renouvelé, comme la jeune équipe qui l’anime, est encore plus dynamique et complet (passage à 20 pages) et interroge l’articulation entre spiritualité et santé mentale. Le thème est sujet à controverse dans un contexte français marqué par une conception de la laïcité qui renvoie -de manière schématique- toutes formes de pratiques spirituelles ou religieuses sur le registre d’une pratique privée. Très rapidement, s’est posée au comité de rédaction cette question : doit on aborder la question des croyances, de la foi, du culte, de religion ? Accordons nous alors sur la proposition de Philippe Le Ferrand : « A la frontière du psychisme, des croyances et des valeurs individuelles et collectives, la spiritualité parle du sens de la vie. ». Dans notre modernité intranquille, en dehors des églises, de nombreuses conceptions transcendantes ou pratiques profanes de la spiritualité mettent au travail la question du sens de l’existence.
Parce que la thématique est « sensible », nous pensons qu’elle doit être amenée à discussion dans le champ de la santé mentale, discipline qui pose l’articulation entre l’intériorité du sujet et l’extériorité sociale. Jean Furtos propose une réflexion sur la polysémie du mot « esprit » et postule que la santé mentale nécessite une différenciation entre le psychique et le spirituel et donc oblige à penser leurs modes d’articulation Si sa proposition d’ ajouter la spiritualité à la définition bio-psycho-social de la santé peut être débattue, elle nous invite à tracer une ligne problématique pour ce numéro : quelle place peut-il être faite à la spiritualité, notamment dans une perspective d’accompagnement ou de soin ? Ceci posé, nous avons fait le choix de laisser les auteurs mobiliser leurs propres conceptions et analyses. In fine, quelques thèmes émergent de façon récurrente.
Le premier constat devrait apparaitre évident. Pour autant, il ne l’est pas. Le rappel de Monseigneur Jacques Gaillot sur la compétence à la spiritualité des personnes dites précaires -qui ont traversé maintes épreuves dont parfois celle de troubles psychiques- est en quelque sorte… salutaire. La spiritualité peut alors s’entendre comme une ressource, d’autant plus pour un public précarisé, permettant la rencontre, une « commune fraternité » pour Jacques Gaillot, ou une spiritualité au delà des frontières pour Nadia Touhami qui témoigne d’un engagement humain et spirituel salvateur face aux replis identitaires et à la radicalisation.
Le second constat part du mouvement moderne de professionnalisation des experts du psychisme (certains parlent de psychistes). L’extension des disciplines psychiatriques et psychologiques a entrainé une forme d’expertise à prétention professionnelle sur le psychisme se démarquant et délaissant la dimension de la spiritualité à d’autres acteurs de la foi religieuse ou de la croyance sociale ou culturelle. À ce titre, il y a des métiers reconnus, avec des rôles précis où les prérogatives s’entendent au regard d’un cadre d’action fondé sur des éléments scientifiques et d’autres acteurs moins reconnus (dont ici la figure des aumôniers, mais qui pourrait être aussi celle des artistes et plus largement des créateurs). Une perspective de santé mentale (donc plus large que celle du soin) oblige à repenser ce qui est parfois devenu une forme de police épistémologique dénigrant la force et les ressources de la spiritualité en phase avec une conception de la santé mentale positive. Au-delà de cette question des champs légitimes d’intervention, c’est bien le sens de l’accompagnement qui est interrogé. Au nom de quel sens de l’existence accompagne-t-on quelqu’un qui a perdu le sens de l’existence ? Où s’arrête un accompagnement psychique ? Où commence un accompagnement spirituel ? Est-il souhaitable ou à l’opposé possible de faire de la clinique sans spiritualité ? Est- il possible d’accompagner spirituellement une personne en difficulté psychologique sans connaitre les théories scientifiques sur l’appareil psychique ?
Ces questions redoutables se posent depuis le début de la psychiatrie. Des formes de psychiatrie humaniste et sociale, elles se sont déjà dans l’histoire coltinée ces questions sans les résoudre définitivement. Cette non résolution est un bien, surtout lorsque l’actualité nous rappelle au fait que nous vivons une période « bouleversée ». Sur la scène publique on s’inquiète de la diffusion des fondamentalismes qui vampirisent une demande exponentielle de sens à la hauteur des bouleversements que traverse le temps présent. En phase avec cette actualité, d’autres contributions nous appellent à la vigilance dans des contextes ou les intégrismes rodent mais aussi au regard de thérapies religieuses ou « new age » « pseudo-scientifique, pseudo-psychologique, pseudo-médical » pour citer Didier Pachoud.
Au bout de la lecture de ce numéro, il reste un acquis de ce panorama : La spiritualité comme fait psychique et social influe soit comme ressource de rétablissement, soit comme aliénation dans la trajectoire des patients. Mais faire ce constat balancé s’avère insatisfaisant s’il ne se prolonge pas par un renouvellement de la réflexion clinique sur le sujet, réflexion par nature collective que nous appelons de nos vœux.